La rue de Turenne Ch 8 :

Bernard Delzons

Drôle de fille

Licia :

 

 

Camille, parti, Édouard réfléchissait à la manière de s'organiser pour explorer le local qu'il avait découvert quand on sonna à la porte, c'était Licia. Elle avait une jolie robe parme parsemée de grosses fleurs fuchsia. Sans même dire bonjour, elle lui annonça : “j'ai quelque chose à te dire.” Pour la première fois, il remarqua que malgré sa peau claire, elle avait quelque chose d'exotique. Il la fit entrer.

-       Je vais me marier.

-       Sérieux ?

-       Très

-       Je croyais que tu aimais bien changer !

-       Baliverne, ça c'est l'opinion de Camille… Je voudrais que tu sois mon témoin.

-       Mais on se connaît à peine !

-       C'est vrai, mais Milou ne se trompe jamais et elle t'a adopté.

-       Mais.

-       Pas de « mais ». C'est prévu fin du mois de Juillet. Je me suis renseigné vous serez encore là.

-       Vous ?

-       Toi et Camille, vous ne partez que mi-août.

Édouard lui lança un regard interrogateur.

-       Je te connais mieux que tu crois.

-       Camille ?

-       Eh bien non, C'est Mirko qui m'a parlé de toi.

-        Je ne connais pas de Mirko.

-       Je sais, tu le connais sous un autre nom.

-       N'importe quoi.

-       Arnaud Chaudhori.

-       Arnaud ? Il a disparu de la circulation, il y a des années.

-       Oui, mais il est revenu.

-       Il n'a pas dû te dire que du bien de moi. Je l'ai mis à la porte de chez moi.

-       Il me la dit. Mais il est conscient que tu avais raison. Il sera mon autre témoin.

-       Ça se passera où ?

-       En banlieue. 

-       Pourquoi, toi la Parisienne.

-       A cause de mon futur mari, il est d'origine indienne comme toi.

-       Quel est le rapport ?

-       Ses cinq frères veulent nous improviser un concert.

-       Cinq frères ? C'est nouveau.

-       Oui, je sais il n'a qu'une sœur, je crois, ce sont des cousins ou peut-être de simples amis. Ils ne sont pas aussi cartésiens que nous en Europe.

-       Tu es sûre de toi ?

-       Of course, chéri.

-       Ça se passera où ? Dans une église ou dans un temple hindou ?

-       Dans un de leurs chantiers.

-       Es-tu certaine d'être à jeun ?

-       Bon, il faut que je te dise la vérité, c'est pour un film.

-       Alors tu ne te maries pas.

-       La robe blanche ce n'est pas pour moi.

Elle explique alors la scène qui sera tournée. Lui le témoin devrait la photographier pendant qu'elle sortirait de l'immeuble avec sa robe de mariée et son ombrelle blanche. Son mari ne se présenterait pas pour la cérémonie. Ses frères à genoux imploreraient le pardon de Ganesh. 

Édouard était sceptique. Il pensa que le scénario était nul, mais il ne savait pas comment le dire à Licia. Puis, il se rappela que quand ils avaient été dans le Kerala avec Camille, ils avaient assisté à quelque chose de semblable. La malheureuse fiancée paraissait désespérée et les hommes qui la regardaient sortir en courant semblaient pétrifiés. Seul Camille avait pu parler de ça à Licia. Alors il lui coupa la parole :

-       C'est Camille qui … ?

-       Non pas du tout.

-       Mais qui alors ?

-       Mirko

-       Encore lui, je suis perdu, on va en rester là, j'ai du travail.

-       C'était lui le marié.

-       Mais s'il n'était justement pas venu … ?

-        Il était bien présent, mais au moment où il allait retrouver sa fiancée, il t'a vu avec Camille. Troublé il est parti discrètement.

-       Mais…

-       C'est le fils adoptif des Delcourt, nos voisins du deuxième.

-       Quoi ? Il ne vient jamais les voir.

-       Il ne vient jamais ici, mais je sais qu'ils se voient.

-       Et le film, ça parle de quoi ?

-       En fait, il n'y aura pas plus de film que de mariage, je voulais te parler de Mirko, ne sois pas surpris si tu le rencontre un de ses jours…

Elle le quitta brusquement, prétextant qu'elle serait en retard à la librairie.

Édouard repensa à cette relation passée, qui lui avait laissé des mauvais souvenirs. Mais ce n'était pas ça qui le préoccupait. Il découvrait qu'une autre famille de cet immeuble avait un lien avec son passé. Cette fois le hasard lui paraissait improbable. A moins que Licia ne fabule complètement, ce n'était pas à exclure. 

 

Perturbé par cette intrusion dans sa bulle privée. Édouard sortit faire un footing pour se défouler. Il ne pouvait pas s'empêcher de gamberger sur ce qui venait de se passer.

 

« J'aime bien cette fille, mais par moment je me demande ce qui ne va pas chez elle. Elle est arrivée chez moi ce matin toute excitée en me racontant des choses complètement délirantes. Elle ne semblait pas sous l'emprise de l'alcool et encore moins d'une quelconque drogue. Sans doute, encore une relation amoureuse qui a mal fini ! A vrai dire je ne sais pas grand-chose d'elle et si j'en crois Camille, lui non plus, Il m'a affirmé qu'il ne l'avait pas revu depuis les années lycée, voilà bien une quinzaine d'année. Elle ne parle jamais de sa famille, mais elle disparaît régulièrement quelques jours pour aller la retrouver à Toulouse sa ville natale. Si j'ai bien compris, son père est décédé, quand elle était enfant, c'est ce que m'avait dit Camille quand je l'avais questionné. Il m'a parlé d'un tuteur en tout cas d'un homme de l'âge de son père qui s'est occupé d'elle quand elle était adolescente. J'étais vraiment prêt à la mettre à la porte ce matin-là, et brusquement, elle s'est calmée. Je me suis aperçu qu'elle avait des larmes plein les yeux, alors je l'ai pris dans mes bras. Elle s'est laissée aller un instant, puis elle est partie précipitamment ! 

Je ne sais plus où j'en suis ça fait un peu plus de deux mois que je me suis installé et j'ai l'impression d'avoir une nouvelle vie. Moi qui suis assez solitaire, depuis que je suis dans cet immeuble, il y a toujours quelqu'un qui vient me voir, je devrais dire nous voir. Je devrais être contrarié, mais non, c'est comme une famille avec des moments de joies et des secrets que chacun diffuse au goutte à goutte. »

 

De retour chez lui, Édouard s'installa dans son fauteuil et repensa à la scène à laquelle il avait participé malgré-lui. Il se replongea dans les images que lui avaient rappelées Licia : ce mariage Indien sans marié, cette femme en pleurs, les tambourins et les singes sur le toit. Fatigué, il s'endormit.

 

Édouard avait laissé Camille à l'hôtel, Il devait faire quelques croquis pour garder des souvenirs de cette journée. Ils lui serviraient de base pour des tableaux qu'il ferait à leur retour.

Édouard est dans la rue, il a revêtu la tenue qu'il a acheté dans l'après-midi, une tunique longue, vert-olive, cousue de fils d'or et d'argent sur une sorte de pantalon bouffant, blanc en toile légère, complétée par des babouches rouges avec un ponpon doré et une toque assortie . Il sent que les gens le regardent, malgré cette tenue qui aurait dû le faire passer inaperçu. Alors il se rappelle qu'il a Milou sur son épaule et il attribue ces regards à la présence du chat.

Il avance dans la rue, les gens s'écartent pour le laisser passer, derrière lui, il entend des murmures et quand il les comprend, il voit bien qu'on se moque de lui. Milou lève la tête et lui susurre à l'oreille : « ça t'appendra à t'habiller de la sorte ! » Surpris Édouard regarde le chat qui ajoute : « Tu fais exactement comme les Dupont et Dupond, toujours à vouloir être plus autochtone que les autochtones , mais c'est toujours trop !!!» Édouard aurait juré qu'il lui avait fait un clin d'œil. 

Gêné, il entre dans une pâtisserie et demande à gouter un gâteau qu'il a vu à la devanture. Le patron, un gros bonhomme avec un turban brodé sur la tête, lui fait porter ce qu'il a commandé avec un verre rempli de thé. Le jeune serveur passe sa main sur la tête du chat. Il a aussi préparé une petite coupelle avec quelques croquettes et un récipient avec du lait. Milou se lèche les babines descend sur les genoux de son maître et commence à laper son lait et croquer ses friandises. Édouard, absorbé par sa propre dégustation, l'entend lui dire : « Ce pays est le meilleur du monde, ce n'est pas à Paris qu'on me servirait ainsi. » 

 

Milou a repris sa place sur l'épaule d'Édouard, les deux ressortent , mais avant de quitter l'endroit, le chat se tourne vers le patron qui leur fait des courbettes et de manière assez désagréable il s'écrie : « Arrête ton cirque vieux con ! ». Édouard ne sait pas où se mettre, mais visiblement l'homme n'a pas compris car il répond : « Quel animal intelligent vous avez là ! ». Le jeune serveur, lui, sourit et leur fait signe de la main en guise d'adieu. Milou lève sa patte droite pour le remercier.

 

Il entre alors dans une librairie pour demander un livre sur Madras, la ville où ses parents se sont rencontrés. Le vendeur est occupé, il devra attendre. Milou saute par terre, puis se précipite sur une bibliothèque. Édouard se retrouve brusquement dans son salon, Milou tapote sur des petits animaux en relief sur les bords du meuble. Édouard s'avance vers son chat, le prend dans les bras,  c'est le moment où le vendeur lui demande ce qu'il cherche, le faisant sursauter. Édouard regarde les étagères garnies de livres,  il est surpris qu'elles n'aient pas bougé. Puis c'est le moment de payer. Le libraire demande s'il veut un paquet cadeau. Édouard fait signe que oui. Le vendeur s'affaire et quand il se retourne , c'est une femme en sari, il n'y a aucun doute c'est Licia sa voisine de palier. Il veut lui demander ce qu'elle fait là, mais Milou saute par terre à la poursuite d'un jeune rat qu'il a juste eu le temps d'apercevoir. Édouard veut le rattraper, mais une voix grave lui dit de ne pas s'inquiéter, le rat a ses habitudes, il ne risque rien. L'homme lui tend son paquet, Edouard le regarde incrédule, puis sort avec Milou qu'il a récupéré.

 

Dehors, Édouard décide de rentrer à l'hôtel, Il n'a fait que quelques pas, quand un jeune garçon lui bloque le passage et lui demande quelques roupies pour manger. Le garçon lui ressemble quand il était adolescent. Il porte la même tenue que lui, il se rend alors compte que ses vêtements ont changés, ils ont tous les deux vêtus de blanc à la Gandhi. Le gamin a un petit singe sur son épaule, pendant que lui-même discute avec le jeune mendiant, il entend le singe s'extasier sur l'animal que porte Édouard « Je n'ai jamais vu un cousin pareil » à quoi Milou répond « Et moi je n'ai jamais vu de chat comme toi ! »      

 

Édouard a donné cinq roupies au garçonnet.  Immédiatement une multitude d'autres enfants arrivent pour demander quelque chose. Un policier se précipite pour rétablir l'ordre et contre toute attente il demande à Édouard s'il a son permis de porter un chat dans la rue. Édouard devient rouge écarlate, Il l'a laissé à l'hôtel, il ne sait comment il va s'en sortir. Milou lui suggère de dire qu'il est un bébé tigre trouvé dans la forêt derrière son hôtel. Édouard hausse les épaules. Il ouvre sa sacoche plonge la main à l'intérieur, il en sort un foulard, puis un deuxième, puis un troisième… les enfants s'en saisissent. Soudain il trouve quelque chose de dure, c'est, c'est…- Il se rappelle c'est « le Sceptre d'Ottokar », une aventure de Tintin…

 

On sonne à la porte, Il se réveille. Milou était entré dans l'appartement, sans qu'il l'entende et s'était installé sur ces genoux. Il ronronnait tranquillement .  Il se lève pour ouvrir. C'est Licia qui sans attendre lui demande s'il n'a pas vu son chat !  

 

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