La statue a inspiré mon acte

My Martin

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Vendredi 14 mai 1610. Seize heures. Un carrosse s'engage au cœur de Paris, dans la rue de la Ferronnerie. Une ruelle étroite  

À son bord, accompagné de seigneurs de la cour, le roi Henri IV 

Sans escorte, il se rend au Grand Arsenal. Au chevet de son ministre le duc de Sully, grand maître de l'artillerie, souffrant 

 

Vêtu de vert, un homme à la barbe rousse suit le carrosse  

  

L'auberge, au "Cœur couronné percé d'une flèche"    

Un encombrement  

  

Le carrosse s'immobilise 

Les gardes descendent des marchepieds. Ils vont voir en avant, ce qu'il en est 

  

L'homme bondit sur le marchepied 

Trois coups de couteau 

le premier touche le roi près de l'aisselle, sans dommage majeur 

le deuxième l'atteint au poumon droit. Sectionne veine cave et aorte 

le dernier perce la manche du duc de Montbazon, qui s'interposait 

  

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L'agresseur ne cherche pas à s'enfuir 

  

L'arme à la main, François Ravaillac (32 ans) est arrêté                 

  

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À l'agonie, Henri IV (56 ans) est transporté au palais du Louvre 

  

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Pour le soustraire à la fureur de la foule, l'assassin est conduit sous bonne garde à l'hôtel de Retz, rue Saint-Honoré, afin d'y être interrogé 

  

Regrette-t-il son geste ? Aucunement 

Si le coup était à refaire, il le referait  

Il ne souhaite aucune pitié 

  

Un esprit embrouillé 

Ses propos, ses gestes, semblent incohérents 

  

Pour François Ravaillac, Dieu manifeste sa colère envers le protestantisme 

  

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Conciergerie de Paris. Plusieurs jours durant, afin de lui extorquer des aveux, la question est appliquée à François Ravaillac 

  

Serrés par des vis, les pouces sont écrasés 

Les brodequins. Entre des planchettes, les jambes écrasées  

  

Personne ne croit en l'acte isolé d'un fou 

François Ravaillac doit avouer 

l'acte des jésuites, qui auraient dirigé sa main. Les jésuites ont de puissants ennemis ; on leur prête de troubles menées 

voire, un complot politique 

  

François Ravaillac maintient ses dires  

Pour tuer le roi, il est venu à pied à Paris. Sur l'ordre de Dieu, il est passé à l'acte  

il n'a été inspiré, conseillé, par personne 

il est le seul concepteur, exécutant, de l'assassinat du roi 

  

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Certaines personnes qui ont côtoyé l'accusé, ne sont pas entendues 

  

Entre l'arrestation de François Ravaillac et son exécution, treize jours. Procès expéditif  

  

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Jeudi 27 mai 1610. Le président du Parlement de Paris, Achille de Harlay 1536-1619, et ses assesseurs, pénètrent dans la cellule de François Ravaillac 

À genoux, il écoute la sentence de ses juges 

  

Il est « convaincu du crime de lèse-majesté divine et humaine au premier chef, pour le très méchant, très abominable et très détestable parricide, commis en la personne du feu roi Henri IV. »  

  

Parricide. Il a tué le père du royaume 

Sacrilège. Il a porté la main sur une personne sacrée  

  

Le même jour, il est extrait de la Conciergerie 

conduit devant la cathédrale Notre-Dame 

Il tient une torche ardente. En chemise, il s'agenouille  

La foule hurle. Personne n'entend François Ravaillac faire amende honorable  

  

Il est conduit devant l'église des Saints-Innocents, à proximité du Louvre, où Henri IV a rendu son dernier soupir 

  

On lui brûle la main droite, avec laquelle il a poignardé le roi 

  

Place de Grève -l'actuelle place de l'Hôtel de Ville 

On empêche les curés de la Sorbonne de réciter des prières, pour l'âme du condamné 

  

François Ravaillac est tenaillé aux mamelles 

  

Pendant deux heures, François Ravaillac (32 ans) est écartelé par quatre chevaux  

  

Un bûcher, pour brûler ses restes 

  

  

Angoulême. La maison natale de François Ravaillac est rasée. Interdiction d'utiliser le terrain pour bâtir 

Pour effacer toute trace dans la mémoire collective, le nom Ravaillac est rayé de la liste des noms propres 

  

Dépossédée de ses biens, sa famille est contrainte à l'exil 

 

  

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1577. François Ravaillac, né à Angoulême     

Fils cadet de Jean Ravaillac  

et de Françoise Dubreuil, mère pieuse et illettrée 

élevé dans la haine des huguenots 

  

François Ravaillac naît dans une région catholique traumatisée par les guerres de religion. Bastion du catholicisme, sous l'autorité du duc d'Epernon 

  

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Sa famille est confrontée à d'importants problèmes, liés à la conduite de son père 

1588. Jean Ravaillac participe à une tentative d'assassinat du duc d'Épernon, gouverneur de la ville 

Il perd son poste de secrétaire greffier du maire d'Angoulême. Il sombre dans l'alcool, enchaîne les déboires financiers, dilapide le patrimoine familial 

Les deux jeunes sœurs quittent le foyer familial 

  

Geoffroy, le frère aîné de François, se fera connaître à l'âge adulte par sa brutalité et ses démêlés judiciaires 

  

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Valet de chambre. Maître d'école, il enseigne le catéchisme 

Fervent catholique, il s'oriente vers l'ordre des Feuillants de Paris, particulièrement rigoureux (Contre-Réforme catholique), pour devenir frère convers 

229-235, rue Saint-Honoré 

  

Visions. Hallucinations 

Il quitte la communauté 

  

Par deux fois, pour le convaincre de convertir les huguenots, il tente d'approcher le roi         

Le roi, l'ennemi du catholicisme. Il va se lancer en guerre contre le pape 

  

François Ravaillac reçoit une mission divine. Tuer le roi  

  

  

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Février 2022 

Étampes. Musée intercommunal 

  

Sylvain Duchêne, directeur des affaires culturelles 

« L'histoire locale rejoint parfois l'histoire de France » 

  

Une tête du Christ avec sa couronne d'épines, est restaurée 

  

L'œuvre provient d'un monument, autrefois installé à l'angle de la rue du Haut-Pavé et de la rue Saint-Jean 

  

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1610. Étampes. Passant devant la statue du Christ, François Ravaillac décide de mettre en œuvre son projet d'assassinat  

  

Lors de son procès, François Ravaillac déclare. « La statue a inspiré mon acte. » 

  

  

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Mai 1610. Henri IV a échappé à vingt-cinq tentatives d'assassinat 

  

Certains détestent la poule au pot 

D'autres dénoncent les frasques sexuelles du roi 

  

On lui reproche son opportunisme religieux. Un jour, réformé ; le lendemain (25 juillet 1593), catholique  

  

Sitôt après son couronnement, il focalise la haine des fanatiques 

Soutenus par le pape et l'Espagne, les ligueurs contestent sa légitimité. Seul le régicide peut sauver la France et le catholicisme. Prendre le pouvoir par la terreur 

  

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Le rythme des attaques ralentit, mais la pacification des esprits n'est pas acquise 

De fervents catholiques sont inquiets. Les huguenots menacent, agressent la Sainte Église catholique, apostolique et romaine 

  

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Au sortir des guerres de Religion (1562-1598), la société est armée à hauteur de ses moyens 

Nobles et bourgeois. Arquebuses, mousquets, arbalètes 

Gens du peuple. Couteaux 

  

Le propriétaire d'un couteau de qualité affiche ainsi, sa condition sociale 

Le port d'armes est interdit aux roturiers, mais il est difficile de faire la différence entre un couteau utilitaire et une dague 

  

Peu respectés, des textes tentent  

de limiter, voire d'interdire, le port d'armes 

limiter la longueur des lames  

réglementer l'activité des émouleurs (coutellerie, premier aiguisage des lames) et rémouleurs (réaffûtage) 

  

  

Mardi 1er août 1589. Château de Saint-Cloud. Henri III, roi de France de 1574 à 1589 

Henri III (37 ans) est poignardé par Jacques Clément (22 ans), moine dominicain ligueur 

Le roi a commandité l'assassinat du duc Henri Ier de Guise « le Balafré » (Blois, 23 décembre 1588). Le défenseur de la foi catholique 

Le roi est l'ennemi déclaré du catholicisme 

  

Pour François Ravaillac, ce régicide perpétré vingt-et-un an plus tôt, est l'exemple à suivre   

  

  

Vendredi 30 avril 1610. François Ravaillac hésite. Il vole un couteau, endommage la lame. Il ne s'en sépare pas 

Il renonce à son projet    

  

Il attend le couronnement de l'épouse d'Henri IV, Marie de Médicis (13 mai 1610, en la basilique Saint-Denis) 

  

Faubourg Saint-Jacques. Il séjourne à l'auberge des Cinq-Croissants  

  

Rue Saint-Honoré. Puis plus près de la demeure du roi (le palais du Louvre). Auberge des Trois-Pigeons, près de l'église Saint-Roch  

  

Ses économies s'amenuisent   

  

Entretemps, il est éconduit par une hostellerie proche du quartier des Quinze-Vingts. Sur une table, il dérobe un couteau  

  

François de Malherbe (poète), dans une lettre 

à Nicolas-Claude Fabri de Peiresc (érudit universaliste ; l'avocat de Galilée) 

Un « couteau de cuisine, long comme une espèce de baïonnette, et tranchant des deux côtés. » 

  

Pour sécuriser la lame, un tourneur change le manche original pour un autre, en bois de cerf 

  

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François Ravaillac quitte Paris. Il rentre à Angoulême 

  

Auvers-Saint-Georges, 42 kilomètres au sud-ouest de Paris  

Hameau de Chanteloup, vers Auvers-Saint Georges. En l'introduisant dans l'essieu d'une voiture, il brise la pointe de son couteau -pour s'interdire de l'utiliser contre le roi ? 

  

Etampes. Faubourg Saint-Martin. Un carrefour occupait l'angle actuel de la rue de Saclas 

Un Ecce Homo ; une représentation de Jésus de Nazareth debout, couronné d'épines et revêtu d'une cape, les deux mains entravées par une corde, tenant un sceptre de roseau 

  

Vision 

  

Sur une pierre, François Ravaillac aiguise son couteau  

Il retourne à Paris 

  

  

Aujourd'hui, le couteau serait entre les mains des descendants de Jacques Nompar de Caumont, maréchal de La Force (1558-1652) 

Un fidèle du roi, présent à ses côtés, lorsqu'il fut assassiné 

  

Une arme de belle facture. La lame damasquinée est enchâssée dans une poignée bien adaptée. La pointe semble avoir été abîmée 

  

  

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Assassinat du roi Henri IV 

  

Dans son journal, Pierre de l'Estoile, chroniqueur (proche des ligueurs), écrit  

« On vid, en un instant, la face de Paris toute changée […].  

Les boutiques se ferment ; chacun crie, pleure et se lamente, grands et petits, jeunes et vieux ; les femmes et les filles s'en prennent aux cheveux [...].  

Toute la fureur du peuple, contre l'attente et intention des meschans, n'est tournée que contre ce parricide scélérat et ses complices, pour en avoir et poursuivre la vengeance. » 

  

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1610. Le lendemain du drame. Publiquement, des personnes se réjouissent de la mort d'Henri IV 

Un homme applaudit le geste de François Ravaillac. « Le roy meritoit bien ce qui est arrivé. » 

Un autre s'écrie. « Voilà un beau coup, je l'attendois. » 

La fille d'une lavandière, arrêtée à Paris. « Elle va tuer, avec un cousteau qu'elle a, le Roy et la Roine. » 

  

Des gens du peuple 

Travailleurs manuels -tisserands, teinturiers, maçons, charretiers 

Quelques soldats 

Des vagabonds 

  

rejetés, délaissés, par le monde dans lequel ils vivent 

ils tentent d'exprimer leur révolte ; des propos que réprouve l'immense majorité des citoyens   

  

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Pour tenter d'éradiquer la menace, les actes terroristes amènent le pouvoir d'État  

à prendre des mesures drastiques  

à intensifier la répression  

  

Après l'assassinat de Henri IV, la recherche des complices, commanditaires, admirateurs, 

voire des imitateurs potentiels du geste de François Ravaillac,  

se poursuit pendant de longs mois 

  

Les coupables de propos séditieux sont arrêtés   

cinq d'entre eux sont condamnés à la pendaison 

en appel, ces condamnations à mort sont réduites à des peines corporelles 

  

Roland Mousnier, historien, spécialiste du 18ᵉ siècle. « À l'égard des propos séditieux, la sévérité du pouvoir royal illustre l'une des principales conséquences politiques de l'assassinat d'Henri IV. » 

   

« Probablement contre l'intention de son auteur, François Ravaillac a aidé à l'instauration en France, de l'absolutisme royal. » 


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