La rue de Turenne Ch 2
Bernard Delzons
Le déménagement :
Édouard était assis sur un des nombreux cartons qui encombraient la pièce. Il avait les clefs de son nouvel appartement depuis quarante-huit heures. Il était passé la veille pour s'assurer, une nouvelle fois, qu'il n'avait pas fait un mauvais choix. L'appartement avait été repeint de couleurs claires, blanc dans la cuisine et la salle de bain, gris clair dans le couloir, blanc et vert amande dans le séjour, beige clair dans les deux chambres. Le sol était couvert de plancher sauf dans la cuisine et la salle de bain. Ces deux pièces étaient très rétro 1930, mais ça lui plaisait bien. L'appartement était cossu, confortable mais un rien désuet. Il était reparti satisfait, puis il s'était rendu à son ancien logement où son ami Camille l'attendait. Il lui avait donné un trousseau, Camille serait là-bas dans le nouvel appartement pendant que lui resterait ici le temps du déménagement.
Dès que le logement avait été vide, il avait entrepris de le nettoyer avant de rendre les clefs au gardien. Lui qui était toujours soigné, voir apprêté, avait revêtu pour l'occasion une vielle salopette qu'il avait achetée des années plutôt quand c'était à la mode. Il avait trouvé ça sexy à l'époque, mais aujourd'hui, il trouvait ça ringard. Mais c'était parfait pour ce qu'il avait à faire, pensa-t-il. Avant de se mettre au travail, il se regarda dans la glace du couloir et sourit en se voyant dans cette tenue. Il se rappela le jour où il l'avait acheté, boulevard Saint-Germain dans une boutique qu'il affectionnait. Il revit la silhouette du vendeur et se dit que c'était pour ce beau garçon qu'il allait si souvent y faire ses emplettes. Un jour le vendeur avait été remplacé, Édouard avait, alors, espacé ses visites. C'était bien avant d'avoir rencontré Camille.
La première chose qu'il lui avait demandé quand ils avaient fait connaissance c'était la raison de sa présence aux obsèques de sa grand-mère. Camille avait simplement répondu qu'il s'intéressait à ce qui s'était passé pendant la deuxième guerre mondiale. Édouard l'avait regardé interrogatif, parce qu'il ne voyait pas le rapport avec Mayra, qui s'était installée à Paris après avoir quitté Madagascar. Il aurait dû poser d'autres questions, mais Camille l'avait fait entrer dans son atelier, et l'avait embrassé après avoir verrouillé la porte…
Quand il arriva rue de Turenne dans son nouveau chez lui, Camille était déjà reparti. Les meubles avaient bien été positionnés, là où il l'avait prévu. Pour l'essentiel, c'étaient ces meubles venaient de l'appartement de Mayra. Il avait gardé son secrétaire en chêne qui ressemblait étrangement à la bibliothèque qui était dans le salon quand il l'avait visité et dont il avait hérité en achetant l'appartement. Ce secrétaire composé d'une grande table de travail et de multiples tiroirs convenait parfaitement à son activité professionnelle, même s'il avait dû y adjoindre des éléments pour son matériel informatique. Il aimait beaucoup les meubles du salon composés de fauteuils club revisités dans le style indien, d'une table et de chaises basses qui leur étaient assortis. Le tapis persan était roulé devant la bibliothèque et il pensa qu'il serait du meilleur effet dans la pièce quand elle serait rangée. Dans la chambre à coucher il n'avait gardé que les tables de nuits de sa grand-mère de cœur et deux chaises de bistro en paille couleur brique. La penderie blanche qu'il avait apportée, trouvait exactement sa place sur le mur longeant le couloir, face à la fenêtre, il avait craint, un moment, qu'elle soit trop grande pour la pièce, mais il était rassuré, elle allait parfaitement. Il pouvait y ranger ses nombreuses tenues, il suivait la mode de près, mais Mayra lui avait appris à affiner ses goûts en respectant une certaine discrétion, heureusement, pensa-t-il.
Devant cet amas de cartons dans toutes les pièces, il se sentit soudain découragé par le travail qu'il lui restait à faire. Un instant il ferma les yeux, puis il se leva et chercha celui sur lequel il avait écrit « literie ». C'était la première chose à faire s'il voulait dormir cette nuit. Il ne le trouva pas dans le salon, ni dans la cuisine, ni dans la chambre. Il était sur le point de penser que les déménageurs l'avaient oublié quand dans l'entrée il aperçut son manteau qu'il avait jeté sur le premier objet trouvé en arrivant. C'était le vêtement le plus long qu'il avait dégotté pour cacher la salopette dont il était vêtu durant son trajet entre les deux appartements. Il souleva le duffle-coat et en évidence, il put lire l'étiquette, c'était bien ce qu'il cherchait. Il se baissa pour arracher le ruban adhésif, mais on sonna à la porte.
Il se redressa, se dirigea vers la porte pour ouvrir, mais avant même d'y arriver, il vit une femme qu'il ne connaissait pas, passer le nez par la porte entrebâillée. Un chat noir qui l'avait suivie, se faufila entre les cartons pour disparaître au fond du logement.
« Ne vous inquiétez pas, c'est mon chat il est très curieux, je suis votre voisine de palier. »
A vrai dire c'était moins l'animal qui le dérangeait que sa maîtresse. Il la dévisagea alors et s'aperçut que c'était une jolie jeune femme d'une trentaine d'années. Elle portait une longue robe coupée dans un tissu indien et de grandes boucles d'oreille. Elle lui faisait penser à une actrice connue mais en plus jeune, c'était ça Maria Pacôme.
« Ne vous inquiétez pas, votre porte était mal fermée et je voulais juste m'assurer qu'il n'y avait pas eu un cambriolage. Je m'appelle Félicie. » Devant l'air ahuri de son nouveau voisin, elle ajouta en riant « Aussi » Et après un bref silence : « Mes amis m'appellent « Licia ».
Édouard lui tendit la main et se présenta. Une boule de poils noirs vint se frotter à ses jambes. Il se baissa pour le caresser, mais le petit félin était déjà ressorti de l'appartement. La jeune femme s'apprêtait à le suivre, mais avant de sortir elle ajouta : « Si vous avez besoin de quoique ce soit, n'hésitez pas à demander, c'est la porte à côté, « FD » sur la sonnette. » Il n'avait pas eu le temps de répondre, elle était déjà partie. Il alla vers la porte, la ferma et donna un tour de clef, il ne se ferait plus surprendre.
Il venait de terminer son lit quand on sonna à nouveau à la porte. Persuadé que c'était sa voisine, il savait ce qu'il allait lui dire. Il ouvrit brusquement. C'était Camille, Édouard le fit entrer, sans remarquer que le chat était revenu.
En voyant la tenue de son ami, Camille lui demanda ironiquement : “Tu déménages ?”. Édouard lui lança à la figure, un coussin, la première chose qui lui tomba sous la main.
Le garçon était arrivé avec un pack de bières ; il en prit une canette pour lui et en tendit une autre à Édouard. Ils étaient en train de boire tranquillement quand la sonnette retentit à nouveau. Édouard alla ouvrir. C'était la voisine : « Vous n'avez pas vu mon chat ? J'étais certaine qu'il était sorti avant moi ! » Édouard allait répondre quand on entendit un miaulement terrible, Camille avait marché sur une patte du mistigri en sortant des toilettes.
Le garçon arriva dans l'entrée le chat dans les bras et en voyant la jeune femme il lui lança un « Aussi » avant d'éclater de rire. Édouard ne comprenait pas et commençait à regretter ce déménagement. Quand il sortit de sa torpeur, il entendit sa voisine lui dire :
« Je pense que vous aurez du mal à préparer un repas ce soir, venez diner à la maison, Je vous rappelle la porte à côté FD sur la sonnette. On sera quatre, je dirai à une copine de venir. » Camille avait accepté l'invitation avant qu'Édouard n'ait eu le temps de réagir. Licia avait attrapé le chat et annonça : « Au fait cette minette s'appelle Milou. »
Devant l'air interrogateur des jeunes gens, elle ajouta : “Moi on m'a bien qualifié de garçon manqué ! Alors pourquoi pas un nom de chien à une chatte” Elle sortit avec la susdite, dans les bras cette fois.
Enfin seuls les deux hommes entamèrent une discussion animée.
- Pourquoi tu as accepté ? Je n'en avais aucune envie, Elle a l'air envahissante !
- Tu verras, elle est sympa, malgré ses airs fofolles.
- Cette Licia, Camille, tu la connais bien ?
- Oui, un peu…
- Depuis longtemps ?
- C'était au Lycée. C'est une mangeuse d'hommes !
- Il ne manquait plus que ça. On ne va jamais être tranquille.
- Ne t'inquiète pas tu n'es pas son style.
- Je vois que tu la connais mieux que tu ne semblais le dire. Et toi tu es son style ?
- Non plus ! Jaloux ? En fait elle aime bien les rugbymans !
- Tu as eu une aventure avec elle ?
- Ça ne va pas ! C'était une amie de ma sœur qui me racontait tout ou presque.
- Alors elle va nous laisser tranquilles.
- Ça je ne crois pas. Sortie du sexe, elle aime bien les garçons sensibles et fins comme toi.
- Merde, merde
- Et pour toi, Camille, elle sait ?
- Elle sait quoi ?
- Ne fais pas l'imbécile, que tu es homo ?
- Je ne crois pas.
- Comment on va faire ?
- On n'a pas besoin de lui dire quoique ce soit.
- Mais si tu viens habiter avec moi, ici…
- Je te l'ai déjà dit, il n'en est pas question. En tout cas pas pour le moment, d'ailleurs, où je mettrais mon matériel ?
Devant l'air dépité de son ami, Camille s'approcha, le serra fort contre lui et l'embrassa. Puis il s'éloigna, mit son blouson et se dirigea vers la porte d'entrée. Avant de sortir, il se retourna et ajouta : « A ce soir Chéri. »
Camille est artiste peintre. Il fait des tableaux réalistes mais stylisés. Il a un certain succès. Il possède un petit atelier dans le 18ème, près de l'église où avait été célébré les obsèques de Mayra. Il y a une minuscule chambre, un coin cuisine et une douche qu'il avait aménagé dans l'arrière-boutique.
Édouard a, un temps, espéré qu'il viendrait s'installer avec lui dans ce nouvel appartement. Devant le refus de son ami il a cherché plus grand, mais c'était bien au-dessus de ses moyens, aussi il a dû y renoncer.
En plus du salon, dans cet appartement qu'il vient d'acheter, il y a bien deux chambres, mais il doit en garder une comme bureau. Il est critique gastronomique et il passe beaucoup de temps à rédiger des rapports à propos des lieux qu'il visite et de la qualité de la cuisine qu'ils servent.