La Révolution des Sentiments
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1
Je n'étais pas franchement le genre de gars que le monde s'arrachait. Vraiment moche voire répugnant, je dégouttais toute sorte d'être humain. Les femmes comme les hommes et souvent, à la vue de mon être, les pigeons sur la chaussée s'envolaient à toute volée.
Mes parents n'étaient pas à blâmer, tous deux étaient dotés d'un physique quelconque, pas tout à fait beaux mais pas non plus aveuglants. Ils étaient si banals qu'il était difficile de se souvenir de leurs visages, même si vous aviez passé vingt ans de votre vie à petit-déjeuner avec eux.
Alors croyez-moi, quand j'ai dégoté cette perle luisante au petit cul bien rebondi, j'étais pas vraiment sûr que ce qui m'arrivait été réel.
De ce côté-là, je veux dire du côté sentimental, du fait de mon physique, je ne pouvais pas me permettre d'être exigeant. Du coup les seules raisons pour lesquelles j'avais caressé des centaines d'hectares de fesses, c'était parce que j'étais bien un des seuls hommes nés après les années quatre-vingt-dix qui acceptait de baiser sans rechigner les moches, les grosses, et les transporteuses de MST. Surtout parce que c'était une occasion pour moi de tirer mon coup.
Quand j'ai rencontré Emma, je ne me suis pas vraiment dit qu'elle avait quelque chose de fantastique, sans doute parce que je ne pouvais m'imaginer avoir une quelconque chance avec une nana de ce genre. Mais alors qu'elle arpentait un des couloirs de la fac, elle a coupé court au monologue que j'imposais à un de mes camarades de classe :
- Mon Dieu, ce que tu me dégoûtes.
Je n'ai même pas sourcillé. C'était un fait que je connaissais que trop bien, et cela ne m'avait jamais torturé. J'étais un peu comme tous les connards de la gent masculine, je m'assumais. Alors plutôt que de m'abattre sur ma hideuse personne, j'ai abandonné mon regard strict qui voulait dire « je suis plus intelligent que vous tous réunis » et j'ai finalement décroché mon plus beau sourire jaune et ébréché. Après tout, ce ne serait pas une petite garce sans retenue qui allait gâcher ma journée.
C'était sans compter sur mon abruti de collègue qui s'est mis à rougir façon piment mexicain. Pas parce qu'il était désolé pour moi cet enfoiré, non pas du tout, mais plutôt parce que mon physique était une chose qu'il semblait avoir oublié au cours des derniers mois où nous nous étions liés, et que maintenant qu'il s'en rappelait, il était honteux de se tenir à mes côtés. Il réduisait massivement la confiance en moi qui devrait me servir à contrer cette crétine.
Elle avait de beaux seins en forme de poire et une belle paire de fesses, comme j'aimais en voir. Sa crinière dorée diffusée une douce odeur de monoï et son air désinvolte avec sa clope au bec la rendait d'autant plus attrayante. Elle respirait le charisme et la détermination. J'en étais jaloux, moi qui me cachais toujours derrière mes capacités intellectuelles de surdoué et mon cynisme, pour feindre la complexité de mon inadaptation.
Il s'est avéré qu'elle venait de me retourner le cerveau. Si je ne pouvais pas être le genre de personne qu'elle était, je devais l'avoir, la posséder, comme un trophée que j'ajouterai à ma collection.
Je n'ai pas eu trop d'efforts à fournir. Elle semblait être fascinée par mon atypisme depuis l'instant où son chemin avait croisé le mien. Et avant que je n'ai eu le temps de décider de quoi que ce soit, elle me traînait devant la machine servant un infâme café soluble.
Je vous assure que même si à l'époque je détestais ça, à partir du moment où elle a fourré le gobelet en plastique dans le creux de ma main, c'est devenu le moteur de mes journées.
2
D'abord nous avons été amis, de véritables amis.
Emma n'a jamais tenté dans un acte désespéré de faire de moi quelqu'un que je n'étais pas. Les seules folies qu'elle s'accordait à mon sujet étaient le réajustement de mes vêtements, qui n'ont jamais été de trop mauvais goût, et il n'était là question que de spontanéité.
À ses côtés, mon aura brillait. Elle me poussait peu à peu hors de mes retranchements, à tel point qu'un jour j'ai constaté que je ne me trouvais plus dans ma zone de confort.
Elle me forçait à sourire en toutes circonstances, malgré l'imperfection de mes dents, et me mettait en avant quand nous nous retrouvions dans des soirées étudiantes. Sa fierté d'être mon acolyte était incomparable, et moi à son bras je me complaisais à jouer les as gagnants.
« Il est mon meilleur ami », « cet homme est si intelligent », « quel pianiste talentueux », et ce n'était là que l'avant-goût d'une liste de phrases qui ne faisaient que gonfler mon ego.
Emma m'a aimé avant que ce ne soit le cas de mon côté, et je crois en avoir pris conscience avant qu'elle ne le sache elle-même. Voyez-vous, ce sont des choses perceptibles qu'on ne peut pas ignorer, un peu comme une étoile filante qui traverse le ciel nocturne. Son message est clair : « fais un vœu, fais un vœu ».
Tout son désir résidait dans son regard et dans la façon qu'elle avait de me sourire. Oui, je vous entends déjà me dire qu'après tout ce ne sont que des dents et des globes oculaires, et que sans doute mon interprétation dépendait de mes propres désirs inconscients, mais avec un esprit comme le mien, aussi brillant puisse-t-il être, je n'avais qu'à comparer ses gestes à mon égard avec ceux qu'elle accordait aux autres hommes qu'elle fréquentait.
En ma présence, c'était comme si ses yeux s'emplissaient de millions de bouteilles de soda, ça pétillait dans tous les sens, un véritable feu d'artifice ! Parfois, je pouvais même l'apercevoir s'émouvoir et à chaque fois son visage se transformait dans cette expression qui avait tendance à me rebuter. Durant ses instants de réflexion, elle semblait se rendre compte de la place qu'elle prenait dans cette romance décalée.
Un soir de février, elle m'a invité à regarder un film sur son clic-clac troué qui lui servait également de lit. Ô comme son parfum m'enivrait.
À mesure que les images défilées, c'était comme plonger dans les tréfonds de son âme. J'avais le sentiment de la découvrir pour la seconde fois. Durant ces minutes, je réalisais qu'elle avait façonné toute son identité autour du personnage principal de l'œuvre, et compris que cette confidence tacite était une façon de me livrer son coeur.
C'était déroutant d'être le récepteur d'un tel secret et à la fois excitant d'être témoin de l'imposteur qui se cachait derrière ce visage d'ange. Elle était aussi artificielle qu'une paire de seins en silicone. Sans doute que la plupart des bonshommes auraient fui face à ce macabre butin, après tout elle n'était qu'un mensonge, mais ce ne fut pas mon cas.
Toute cette supercherie fut l'élément qui me fit tomber amoureux d'elle. Elle m'apparaissait plus intéressante qu'elle ne l'avait jamais été à mes yeux, et c'est à ce moment que j'ai développé ma propre obsession.
Je me sentais comme la terre en mouvement autour du soleil, oui, elle était ma lumière, et je craignais que ça ne s'arrête à un certain moment, car j'étais en train de vivre la révolution des sentiments.
3
Même si je n'étais pas affamé et qu'il n'était que dix-huit heures, l'odeur du poivre sur la viande cuite embaumait si fortement l'air qu'il m'était difficile d'y résister.
Petit, je ne raffolais ni des sucreries, ni des mets gras que proposaient les fast-foods. À dire vrai, rien de tout cela ne m'avait jamais évoqué quelque chose étant capable de me procurer une sensation de bien être.
À l ‘époque tous les longs déjeuner du dimanche que m'imposaient mes parents, étaient l'unique occasion pour moi de tester mes nombreux talents de manipulateur. Je cherchais inlassablement laquelle de mes élucubrations me permettrait d'échapper à l'obligation familiale.
Je n'étais pas hanté par une peur irrationnelle des êtres vivants, non bien au contraire. Ce qui nourrissait ma haine de ce rituel, c'était l'affluence d'aliments en tous genres qui ne m'attiraient ni par leurs odeurs, ni par leurs couleurs. En grandissant, il m'a été insupportable d'accepter la réalité selon laquelle je ne pouvais me contenter d'inspirer et d'expirer pour vivre.
Malgré tout, ce jour-là, je ne pus me résoudre de patienter jusqu'à l'heure du dîner.Je me suis attablé avec une conviction que je ne me connaissais pas, et j'ai pris le temps d'admirer mon assiette, un peu comme l'aurait fait un critique gastronomique.
J'éprouvais tant de satisfaction à avoir façonné de mes propres mains ce qui trônait au-dessous de mon nez. À l'image de l'amour que je lui portais, elle était parfaite. Ce n'était pas seulement divin pour les yeux, mais ça l'était aussi pour mes molaires et mes incisives qui n'éprouvaient aucune difficulté à acérer la viande qui m'était destinée.
J'avais voulu donner à cet instant tout le cérémonial religieux qu'il méritait. C'est pourquoi je m'étais assuré qu'aucun bruit ne viendrait parasiter sa solennité. Dans l'euphorie et l'exaltation que me procurait cette péripétie, j'avais même puisé dans mes économies d'étudiant fauché pour pouvoir m'acheter la meilleure bouteille que le caviste du coin me proposerait.
- C'est pour un événement très spécial, lui avais-je signifié.
Je n'ai jamais regretté d'avoir mis tant d'effort à la fabrication d'un tel trésor. Ne vous méprenez pas, mon coeur a souffert d'abattre une aussi belle bête d'une balle dans la tête. Pour un chasseur en herbe, je suis plutôt fière. Je n'ai été pris d'aucune hésitation quand il fut temps de tirer, même si les yeux de ma douce créature étaient emplis de détresse. Un choix était à faire, et si elle ne pouvait être à moi, elle ne demeurerait avec personne d'autre.
J'ai enfoncé une énième fois le couteau et la fourchette dans la charogne. Elle était tout aussi savoureuse que les jours où je m'adonnais avec elle au plaisir sexuel, si bien que j'avais l'impression de l'entendre jouir.
J'ai avalé cette nouvelle bouchée, que j'ai accompagnée d'un soupir de jubilation, avant de me lever pour me diriger vers le frigo.
J'ai ouvert le compartiment servant à congeler les aliments et là, parmi les nombreux morceaux prélevés sur le cadavre de ma bien aimée, j'ai perçu le tatouage d'une rose épineuse qui décorait sa cuisse ensanglantée.
- Ah, si seulement tu ne m'avais pas trompé Emma.