La rue de Turenne Ch 5

Bernard Delzons

Camille se pose des questions

Une ressemblance :

 

Camille était en pleine réflexion, il avait peu parlé de sa famille à Édouard, Il pensa qu'il devrait le faire maintenant. 

 

Il ne lui avait pas dit qu'il s'intéressait à ce quartier du Marais, depuis qu'il avait découvert que sa grand-mère y avait habité. Il ne connaissait pas l'adresse exacte, aussi il avait fureté dans le troisième arrondissement de Paris en l'imaginant dans un de ces immeubles. 

 

Un jour, dans une vitrine d'une agence immobilière du quartier, il avait regardé les biens en vente, en pensant à Édouard qui cherchait un appartement. Tous étaient hors de prix, sauf un. Il était rentré dans l'agence et avait demandé des explications. Le vendeur ne savait pas trop comment expliquer cette différence. 

 

Une femme d'une cinquantaine d'années assise dans un coin prit part à leur conversation. Elle annonça qu'elle vivait dans cet immeuble, puis donna une explication qui lui parut plausible. Cette femme avait un fort accent. La tenue qu'elle portait le conforta dans son jugement. Elle portait une sorte de toque en fourrure et un manteau assorti, avec des bottes en cuir sombre. A l'évidence, elle devait être slave.

En roulant les « r », elle prit la parole.

-       Je peux, peut-être, vous renseigner, monsieur…

-       Camille Dumont, Oui ça m'intéresse

-       Pour vous ?

-       Non pour un ami.

-       Vous habitez le quartier ?

-        A Côté de la rue Le Pic.

-       Bel endroit, il y a un atelier de peintre dans le coin, je crois.

-       Il y en a plusieurs, J'en possède un, moi-même.

-       Ah ! Formidable. 

-       Revenons à cet appartement, dites-moi ce que vous savez.   

-       D'après ce qu'on m'a dit, l'appartement en vente aurait appartenu à une famille juive qui a disparu pendant la guerre. Nul n'ayant revendiqué ce bien, la mairie venait de le mettre en vente, après l'avoir mis à disposition d'étudiants étrangers, pour de brèves périodes pendant toute ces années, près de soixante ans s'étaient écoulés. Je n'étais bien entendu pas présente à cette période, mais j'ai appris tout cela en discutant avec le voisinage.

Un nouveau client entra dans l'agence à ce moment-là.

Camille n'avait pas eu le temps de demander plus de détails à cette femme et surtout pourquoi elle était là. C'était tellement étrange qu'une étrangère en sache plus que l'agent immobilier. Mais celui-ci semblait bien jeune et inexpérimenté. Camille apprit qu'il était à l'agence depuis peu et devina qu'il était provincial à son accent prononcé du sud, un étranger donc en région parisienne.

 

Camille n'avait jamais vu cette femme étrange, avant cette rencontre dans l'agence immobilière, ni ne l'avait croisée depuis ; mais il la reconnut quand elle était venue chez Édouard, pour l'apéritif qu'il avait organisé en guise de pendaison de crémaillère, il s'agissait de Tania la russe. Mais, ce jour-là ni elle, ni lui n'avait laissé paraître qu'ils connaissaient.

 

Il ne pouvait plus garder ça pour lui, il devenait urgent d'en parler à Édouard. Il ne faudrait pas qu'il l'apprenne par une tierce personne, pensa-t-il

 

Tania aimait entrer chez les commerçants du quartier et s'y attarder sur un prétexte ou un autre. Elle ne pouvait s'empêcher de continuer des enquêtes, comme elle le faisait quand elle travaillait dans les services secrets.

Pendant cette visite à l'agence, sans y rendre garde, l'avenant Camille avait laissé échapper suffisamment, d'informations pour donner des pistes de recherche à cette femme. Ainsi, elle avait retrouvé l'atelier du peintre, puis bientôt “fait la connaissance” d'Édouard. Oh, elle ne l'avait pas rencontré, bien entendu, mais elle avait découvert où il habitait et ce qu'il faisait. Elle avait vite compris qu'il utilisait des pseudonymes pour ses publications. Quand elle avait su qu'il était d'origine indienne, elle s'était dit qu'il n'y avait pas de hasard et qu'elle avait bien fait de suivre cette piste-là, de s'intéresser à ces deux-là. En effet elle fit aussitôt le rapprochement avec la famille juive qui avait habité l'appartement. Si l'homme était juif, sa femme était indienne lui avait-on appris. Il ne pouvait pas s'agir d'une simple coïncidence. 

Or elle portait un intérêt particulier pour cette famille depuis qu'elle avait pris connaissance de certains faits du passé.

Elle avait donc manipulé le vendeur de l'agence pour qu'il relance Camille. Cela n'avait pas été difficile, l'agent était d'origine russe par sa mère, aussi venait elle souvent bavarder avec lui dans leur langue maternelle, même si le garçon parlait le russe avec un fort accent du sud-ouest, lieu de naissance de son père. 

 

Espérant trouver des indices pour ses propres recherches, Camille avait poursuivi ses balades dans le quartier. Puis, il s'était décidé à parler de l'appartement à son ami. Ils l'avaient visité ensemble, et séduit, Édouard s'était décidé rapidement, le quartier lui plaisait, l'appartement était habitable sans travaux et le prix était acceptable pour le budget qu'il avait. Camille était content de partager son engouement avec Édouard, lui qui avait souvent du mal à s'attacher, avait cette fois envie d'approfondir cette relation. Malgré tout, il hésitait à parler de ses recherches à Édouard, c'était un peu son jardin secret ? 

 

Et puis, il ne savait pas grand-chose de sa grand-mère qu'il n'avait pas connue. Elle s'appelait Sarah Fernandez-Dumont.  Elle était morte avec son mari dans un accident de voiture, laissant deux jeunes gens orphelins. Le garçon était son père qui lui-même ne voulait jamais parler de sa famille tant il avait été traumatisé. Tout ce que Camille savait, il le tenait de sa tante, mais ce n'était pas grand-chose. Sarah Fernandez-Dumont avait quitté la France juste avant l'invasion de la France par les Allemands. Elle s'était mariée en Espagne. Surprise par l'intérêt de son neveu pour ce passé qu'elle préférait laisser derrière elle, la tante lui avait donné l'ours en peluche que sa grand-mère avait emporté dans son exile. C'était le dernier lien qu'elle avait conservé avec son passé. Camille possédait également une photo de Sarah encore jeune, qui lui avait servi de modèle pour faire un tableau la représentant, pensant à l'âge qu'elle aurait aujourd'hui, il l'avait volontairement vieilli. Il savait qu'elle avait un frère qui, lui, était parti se réfugier au Royaume-Uni et qu'il y était resté. Mort depuis longtemps, Il avait eu une fille dont Camille ne connaissait ni le prénom, ni le nom, puisqu'elle s'était mariée.

Les cousins vivant dans des pays différents, n'avaient pas cherchés à renouer des liens. 

 

Camille s'était rendu aux obsèques de Mayra, en apprenant par les journaux le drame qu'elle avait vécu enfant. Au travers elle, la ville avait voulu rendre hommage à ses parents, résistants pendant la guerre. Il avait tenté d'en parler avec Édouard, mais celui-ci ne voulut rien entendre, avançant que la vieille dame ne lui avait jamais parlé de telles histoires et qu'elle s'était installée en France en quittant Madagascar. Il s'agissait forcement d'une grossière erreur, avait-il ajouté, pour arrêter toute discussion à ce sujet. 

Pour Édouard, il n'y avait pas de doute, Mayra sa grand-mère était indienne, point. Veuve, elle portait toujours le nom Indien de son mari. Pourtant le nom de famille de Georges, le frère de Mayra aurait dû le surprendre, d'autant que cet homme semblait européen. Édouard savait que les indiens du nord avaient la peau blanche, aussi, il n'y avait pas fait plus attention que ça. Même le jour de l'enterrement, absorbé par l'émotion, il n'entendit pas le nom des Cohen pourtant, prononcé à plusieurs reprises.

 

C'est ce dont conviendrait Édouard des semaines plus tard.

 

En fait Camille pensait qu'Edouard ne voulait pas partager celle qu'il considérait comme sa grand-mère. Le peintre avait compris que c'était elle qui lui avait permis de s'intégrer dans le monde occidental, comme elle l'avait fait avec ses propres parents. Elle était l'adulte rassurant qui l'avait aidé à grandir et à trouver sa place dans une enfance pas si facile. Édouard lui avait un jour dit qu'il ne comprenait toujours pas pourquoi il était là le jour de l'enterrement. Devant l'air buté de son ami, Camille s'était efforcé d'expliquer : quand il avait vu le faire part annonçant le décès de la vieille dame et sa photo en noir et blanc, il avait été surpris par la ressemblance avec sa propre grand-mère, bien que l'une ait la peau claire et l'autre non.  “C'est ce qui m'a intrigué et poussé à te dévisager en pensant que tu étais son petit-fils.” Mais les regards échangés avaient détourné son attention sur autre chose, de plus personnel.

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