La rue et le penseur
bamchri
La rue et le penseur
«...Il y a des milliers de gens dans cette rue qui travaillent... Ou de ceux qui s'activent et marchent, des gens qui vont et viennent, arrivent et partent, pensent et oublient, une seule chose en ce mardi, qu'ils desservent avant tout, le travail...
...Bien sûr, l'incessant et primordial amour hante chacun d'entre eux ; ils admettent même que c'est la chose la plus importante, parfois... je crois qu'aucun n'y pense à ce distributeur de billets, par exemple... même si de temps en temps c'est à l'achat de roses aux chrysanthèmes chez ce fleuriste du coin qu'il sert...
...Il y a le boucher qui n'en rate pas une ; en surveillant son rotissoire que personne ne critique jamais, ou de derrière son comptoir perpendiculaire à la rue... ce genre de bonhomme qui vit plus pour l'amour que pour le fric... d'ailleurs n'a t-il pas dit un jour à une de ces ménagères :
_ Les hommes cherchent de l'argent pour trouver une femme, et les femmes c'est le contraire (...)
...Mais que les cadres se croisent devant les «watchinger people» assis à la terrasse de l'Étrier ; ils semblent toujours plus cons que le poissonnier, ou l'cordonnier qui dans des gestes peu pressés voient les coups de foudre mourir en jets...
...Toutes ces bruyantes voitures et leurs fumées achèvent de presser le quartier ; à leurs commandes des égoïstes polluants pour cinq prétendent et vocifèrent, en fait à leur par-brise, qu'ils sont légitimes de foncer... les pires, ceux qui s'arrêtent, ont des rendez-vous dans des boîtes, toutes pleines de téléphones, de climatiseurs, d'ordinateurs et d'halogènes...
...La bouche de métro, elle-même emploie des êtres qui je l'espère rêvent encore...
...Parfois il m'arrive de compter trois, quatre visages exprimant qu'aujourd'hui ils font ce qu'ils voulaient... et puis les chauffeurs de bus de Taxis, ou les livreurs en tout genre, convoyeurs, policiers ; ils livrent et délivrent les produits...
...La poste, la banque admettent des queues de cerveaux au dixième agité...
...La presse, la supérette et les kiosques on l'air de bien s'entendre... pas comme les boulangères et les tabacs, qui à quatre et deux boutiques, n'arrivent pas à assurer le sept jours sur sept pour se rassasier...
...Et tout ce monde passe devant moi au moins une fois!
...Le cinéma, lui c'est le soir qu'il brille par son divertissement ; alors la rue est plus clémente... les gens y sont par dévotion. Ils laissent une plus grande place à leurs sens... l'amour dans toute sa puissance manque soudain de repère alors que l'occasion est belle... mais le cordonnier, le poissonnier ne le voient plus...
...Et c'est à tous les bars, à ce night-club, à ce piano-bar, que revient le travail en force...
même le genre de types qui passent leurs jours à la salle de gym ou sur les terrains de sport, ils bossent devant ces endroits le soir... et attention, c'est eux qui décident si tu entres ou si tu sorts... des fois ils cognent des mecs, des gamins, qu'on pas l'âge de rentrer... tu parles... si ils sont dans la rue, pourquoi pas dans les bars... ou aux putes... ça les calmerait...
...Bien sûr même quand tout ça ferme il y a encore du mouvement, même du travail...
tiens, pour les mecs comme moi... et bien on vient nous voir... c'est des types... y sont volontaires... ou bénévoles qu'ils appellent ça... les flics aussi, ils tournent toute la nuit...
...Parfois il se passe quelque chose... souvent c'est pour des délires à cause de l'alcool... donc y a des pompiers qui interviennent ou des ambulances...
...L'autre jour j'ai même vu les gars d' E.D.F., là G.D.F., qui venaient en pleine nuit pour une fuite de gaz...
... Y a des voyous... pis tiens, des mendiants, ils travaillent pas eux, les mendiants?
_ Vous croyez pas qu'un penseur, il travaille? » Hiver 2006, Paris