La Question

Heidi Valence

Pôle Emploi
Convocation obligatoire par le service du Pôle Emploi sous peine de radiation. Le conseiller sort de son bureau, il se dirige vers moi pour me saluer et me faire entrer. Son expression générale à quelque chose d'un peu hautain d'ailleurs tranchant avec son jean, son pull et sa chemise qui lui donnent un air jeune tandis que les traits de son visage et de nombreuses mèches blanches le ramènent au temps qui passe malgré lui. Il m'invite à m'asseoir. Il m'interroge sur la date du dernier rendez-vous que nous avons eu ensemble. Toujours absent. Il ne se soucie pas vraiment de ma présence face à lui. J'y suis et je pourrais ne pas y être tout aussi bien pour lui. Je suis l'identifiant 1744257B , il interroge l'ordinateur. Les stores doivent être abaissés ou bien la façade du bâtiment est orientée à l'opposé du soleil, la pièce s'est colorée d'un bleu gris sombre apparenté à un long silence. Quarante deux jours avant, je lui ai adressé un justificatif d'absence pour ne pas risquer d'être éliminé du listing des demandeurs d'emploi, pour ne pas participer à l'amélioration de la courbe du chômage. Ce n'est pas un choix de fainéant, pas tout à fait un choix d'ailleurs, mais si cela s'apparente à un choix, vital, je n'ai pas les moyens de l'autre option, attendre sans être inscrit sur "la liste de Chômeur" en nom propre, celle qui sert mieux les intérêts des statistiques économiques et politiques : il faut bien vivre, survivre, payer mon crédit, mes factures, mes impôts, alors que je n'ai pas de travail. Il clique, dé clique, les pages défilent, il s'y concentre à part lui. Il tourne soudain sa tête vers moi dans un élan automatique et m'interroge sur la raison pour laquelle le dernier rendez-vous a été reporté. Je réponds : « je ne pouvais pas venir, j'étais à l'hôpital. Je vous ai adressé un justificatif». Il n'en a pas pris connaissance ou ne s'en souvient plus. Son air hautain prend alors de l'ampleur, un soupçon d'ironie s'est glissé dans ses yeux, il doit être sûr de m'avoir démasqué et son regard me survole comme on s'imagine pouvoir mépriser la mer quand on la regarde depuis le bord des falaises : « — Et maintenant, votre santé, ça va ? Ça y est, vous êtes guéri ? » Je réponds oui. Quelques mots trottent dans ma tête, à part moi : Est-ce que je suis guérie ? Oui, est-ce que je suis guérie ? Est-ce que je suis guérie après une interruption médicale de grossesse au terme de sept mois parce que j'attendais un enfant trisomique 21 ? C'est aussi un choix que j'ai fait, que j'ai voulu ? Oui, vous avez ,sans "doute", raison monsieur le conseiller. "La question" Heidi Valence -http://welovewords.com/documents/la-question-3
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