La repentie
lina221078
Je me trouve laide, peu gracieuse et vulgaire. C’est comme si j’étais née comme ça. A ma naissance, mon cri était déjà empreint de grossièreté. Mes parents s’outraient de ce premier hurlement indélicat. Mais comment crier avec légèreté ? Je crois que tout mon être pue. Je transpire les gros mots, la goujaterie et l’impolitesse. L’intelligence n’a rien à voir dans tout ça. Je ne suis pas bête, mais je ne me respecte pas car je ne m’aime pas.
Je n’aime pas ce que je suis devenue et je haie les autres tout autant que moi. Je n’ai aucune sorte de ressentiments pour l’humanité. Je ne vois pas pourquoi je serais correcte alors que les hommes passent leur temps à se faire la guerre. Les insanités sont bien les seules à décrire avec justesse l’ignominie de l’espèce humaine. Alors je jure sans cesse, je blasphème, je pêche. Je me contrefous des qu’en dira-t-on. Je m’en balance du jugement de l’autre parce qu’il ne vaut pas mieux que moi cet hypocrite.
Je n’ai pas d’amis. Les gens n’aiment pas les rebelles comme moi. Ils aiment la gentillesse, la délicatesse et la diplomatie. J’exècre toutes ces balivernes qui ne font rien avancer. Moi, mon credo c’est la sincérité. Je ne coupe jamais la poire en deux, je ne suis jamais d’accord avec mes interlocuteurs, j’aime le conflit parce qu’il est le reflet de cette société. Je suis avec les bourreaux, jamais avec les victimes qui, selon moi, ont choisi de l’être.
Mes parents ont baissé les bras très vite quant à mon éducation. Je n’ai pas fait d’études et quand je vois tous ces diplômés au chom’du, je ne regrette rien. Moi, je suis RMIste, mais je ne compte pas faire ça toute ma vie. Car sous ma verve vulgaire se cache une ambition secrète : avoir du pouvoir pour convaincre les gens de me rejoindre dans mon choix. Je rêve souvent que je suis sur une estrade à clamer ma propagande obscène.
J’ai acquis avec l’expérience la faculté à placer mes mots ingrats de façon adéquate. Je suis devenue reine dans l’art de mal parler. Tous ces gens qui s’évertuent à lire pour placer des mots compliqués et en mettre plein la vue aux autres m’exaspèrent. Moi, je n’ai que peu de mots à mon actif mais je les place avec tact. Du coup, on dit de moi que je suis vexante, blessante ou encore cassante. En contrepartie, je ne peux pas me permettre la susceptibilité. J’accepte avec recul les retours de mes mots incisifs et gras.
Le pire, c’est que j’ai réussi à réunir autour de moi quelques âmes insensibles. Je suis sur le point de fonder mon parti, le FUCK, Front Universel de Connards en Képis. Après tout, pourquoi je ne ferai pas de politique moi aussi, Marine le Pen a bien réussi malgré son franc-parler qui laisse à désirer. Mais je ne joue pas dans la même cours que cette extrémiste. Le FUCK se veut être un parti populaire s’adressant aux jeunes en mal d’honnêteté et contre la langue de bois.
Avec le FUCK, finies les courtoisies mièvres entre politiques. Il est temps de se laisser aller à un discours en rapport avec la jeunesse d’aujourd’hui. J’ai déjà une trentaine de sympathisants autour de moi qui croit en mes idées. Ces idées ne sont pas révolutionnaires mais simples et modestes : réunir les générations pour faire circuler les différents langages, arrêter de faire croire que les diplômes donnent du boulot et offrir une transparence aux citoyens.
Je compte bien me présenter aux prochaines municipales, la mairesse de la commune étant de toute façon dépassée avec ces faux airs bourgeois et son hypocrisie. J’y crois dur comme fer. Les jeunes ont besoin de changements, je vais leur en donner, moi, qui voue une haine pour l’humanité. Car tous les politiques sont de fondamentaux misanthropes mais ils ne peuvent pas l’avouer. Moi, je vais le clamer haut et fort ! Les gens ne s’aiment pas, ils font semblants. Vivons ensemble en étant honnête… ça fera les pieds à tous ces susceptibles !
La veille de l’élection, j’avais réussi à réunir une centaine de citoyens. J’attends les résultats en y croyant plus que jamais. Mais je me suis fait battre par cette putain de socialiste faussement bourgeoise. L’humanité me dégoûte plus que jamais. J’abandonne la politique et me mets à la philosophie, discipline plus ouverte à mon goût. On est tous le con d’un con, un peu moins con que soi. C’était mes premiers pas dans ma nouvelle vie.
Mais je ne réussis pas davantage dans la philosophie que dans la politique. Je finis enfin par me remettre en questions après une vie ratée. Je n’aime toujours pas les gens mais j’apprends peu à peu le respect. Je réalise que ça change la vie et rentre dans la norme des gens respectés et respectables. Je n’aurais jamais cru que ma vulgarité me rendrait aussi malheureuse. On peut être honnête et diplomate. J’apprends de mon maître tous les jours. Mon sculpteur aveugle transforme désormais des valeurs que je croyais incruster dans mes gènes. Je m’aime désormais. Il est temps.