La bibliothèque :

Édouard était dans son salon confortablement installé dans un fauteuil, en train de lire le deuxième livre de Magdalena. C'était bien écrit, rempli de personnages attachants.  Il s'était laissé prendre par l'histoire pleine de rebondissements. Toujours critique, si on lui avait demandé un commentaire, il aurait dit cependant : “un truc de filles”. Milou était allongé dans son couffin qu'il lui avait acheté vu qu'elle passait beaucoup de temps chez lui. Il en était à la moitié de l'histoire et ça et là il reconnaissait des personnes de l'immeuble. Il pensa qu'il serait sans doute dans le prochain roman. Il n'avait pas remarqué que la chatte s'était levée. Elle fit le tour de la pièce, puis avait grimpa sur la bibliothèque. Ce meuble était là quand il avait pris possession de l'appartement. Édouard entendit soudain un grincement qui lui fit lever la tête, suivi d'un miaulement aigu de Milou. Il la vit sauter à terre et sortir précipitamment du salon pour se réfugier dans le couloir. Au même moment, il se rendit compte que la bibliothèque bougeait, plus exactement glissait le long du mur, laissant apparaître une porte. Il se leva précipitamment, y frappa et n'ayant pas de réponse, essaya de l'ouvrir. Elle était fermée.   

Quand on rentrait dans l'appartement, après une entrée exiguë, il y avait un long couloir qui desservait d'un côté la cuisine et le salon, de l'autre les chambres et la salle de bain. La bibliothèque se trouvait dans le mur du fond à l'extrémité du salon. Sur le palier, son appartement était à gauche en sortant de l'escalier, celui de Licia à droite et enfin celui de James en face. Au-delà de ce mur, on ne pouvait qu'être dans l'immeuble voisin, raisonna-t-il. Édouard avait remarqué, accrochée dans la bibliothèque, une clef dont il ne connaissait pas l'usage. A tout hasard, il l'essaya dans la porte qu'il venait de découvrir et put ouvrir.  Il découvrit un étroit passage donnant sur une nouvelle porte, elle aussi fermée à clef. Il alla dans sa cuisine chercher sa lampe de poche. Il explora le réduit et remarqua un petit seau suspendu, dans lequel il trouva une clef. Là encore, il l'essaya et il entra dans ce qui devait être un salon. Vu l'état des lieux, il ne pouvait y avoir de doute, ça n'avait pas été habité depuis des années. 

Édouard décida qu'il explorerait ce lieu mystérieux à un autre moment, Il referma les deux portes, remit les clefs à leur place et essaya de faire coulisser à nouveau la bibliothèque. Il ne réussit pas à la bouger. Il n'attendait personne, aussi, il décida de laisser comme c'était.  Mais on sonna à la porte. C'était Camille. En ouvrant il entendit le même grincement qui l'avait alerté un moment avant. Aussitôt inquiet, Camille lui demanda s'il avait de la visite. A peu près sûr de son fait, Édouard fit alors entrer son ami dans le salon et effectivement la bibliothèque avait repris sa place.

Édouard n'avait rien dit à son ami. Il avait peur qu'il se moque, soit qu'il pense qu'il avait trop fumé, soit qu'il avait rêvé. Il voulait trouver le mécanisme d'ouverture avant de lui en parler. Mais il était un peu inquiet, car Camille avait sûrement ressenti sa gêne et comme il était facilement jaloux, n'allait-il pas imaginer une histoire extravagante ?

Cette fois c'est Camille qui resta éveillé, pendant qu'Édouard découvrait une cachette de corsaire recelant de multiples trésors. Le peintre connaissait si bien son ami qu'il avait décelé qu'il lui cachait quelque chose. Peut-être avait-il découvert ce que lui-même avait tenu secret ? Ce qu'il avait dit sur Licia était en grande partie vraie. Mais il avait oublié un détail. A l'époque, elle avait un compagnon à la carrure de rugbyman. Camille avait flashé sur cet athlète, qui était passé du lit de la jeune femme au sien en quelques semaines. Sous ses airs de gros costaud, il était en fait assez efféminé, pas du tout au sens physique du terme, mais dans ses goûts et ses choix de vie. Cela aurait dû provoquer une brouille avec Licia, sauf que trop contente de se débarrasser de cet amant un peu collant, elle l'avait plus ou moins poussé dans les bras de Camille. Quand lui et le rugbyman s'étaient séparés, Camille avait repris ses habitudes auprès de la jeune femme. Aussi, quand elle lui avait annoncé que l'appartement mitoyen du sien se vendait, il avait manœuvré pour que Édouard l'achète. Si celui-ci l'apprenait, il serait sûrement furieux.

Il était là perdu dans ses pensées quand il entendit le même grincement que celui qui l'avait alerté à son arrivée dans l'appartement. Cela venait du salon. Il se leva précipitamment, aperçut Milou qui quittait la pièce pour le balcon. Là, il vit que la bibliothèque n'était plus à sa place et découvrit la porte qu'elle cachait. Il entendit les ronflements d'Édouard, il préféra ne pas le réveiller. Ils s'expliqueraient pendant le petit déjeuner. Il se remit au lit. De nouveau il entendit le grincement et quand il revint dans le salon la bibliothèque avait repris sa place. N'avait-il pas rêvé ? Il s'endormit profondément.  

Au réveil, ni l'un, ni l'autre n'osa parler de ce phénomène étrange tant ils doutaient de ce qu'ils avaient vu. Mais devant la bibliothèque, il y avait une mare d'eau, un vase cassé et des fleurs sur le parquet. Ils se regardèrent chacun sur la réserve. Édouard tenta : “ C'est encore ce chat !”  Puis, il se décida à raconter ce qu'il avait vu, attendant les sarcasmes de Camille, mais contre toute attente, celui-ci à son tour lui parla des évènements de la nuit.

Ils décidèrent de chercher à résoudre cette énigme le samedi suivant.

Avant de de reprendre la traduction qu'il faisait à cette période, Il prit son journal et écrivit ce qui suit : 

Toujours en train de vadrouiller dans l'appartement, Milou a fait une découverte extraordinaire aujourd'hui. Je n'ai pas encore compris comment il a fait, mais s'il m'a provoqué une petite frayeur, il semble que lui ait eu très peur, il s'est précipité hors de l'appartement à toute vitesse, comme s'il était poursuivi par un gros chien. J'ai craint qu'il soit tombé dans le vide tant il allait vite, mais non, je l'ai vu sur le balcon de Licia assis sur son coussin, visiblement en attente d'un autre évènement tragique.