La serrure

etiennebnc

La vie des choses, des shoes, des chaises et du cheese...

La serrure est une femme secrète, qui ne parle pas pour ne rien dire. Elle n'enfonce jamais de portes ouvertes. La serrure aime le mystère. Elle aime ouvrir ses jambes quand sa clé préférée vient lui titiller la chevillette. Et dans un va-et-vient érotique, dans son trou de serrure, les écrous lâchent et le loquet fait couiner la porte dans une cacophonie incroyable. Une vraie coquine qu'aucun n'oserait cocufier car quand la serrure est mécontente, il devient difficile d'ouvrir la porte de son coeur.

On ne le voit pas, mais la serrure nous regarde. Par le loquet de la porte. Elle nous observe, nous identifie, nous moque, ou nous aime. Si elle avait une caméra, nul doute que nous serions les acteurs principaux de son long-métrage. Mais à ce jeu là, la serrure est en concurrence directe avec le judas. Ce n'est pas qu'elle ne l'apprécie pas - elle se sent bien supérieure à lui - mais elle ne comprend pas sa fonction. Elle le trouve de trop sur la porte.

Bref, elle ne comprend pas ce que fout le judas à cet endroit et elle aimerait qu'on fasse une croix dessus. De toute manière, elle ne lâchera rien, et protégera sa place coûte que coûte. Pas du genre à mettre la clé sous la porte.

La serrure est une batailleuse, parfois revêche, chiante pour l'éméché qui rentre de soirée,  Elle aime et elle veut qu'on la considère. C'est une féministe soixante-huitarde à la pudeur…soixante-huitardive. Plus elle vieillit, plus elle a de mal à montrer son intimité. Parfois même, elle doit se badigeonner de lubrifiant pour faire l'amour à sa précieuse et fidèle clé -qui elle aussi peut vieillir et se tordre…

La serrure a une peur. Les intrusions violentes. En premier lieu, les clés inopportunes qui tentent de la pénétrer… Trop grosses, ou bien simplement non-désirées, ces clés sont fréquentes chez l'homme pressé, ou ivre. Les cambriolages, les vols aussi, sont de véritables viols pour la serrure qui se fait sauter à coup de pied de biche. C'est veule, vil et violent, à pleurer des notes de violon. Ce coup du sort où les ressorts explosent est de plus en plus fréquent. La serrure se heurte à la rue. Elle compte alors ses heures et ses râles enrhumés par la tristesse et la douleur. Elle est seule. Il pleut dans son coeur comme il pleut sur la ville… Et la rouille arrive déjà vers ce nouvel asile…

Alors les serrures changent, évoluent. Dans les hôtels déjà, les clés sont remplacées par des cartes magnétiques vigoureuses. Les serrures ne sont plus que de vulgaires composants électroniques. Des cagoles tape-à-l'oeil au maquillage surfait et à la plastique refaite, digne de la dernière Nabilla d'une quelconque et lugubre salle des fêtes.

En fait, la vieille serrure est pleine de mélancolie. On passe de moins en moins l'oeil vers elle. C'est triste pour cette coquette en quête d'amour. Désormais, on la brouille et la romance est terminée. On la jette dans un tiroir que l'on referme… avec un cadenas. Et c'est tout un monde qui se ferme, plein de magie et de rêves… Tchack !

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