La Recette du Malheur

sylvenn

Noires Heures - Essais

Un cadeau empoisonné. Voilà comment on définirait facilement, en deux mots, ce que j'ai en moi. Imaginez une jolie boîte rouge étincelante, enrobée d'un ruban doré parsemé de froufrous et autres conneries qui font rêver tes gosses. Et imaginez, à l'intérieur, un poison. Un poison qui ronge tout sur son passage, un acide hyaluroniktamère ou un truc du genre. Un poison dont le seul nom fait déjà fondre chacun des trois neurones qu'il te reste.
Vous savez ce qu'il se passe lorsque l'on met un poison si corrosif dans un paquet si charmant ? Le paquet fond sous l'action de cet acide. Ça n'est plus un cadeau ; c'est seulement un liquide verdâtre serpentant maintenant le long de vos mains déjà fumantes.
Alors le poison continue sa route comme une vipère, glissant visqueusement le long de votre bras. Cette bestiole est en quête d'un organe bien précis dans votre carcasse calcinée : le cœur. C'est en lui qu'elle creusera son trou, et veillera à ce que vous brûliez chaque jour de votre vie. Chaque jour un peu plus. Jusqu'à ce que vos dernières forces ne vous quittent. Jusqu'à ce que vous ne soyez plus qu'une coquille vide, sans vie ni espoir.
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Ce cadeau, c'est la surdouance. Ce n'est pas l'intelligence, ce n'est pas la réussite. C'est la faculté d'avoir un don, quelque chose d'instinctif, dans un domaine précis. Pour certains, ce sont les sciences exactes. Pour d'autres comme moi, ce seront les arts.
Parce que je ressens les choses plus fort que le bouffon lambda dont la conversation se limite à ce qu'il a fait ce week-end et qui baise qui au bureau – et ce jusqu'à son dernier souffle – il m'est plus facile d'exprimer ces émotions, à travers la musique par exemple.
Voilà. On a déjà fait le tour du cadeau. Le tour de cet emballage minable, déjà dévoré par ce poison qu'il contient.
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Ce poison est composé de deux molécules.
La première est celle de la pensée, qui fait tourner le cerveau en permanence. Tout le temps, même quand rien ne se passe, même en pleine détente. Un peu comme si tu laissais ton ordinateur allumé jusqu'à ce qu'il surchauffe et que ses circuits fondent.
Le seul moyen de désamorcer cette molécule pendant un temps, c'est de distraire sa pensée avec un divertissement. Un jeu, un travail intéressant, un sport, un projet… Mais la tâche doit être tellement prenante que même une conversation ne suffit pas : je m'y ennuie parfois vite et me prends à penser à la conversation ET à autre chose ET à l'image que je donne à mon interlocuteur ET à ce qu'il en perçoit. Epuisant.

L'autre molécule est celle de l'émotion. Celle-là développe un Amour inconditionnel pour tout être, toute chose. Evidemment, il peut m'arriver de détester des gens, toi par exemple ! Mais après coup, cette salope de molécule me fera penser qu'au final, tu es comme tu es, aussi pathétique sois-tu…
En voilà une belle qualité, de trouver la beauté en toute chose, non ? Non. Et je vais bientôt t'expliquer en quoi ça n'est qu'une malédiction de plus.
Mais l'amour inconditionnel ne vient pas seul. Il se nourrit de l'amour que l'on peut recevoir, comme une plante a besoin de soleil pour créer de l'oxygène.
Enfin, parce que l'on sait ce que c'est de souffrir d'émotions fortes, on fera tout pour ménager ses proches, pour assurer leur bien-être comme on peut. Quitte à se faire du mal.

Bref, ces deux molécules – la pensée et l'émotion, pour le cancre qui ne suit pas au fond de la classe - vont se coupler. Elles vont interagir. Alors, et seulement alors, le poison qu'est la surdouance va trouver toute sa puissance dévastatrice muahahHAHAHAHAHAHHAHAHAHAAHAAAAAAAAAAAAAAAHHAHAHHAHHAHAHHAHAHU HZDIHFIHIZIZHDIHDOHZOJOFJODKFOKEOKLSPDAZKOXNVINGIENOFKPLF¨ !!!!!!

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Dans quelques lignes, tu comprendras pourquoi moi, être supérieur à toi, je suis condamné à rester malheureux alors que toi, [insérer insulte dévalorisante], tu pourras continuer de t'épanouir naïvement en gambadant à travers champs comme un putain de télétobbies.
Pour simplifier le processus et le poser de manière plus cartésienne, je vais procéder comme dans une recette de cuisine. Tu aimes les recettes de cuisine hein ? Tu regardes tous les épisodes de toutes les saisons de Top Chef, hein ? Voilà c'est bien ce que je pensais. Déchet vas. Allez c'est parti.

Ingrédients :
- Molécule de pensée - Molécule d'émotion o Amour universel o Besoin d'Amour o Bienveillance
Recette :
1 – Rencontrez une personne du sexe opposé
2 – Versez 150g de pensée pour vous rendre intéressant et créer un lien avec elle
Veillez à acheter en magasin une pensée intéressante mais différente, pour être vu comme « une personne originale » et donc juste un peu (trop) éloignée de votre interlocuteur.
3 – Creusez un puits et versez 100g d'émotion afin de vous attacher à la personne
4 – Battez l'émotion en neige jusqu'à obtenir un sentiment de passion amoureuse
5 – Laissez reposer plusieurs mois, le temps que le sentiment de bienveillance mélangé à la pensée hyperactive vous ait forcé à ressasser vos sentiments tout en les contenant
6 – Une fois au bord de l'implosion, pilonnez la vérité à la personne concernée
Ecoutez la personne vous expliquer qu'elle ne partage pas vos sentiments. Vous obtenez alors une pâte bien ferme accompagnée d'une claque encore plus ferme.
6bis – Si la relation n'est pas encore détruite, renouvelez les étapes 5 & 6 en rajoutant de la pensée, jusqu'à ce que cette relation vous devienne insupportable et que vous y mettiez vousmême un terme.

Voilà les amis, vous avez la recette du poison de la surdouance ! Elle vous garantit un échec permanent dans toutes vos relations, et par extension dans TOUTE TA CHIENNE DE VIE ;)
Ah, oui, il y a une autre recette plus simple et plus générale qui permet d'être incapable d'avoir la moindre relation sociale avec les autres bouffons lambda : il suffit d'être soi-même. Voilà c'est tout.
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Une fois que vous aurez réalisé cette recette de nombreuses fois jusqu'à la maîtriser à la perfection, surviendra un paradoxe du meilleur goût : ayant vogué de déception en déception avec ce sentiment permanent d'être incompris par tous ces êtres qui vous ont été chers, de votre Amour inconditionnel naîtra… de la Haine ! Une Haine viscérale envers à peu près TOUTE L'HUMANITE !
- Envers vos anciennes relations, parce qu'elles vous ont fait souffrir - Envers vos nouvelles relations au travers desquelles vous voyez déjà la déception se profiler à l'horizon - Et surtout, surtout… envers tous ces gens nombrilistes qui ne pensent qu'à leur petite personne, qui ont 100 fois moins besoin d'amour que vous… et qui en reçoivent pourtant 100 fois plus !
Eh oui… parce que si le poison de la surdouance se niche bien dans votre cœur, il n'en laisse pas moins un goût amer de profonde injustice dans votre palais ainsi qu'une sensation de désespoir bien profond dans
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Alors vous vous mettrez à tous les haïr. A te haïr TOI, lecteur qui ne capte rien à tout ce que je raconte depuis une heure, sombre candide, bienheureux répugnant.
Oui, heureux les simples d'esprit. Mais vous ne pourrez pas les haïr. Simplement parce que ce n'est pas vous. Vous ne savez pas haïr les gens, c'est contre votre nature.
Ainsi, vous plongerez dans la spirale infernale du rejet éternel, où vous courrez sans relâche après cet amour que vous n'avez pas, et que vous n'aurez jamais.
Vous ne saurez pas détester.
Vous ne saurez pas être indifférent.
Vous ne saurez pas vous contenter de l'amour que vous avez déjà.
Mais bon. Avec un peu de chance, tout ça vous rendra assez malheureux pour créer de magnifiques œuvres d'art qui seront découvertes après la fin de votre vie misérable, incomprise et ignorée du plus grand nombre. Après tout, la surdouance est un cadeau, non ?

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