la rage de vivre (partie 2)

evagreen

Les trois équipiers se démenèrent comme des beaux diables, véritable démarcheurs de l'extrême, tentant coûte que coûte de vendre leur marchandise, embrassant le mince espoir d'amasser l'argent nécessaire pour éponger leurs dettes, et peut-être même gagner assez pour recommencer une nouvelle vie ailleurs, loin de leur passé, loin de leur présent, et juste asse proche d'un futur qui se faisait d'autant plus hypothétique que l'échéance arrivait à son terme au fil des jours.

Tout était organisé avec une précision démente, Renton démarchait les quartiers résidentiels et Ziggy s’occuperait des alentours du lycée, il savait qu'il trouverait toujours des zombies pâlots dans ces coins malfamés pour acheter un peu de sa poussière de rêve. Johnny, en bon trafiquant chevronné, passait des coups de fil à travers le pays et le quartier pour trouver un poisson assez gros pour mordre à l'hameçon. Ziggy y croyait vraiment, et entre deux transactions au détour d'une ruelle qui sentait l'urine et le vomi, aux lampadaires éclatés et aux murs marqués d'excès, il se prenait rêver de la Californie et de son chaud et agréable soleil, plus agréable que la rampe d'escalier défoncé sur laquelle il s'était déchiqueté la main, y trouvant , au hasard de ses tâtonnements, un clou rouillé qui avait trouvé un abri idéal dans le creux de sa main.

La marche du temps se faisait de plus en plus implacable et le spectre de furieux mafieux en quête de vengeance continuait sa sereine et fatale course sous les yeux exsangues et désorbités de chacun des membres de cette bancale et fantaisiste équipe. La somme d'argent grossissait à vue d’œil et les ennuis avec ,et Renton dut expliquer plus d'une fois à des agents de police aussi méfiants que bienveillants qu'il cherchait simplement une pizzeria, transit de froid à trois heures du matin ,dans des ruelles désertes, trop désertes justement..

Ziggy rentrait chez lui, des billets plein les poches, une lumière blafarde illuminait un bout de trottoir sale et des vitrines luminescentes , dévoilant de pauvres mannequins vêtus de chemises et vestes et pantalons aux matières rares et tapageuses, et Ziggy pensait qu'une fois cette histoire bouclée, qu'après avoir sauvé Renton comme il lui avait dit, il s'achèterait de nouveaux vêtements et la nouvelle identité qui allait avec, mais ces trois mecs, armés de bâtes et de poings américains qui le rouèrent de coup jusqu'à ce qu'il s'évanouisse en avaient décidé autrement. La lumière des lampadaires s'éteignit et il ne se souvenait de rien, hormis un réveil difficile dans Square Park les vêtements déchirés, tâchés de sang, un troue de la taille d'une bille dans sa joue gauche et une douleur insupportable au crâne, un doux rayon de soleil matinal caressait son corps meurtri, son bras était en morceau et saignait encore et il sentait, sous ses frêles doigts tailladés la rosée du matin, il empoignait l’herbe sauvage, fraîche et grasse, aussi verte que douloureuse, et il sentait un vent léger lui lacérer le visage tandis qu'il se releva sans vraiment savoir où il était,il s'allongea sur un banc et entendit son portable sonner.

« Eheh salut vieux éhé !

-Johnny... ? Ton pote est..venu... »Il toussait et manquait mourir à chaque mot mais s'accrochait comme un forçat au peu de vie qu’il lui restait.

-Affirmatif...mais là euh....Euh, c'est un peu compliqué tu vois...j'suis comme qui dirait au commissariat hein !

-Quoi ?! Tu te fous de moi ?! Comment c'est possible ?

-Tu te souviens de toutes ces contraventions pour ma voiture mal garée ?

-Oh merde me dis pas...

-Mec c'est une escroquerie, j'étais bien garé j'te dis ! Ds escrocs ! Des escrocs ! Hurlait Johnny

-Comment on fait ? Ils ont tout trouvé ?!

-Non, juste l'herbe caché dans la boîte à gants ! Ces gars sont forts !

-Et quel rapport avec les contraventions ?!

-Oh rien, j'avais juste refusé de payer celle que venait de me donner cet enfoiré quand il m'a arrêté et c'est là qu'il a vu le...le matos quoi !

-Putain merde...t'as prévu quoi ?

-20 ans je dirais..mais avec un bon avocat ce sera seulement 10 et si ces gars me cherchent encore ce sera seulement 2, ou 3 s'ils traînent en route...

-Écoute, ils ont trouvé quoi chez toi ?

-rien tout est chez Renton, fonce chez lui ! Mais t'as une voix bizarre....T'es ok ?

-Rien de grave...tabassé et jeté dans un Park, pas loin de chez moi...

-Putain...tu penses que c'est eux ?

-j'en sais rien...j'crois qu'ils sont pas mal à m'en vouloir...

-L'argent est chez Renton vieux, fonce et déguerpis avec le môme !

-Ok....

-Oh désolé j'ai un rendez vous ! Ciao mon pote, et file le plus vite possible ! 

Ziggy traîna les restes de sa carcasse jusque chez lui , monta et découvrit les dégâts. Son appartement était saccagé, les vitres étaient brisés, les armoires renversées, un typhon miniature, un tigre sauvage avait dévasté son appartement ! En s' agrippant au mur qu'il tâchait de sang et de sueur chaque fois qu'il s'appuyait il finit par atteindre la salle de bains, une éternité pour Ziggy. Il se lava le visage, dans le miroir il lui semblait reconnaître une personne qu'il avait autrefois connu, sous ses yeux injectés de sang, ces dents cassées et cette joue trouée il discernait les traits juvéniles et encore plein de vie d'un ancien visage, un visage qui n'était désormais plus le sien, dénué de vie, comme un souvenir oublié , comme une vie désormais passée. Il passait un coton imbibé d'alcool sur son visage et poussa un atroce gémissement.

Il devait aller chez Renton, récupérer l'argent avec lui et partir, tout serait simple et rapide. Pourtant il redoutait une catastrophe imprévue, il était effrayé à l'idée que la vie, une fois de plus, pouvait le trahir juste au moment où tout semblait s'arranger, il rentrerait et verrait Renton allongé sur son canapé, une balle dans la tête, et lui il rentrerait chez lui et attendrait l'implacable sentence du passé, il avait évidemment envie de partir, mais le pouvait-il vraiment ? Pouvait-il abandonner Renton comme il avait abandonné tant d'autres personnes avant, comme il s'était lui-même abandonné ? Il pouvait désormais mourir, plus rien ne l'intéressait et il sentait à peine la douleur qui parcourait son corps comme un venin rongeant son âme, il pensait juste à Renton, dealer notoire et escroc en passe d'être rattrapé par la vie, mais aussi gamin innocent et désorienté, et avant tout, élève de Ziggy Popper. Dans un dernier râle il se mit en route vers ce qu'il pensait représenter son ultime arrêt et croisa M. Sea, quittant l'immeuble lui aussi.

« Holala ! Qu'est ce qui vous est arrivé ?

-J'ai été..agressé...

-Non mais c'est pas vrai ! Je vous dépose au commissariat tout de suite, venez je vous emmène !

-non c'est gentil laissez tomber ! Allez venez, je vous vais aider à marcher ! Je vous dépose au commissariat, c'est sur ma route, je vais au club de squash !

-Ok...ok ça roule.... »

Ils montèrent dans la voiture et M. Sea, avec une bonne volonté tout naïve déposa Ziggy au commissariat, et ce dernier n'imaginait pas que ce qu'il considérait pour le moment comme l'ultime farce que venait de lui faire la Vie, pouvait se révéler masquer son salut.

« Allez, je vous laisse, je vais au club de squash, j'ai sorti mes affaires de la cave et tout ! Allez, et j'espère que ça ira bien L. Popper ! Si z'avez besoin de quoi que ce soit, appelez moi ! »

Il le regardait partir, ahuri et accablé.

Au terme d'un interminable trajet qu'il parcourut comme une âme errante, comme un fantôme de sang et de loques il arrivait chez Renton, à bout de force, prêt à abandonner et se résigner. Il découvrait, surpris, malgré les précédents délires de son imagination, Renton, gisant dans une mare de sang...

« Renton ! Renton ! Renton bats toi putain, bats toi, me lâche pas ! »Ziggy scrutait la moindre once de vie entre les amas de sang qui remplaçaient les yeux de Renton.

Paniqué il s'aspergea le visage d'eau glacée et fit les cents pas dans la maison. Que faire ? Appeler les secours ? Expliquer quoi ? Comment ? Mentir, s'enfuir, garder l'argent déposé dans la cave du concierge et déguerpir avant que ces gars ne viennent finir ce qu'ils ont commencé avec Renton ?

« Monsieur...Monsieur Popper ?

-Oui ?! Quoi ?! Qu'est ce qui s'est passé ?!

-Ils sont rentrés, je sais pas d'où ils sortaient mais... »Ils toussaient tous les deux mots et du sang suintait le long de son frêle visage dont on ne distinguait même plus la forme tant il avait gonflé.

« Johnny était avec eux...ils viennent de se casser...t'es pas passé loin ...

-Quoi ? Il est en taule ! Johnny est en taule !

-Quoi ? Vous foutez pas de moi ! Ses potes sont venus, ils m'ont pété la gueule et m'ont laissé ici, ils pensaient que j'allais crever les enfoirés !

-Pourquoi ici ?

-ils te cherchaient ! Ils cherchaient le blé !

-Ah les enflures !

-tu leur as dit quoi ? Que tout était dans ces foutus sac rouges et que je le jurais! Mais m'ont collé une sale dérouillée les enculés, j'ai gueulé si fort qu'ils ont déguerpi quand ils ont entendu les cris de la vieille bique d' à côté , et je remercie cette tarée ! Elle m'a sauvé ! Mais on est baisé vieux...baisé...ils se sont barrés avec les sacs...

-Les sacs peut être... mais l'argent c'est autre chose...

-comment ça ?

-Oh...disons qu'ils auront une petite surprise.... »

Ziggy roulait à toute allure à travers les États-Unis, battant la poussière incandescente et le bitume chaud, le soleil brûlait ses pupilles incrustés dans des orbites violacés par les coups et la fatigue, il montait le son de la radio et Iggy Pop l’accompagna le long du trajet avec Lust or Life. Il s'arrêta à un café et décida de jeter un coup d’œil dans le sac et piocher de quoi s'offrir un café bien mérité sur cette aire d'autoroute dans ce café tapageur à l'enseigne lumineuse et spasmodique. Il se garait dans un de ces parkings , qui fourmillaient de poids-lourds sentant la transpiration et l'essence et se dirigea vers le coffre de sa voiture. Il ouvrit le coffre, et le sac de sport qui se trouvait à l'intérieur. Sous la blancheur cireuse de la poussière du désert et ce soleil de plomb il tenait dans ses mains un short blanc délavé, parsemé de tâches, son sac contenait en tout et pour tout une raquette de squash abîmée et un T-Shirt moisi et humide.

A cette heure là Johnny Yen se faisait arrêter à la frontière de l’État par les forces de l'ordre, aimablement prévenues par un « coup de fil anonyme » de la part, «d'un humble professeur de français inquiet des activités suspectes d'un ami à lui », découvrant dans le sac assez de substances illicites pour l' enfermer pendant au moins vingt ans.

Renton devait se rendre au lycée et ouvrir le casier de M. Popper récupérer une mallette, au milieu de bouquins déchirés il trouvait 20,000 dollars.

Le plan de Johnny était simple, il faisait croire à Ziggy qu'il était arrêté, le trouvait chez lui, le descendait et partait avec l'argent.

Celui de Ziggy aussi : il avait transposé l'argent dans d'autres sacs et en avait planqué un dans son casier, et l'autre dans la cave du concierge,il se rendait chez Renton, récupérait un sac bourré de drogues et filait vers la frontière avec Johnny jusqu'à ce que que des policiers ne viennent les cueillir, lui et Johnny à la frontière, grâce à son propre coup de fil. Il aurait fini enfermé , l'esprit libéré.

Mais cette fois, même si son plan avait déraillé il avait marché, même s'il avait échoué il avait tout gagné, même si son poisson avait été dévoré par un M. Sea , agréablement surpris en ouvrant son sac de sport, il avait gagné, gagné quoi ? La rage de vivre.

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