La rue de Turenne Ch 9

Bernard Delzons

Le mystère de la bibliothèque.

Retour devant la bibliothèque :

 

Édouard était devant la bibliothèque et cherchait le dispositif que la chatte avait déclenché. Le meuble était composé de deux parties : la partie basse plus épaisse avec des portes fermées que Milou n'avait pu ouvrir, et la partie haute étroite sur laquelle, il devait approfondir ses recherches. Milou ne pouvait pas accéder aux étagères supérieures. Le champ d'inspection était donc assez réduit. Au fond du premier rayonnage Édouard repéra différents motifs en relief : une petite maison, une souris, un livre, un chapeau, une pelote de laine, une voiture. 

Il essaya de les manipuler, mais sans résultats. Il se dit que la souris avait dû intéresser plus particulièrement le chat. Il s'escrima à la bouger mais en vain. Il entendit un bruit de clef dans la serrure, puis quelques minutes après, il vit apparaître Camille. Il lui expliqua ses recherches. Ils partirent dans la cuisine pour boire une bière. 

 

Ils décidèrent d'aller diner au restaurant « Le Vieux Casque » où ils avaient leurs habitudes. La gérante était une amie de Camille et les serveurs étaient de jolis garçons pleins de charme. Le service se faisait sur trois étages : le rez-de-chaussée assez bruyant, une salle voutée, en sous-sol, un peu sombre et une mezzanine, l'endroit qu'ils préféraient. Ils reprendraient leurs investigations le lendemain. Ils sortirent du restaurant un peu éméchés si bien que moins discrets qu'à leur habitude, Édouard essayait d'ouvrir la porte quand Licia entrebâilla la sienne pour leur souhaiter la bienvenue en riant. Se souvenant de son discours du début d'après-midi, Édouard se précipita chez lui, laissant Camille discuter avec leur voisine. Cela ne dura pas. Camille se déshabilla à la hâte, jetant ses affaires en vrac ici ou là quand Édouard pliait encore soigneusement son pantalon. Enfin tous les deux au lit, ils s'embrassèrent. Soudain ils entendirent le crissement de la bibliothèque. Ils se levèrent d'un saut et eurent juste le temps de voir Milou se réfugier dans la cuisine. Ils se rapprochèrent du meuble et le virent reprendre sa position initiale. Revenus au lit, Édouard réfléchissait à comment trouver le secret pour déclencher le mécanisme d'ouverture, Camille repensait à ce qu'il lui avait raconté et n'y tenant plus, il lui posa des questions :

-       Qui c'est ce garçon ?

-       Quel garçon ?

-       Mirko, Arnaud…

-       Laisse tomber, complètement inintéressant

-       Pas tant que ça, sinon tu en parlerais plus facilement.

-       C'était, il y a des années, Il est d'origine indienne comme moi, je l'avais rencontré dans un café et nous avions commencé à discuter, puis nous sommes allés au restaurant. Bref je suis tombé amoureux et lui n'a rien fait pour m'en dissuader. Il est venu chez moi, puis il s'est installé, mais il refusait que je le touche. Un jour j'ai découvert qu'il avait une copine. J'ai fini par comprendre qu'il m'avait joué la comédie pour se faire loger à l'œil. A l'époque, il vivait de façon marginale, même s'il avait fait des études d'ingénieur, c'est ce qu'il m'avait dit, mais avec le recul j'ai des doutes.  J'étais tellement furieux et désappointé que je l'ai mis à la porte. Après je n'ai plus entendu parler de lui jusqu'à aujourd'hui. Quand je l'ai rencontré, il portait un prénom français et un nom indien, maintenant c'est l'inverse. C'est vraiment un drôle de « loustique » ! Serais-tu jaloux ?

-        Jaloux, non, mais je trouve curieux que tu ne m'en aie jamais parlé.

-       J'ai été très perturbé par cette histoire et pendant longtemps. Je crois que j'ai commencé, vraiment, à m'en remettre quand je t'ai rencontré.

Un long silence suivit cette discussion, puis Édouard se rendit compte que Camille s'était endormi. Voilà que cet étrange personnage revenait dans sa vie. Il savait qu'il avait été adopté et que ses parents adoptifs avaient été le chercher en Inde. Mirko lui avait expliqué qu'il se sentait de trop dans cette famille. Ses parents avaient eu des jumeaux, deux ans après l'avoir adopté. Même s'ils s'en défendaient, il affirmait qu'ils avaient une préférence pour eux. Il était parti de chez eux, après avoir obtenu ses supposés diplômes. D'un seul coup, Édouard revit les images de ce mariage auquel lui et Camille avaient assisté dans le Kerala, il revit la mariée en pleurs et puis un visage qui lui rappelait quelqu'un derrière un pilier. Il s'endormit brusquement.

 

Édouard se trouvait déjà devant la bibliothèque, en polo et jogging, Camille lui était encore dans la salle de bain, quand on sonna à la porte. En ronchonnant, Édouard partit ouvrir persuadé que c'était Licia, la voisine. Il ouvrit et se trouva face à Tania, la Russe.

-       Je suis désolé de vous déranger, mais je voulais vous mettre en garde contre Mirko, le fils des gens du deuxième étage.

-       Je ne comprends pas.

-       Je sais que vous avez été mis au courant que c'est la même personne que Arnaud…

Édouard lui coupe la parole brusquement.

 

-       Je n'ai pas vu ce garçon depuis des années et je n'ai aucune envie de renouer avec lui.

-       Je ne voulais pas parler de votre intérêt personnel, mais plutôt de vos préoccupations professionnelles.

-       Je ne vois pas pourquoi un critique gastronomique …

Elle le coupa à son tour.

-       Votre couverture est très bonne, mais nous savons qu'elle est votre véritable activité.

-       Vous êtes qui ? Institutrice ? Vous travaillez pour qui, pour les russes ?

-       Peu importe, je ne vous veux aucun mal, simplement vous mettre en garde.

La femme tourna les talons et redescendit par les escaliers.

Édouard referma sa porte. Il ne comprenait rien. Certes, il n'est pas que critique gastronomique, mais son autre fonction n'avait rien qui puisse intéresser les services secrets.

Comment connaissait-elle cette activité secondaire ?  Certes, Camille était au courant, mais il ne pouvait pas lui en avoir parlé.

Ça ne lui aurait pas permis de vivre, mais c'était un complément qui lui permettait de s'offrir quelques fantaisies ici ou là.

Il se dirigea vers le salon et croisa Camille qui sortait de la salle de bain et qui lui demanda qui c'était. Ronchon, il lui répond de façon laconique : “La Russe du premier”. Comme Son ami lui l'interrogea sur ce qu'elle voulait, il répond : “des conneries” puis ajouta : “Habille-toi, on va chercher le mécanisme.”

A ce moment, il entendit le grincement bien connu, il se précipita et vit Milou s'enfuir précipitamment. En s'approchant du meuble, il aperçut un bouton qui n'avait pas attiré son attention jusque-là. Il le toucha et la bibliothèque reprit sa place initiale. Le bouton avait disparu. Mais il avait eu le temps de repérer son emplacement et il s'empressa de faire un cercle au feutre à l'endroit qu'il venait de remarquer. Il ne voulait surtout pas perdre cette information précieuse. Après un examen précis, il comprit pourquoi il ne l'avait pas remarqué. C'était comme un nœud naturel dans le bois. Quand Camille le rejoignit, Il lui expliqua ce qu'il venait de constater. 

 

Son ami eut soudain une idée, il avait un chat quand il était enfant et il se rappelait les gestes de celui-ci quand il jouait avec quelque chose ? Alors, comme s'il était le chat, il donna des petites tapes sur les objets en reliefs du fond de l'étagère. Hélas rien ne se passa. Édouard recommença à son tour, mais sans plus de succès. Il insista, puis, imagina le chat assis jouant avec les objets et il essayait de tapoter en même temps sur la souris et la pelote de laine. Il ne se passait toujours rien. Sauf que sur la marque qu'il avait faite, le bouton est ressorti. Alors, il comprit que pour tapoter ces deux jouets, le chat devait être assis précisément là où il avait fait la marque. C'était sans doute ainsi que le mécanisme s'était déclenché…

 

Content de lui, il récupéra la clef de la porte et s'avança pour ouvrir, mais Camille le rattrapa par le bras aussitôt.

-       Tu ne vas pas t'aventurer là-bas sans être sûr de pouvoir revenir, et au moins que je puisse réenclencher le mécanisme, si tu es bloqué de l'autre côté.

-       Mais tu as bien vu ce qu'on a fait, et pourquoi ça se refermerait ?

-       Déjà, ça fait déjà deux fois que ça se referme tout seul.

Bon gré, mal gré, Édouard obtempéra. Il appuya sur le bouton pour que la bibliothèque reprenne sa place. Puis sûr de lui, il refit les gestes qu'il avait exécutés un moment avant ? Mais cette fois il ne se passa rien. Il devint rouge, tellement il est contrarié. Il alla chercher une loupe dans son bureau et chercha à comprendre en examinant la souris et la pelote de laine. Il remarqua que la souris avait un œil plus brillant que l'autre et que la tête de l'aiguille à tricoter sur la pelote avait le même aspect. Il toucha les deux en même temps et le bouton d'ouverture sortit. Content de lui, il renouvela l'opération plusieurs fois et là, ça marchait à tous les coups. 

 


 

Signaler ce texte