La tarentule
Alexandre Lard
« Je suis jeune. J’ai toute la vie devant moi. La mort également mais il semblerait qu’elle se trouve encore un peu plus loin. Il y a de cela quelques soirs, je m’emmerdais fermement dans ma chambre. Ce sont des choses qui arrivent. J’ai inventé quelque chose. Un objet qui devait changer ma vie et orienter très fortement celle des autres. J’ai toujours été assez fort en sciences. Avec les nouvelles technologies, j’ai appris de nouvelles choses. J’ai repoussé mes limites. J’en fais maintenant ce que je veux. J’ai appelé cette chose la tarentule. »
Matt était penché au dessus du panier à linge sale de Sarah, fouillant à pleines mains dans les t-shirts froissées, les pantalons sentant la cigarette et les sous-vêtements des jours précédents. Matt ne savait pas tout à fait comment il devait s’y prendre. C’était la première fois qu’il faisait ce genre de choses. Il saisit une petite culotte rose, l’examina avec un large sourire puis la reposa. Il fit la même chose avec tous les autres vêtements du panier.
« Qu’est-ce que c’est que cette fille ? dit-il tout haut. Ca fait un quart d’heure que je cherche et pas moyen de trouver ne serait-ce qu’un cheveu, un poil ou une rognure d’ongle. »
Un bruit de serrure se fit entendre, ce qui propulsa instantanément Matt sur le robinet du lavabo.
« Tu es déjà rentrée ? demanda-t-il.
- L’épicerie n’est pas si loin que cela, tu sais, répondit Sarah. Je me disais pourtant que deux jours et demi pour descendre en bas de l’immeuble, acheter du pain et un peu de bière, c’était déjà assez long. »
Matt aperçut alors la brosse à cheveux de la jeune fille et se tapa le front de n’y avoir pas pensé plus tôt.
« La tarentule a plusieurs inconvénients. Le premier est qu’elle n’agit qu’en quelques heures et la seconde est qu’elle doit connaître la personne qu’elle est censée viser de la façon la plus intime possible. »
« Tout va bien ? demanda Sarah »
Matt tenait, du bout d’une petite pince à épiler, un cheveu extrait de la brosse qu’il plaça aussitôt dans un petit sachet prévu à cet effet.
« Très bien, oui. Je me lave les mains. J’arrive tout de suite.
- Ca fait cinq minutes que tu te laves les mains. Tu te moques de moi ?
- Je dois juste être maniaque. Légèrement timbré. Il paraît que les nanas aiment ça.
- Et bien détrompe-toi vite »
Matt rangea ses instruments, remit le linge dans la corbeille le plus discrètement possible et sortit de la salle de bains. Sarah était assise sur le canapé-lit qui emplissait presque la moitié de la chambre d’étudiant. Elle feuilletait distraitement un livre en surveillant d’un autre œil, l’eau qui avait du mal à bouillir dans une casserole sur une plaque chauffante trop petite.
« La tarentule mange si on lui demande. Je lui demande parfois. C’est assez rare mais c’est là toute sa raison d’être. Manger sans fin. Manger tout ce qu’elle trouve dans ce qu’on lui a indiqué préalablement. La tarentule tue tout le temps, mécaniquement, insidieusement. »
« Tu veux rester pour manger ? demanda Sarah.
- Je n’ai pas le temps, non. Je dois repasser chez moi. J’aimerais juste repasser demain. J’aimerais que nous travaillions ensemble un peu. Si tu as quelques heures de libres. »
Sarah acquiesça d’un hochement de tête.
« La tarentule est minuscule. De l’ordre du nanomètre. On ne saurait la voir à l’œil nu. Je l’ai construite patiemment, dans un petit atelier que je m’étais confectionné. J’ai tout récupéré, rien acheté. J’ai créé ses huit petites pattes froides. Sa large bouche et sa mâchoire de métal. Son corps bombé regroupant les fonctions vitales. Je lui ai appris les règles de base. Ce que j’attendais d’elle. Je lui ai tout appris et elle m’est fidèle maintenant. Elle ne fait que ce que je lui demande. Elle est programmée pour cela. »
Matt embrassa Sarah sur la joue puis sortit en lui tournant le dos. A l’instant où la porte claqua, lorsqu’il sut qu’il n’était plus visible de la jeune fille, il plongea la main dans sa poche et en sortit le sachet dans lequel il avait placé le cheveu. Il l’observa attentivement puis sourit. Il rangea le sachet dans sa poche puis rentra chez lui en courant. Il monta les escaliers menant à sa chambre quatre à quatre, manqua de défoncer la porte en l’ouvrant un peu trop brutalement et s’assit devant son bureau vide. Il sortit à nouveau le sachet de sa poche et posa le cheveu sur la table. Il émit deux longs sifflements puis observa attentivement le cheveu qui se mit subitement à rétrécir puis à disparaître. »
« La tarentule a besoin de connaître intimement sa cible, comme je l’ai dit plutôt. Pour cela, il n’y a rien de plus précis que l’ADN. Je n’ai jamais vraiment su m’y prendre avec ce truc. Pas faute pourtant de regarder toutes les séries policières à la télévision. Et de toute façon le matériel coûte trop cher. Je n’ai encore rien trouvé qui puisse correspondre dans les poubelles du quartier. Heureusement, la tarentule se débrouille d’elle-même. Je l’ai programmée pour cela. Je n’ai qu’à lui donner un cheveu, un poil ou une rognure d’ongle et elle parvient à en extraire l’ADN. Je siffle alors deux fois, lui indique tout bas ce qu’elle doit dévorer et elle en extrait la substantifique moelle. Elle connaît alors sa cible intimement. »
« La tarentule tue comme je l’ai dit précédemment. Je l’ai programmée pour cela. J’ai pensé que cela changerait ma vie. Je savais que cela influençait fortement la vie de ses cibles. Je me suis demandé ce que je pourrais obtenir grâce à elle. Je pouvais tuer qui je le souhaitais sans jamais en être inquiété. Qu’est- ce que cela allait m’apporter ? L’argent ? J’ai essayé. De différentes façons. Je n’ai jamais réussi à prélever un cheveu à ma banquière. Et quand bien même, cela ne servirait probablement à rien. Elle serait morte sans me donner les clés du coffre. Les convoyeurs de fond. Je mets au défi quiconque de s’en approcher d’assez près puis de réussir à les suivre le temps que la tarentule fasse effet (quelques heures, je le répète) pour les voir enfin mourir dans un fourgon aux portes fermées. Non décidément ça ne marchait pas. La tarentule tue mais ne donne pas les clés. »
Matt se présenta le lendemain matin devant la porte de Sarah. Il était relativement tôt et il avait peur de voir la porte se refermer subitement devant son nez. Sarah ouvrit, les yeux à demi fermés et bailla dans l’encadrement de la porte.
« Tu me réveilles, grogna-t-elle.
- Excuse-moi, répondit Matt. Je… Je suis tombé du lit. Pas moyen de me rendormir. Mais je peux repartir si tu veux. Je reviendrai un peu plus tard. Je vais prendre un café en bas en attendant.
- Non, ce n’est pas la peine, entre. Je suis réveillée maintenant de toute façon. »
Sarah était vêtue d’une fine nuisette de soie. Matt l’observa de haut en bas, attentivement. Fasciné par la peau de la jeune fille presque nue devant lui. Il pénétra dans la petite pièce alors qu’elle refermait la porte derrière lui et se mit à fredonner tout bas.
« Tu sais faire le café ? demanda Sarah
- Mal. Mais j’y arrive parfois.
- Très bien, fais nous donc une cafetière le temps que j’aille me changer. Ensuite installe-toi où tu veux. Je replie le lit d’habitude quand je reçois mais cette fois tu m’as prise de cours alors débrouille-toi. »
Sarah sourit avant de s’enfermer dans la salle de bains.
« Une fois nourrie, la tarentule me suit jusqu’à ce que je me rapproche à moins de cinq mètres de la cible. Elle ne passe à l’action que lorsque je me mets à fredonner certains morceaux. Je l’ai programmée pour cela. Elle pénètre alors dans le corps de sa cible par n’importe quel orifice. Une bestiole dont la taille est de l’ordre du nanomètre peut s’infiltrer par n’importe quel pore de la peau. Une fois dans le corps de sa victime, elle se multiplie. Rien à voir avec de la magie ou du clonage, non. C’est une machine. Elle ne fait que se dupliquer à l’identique en parasitant le corps de son hôte. Elle se sert librement, de fer notamment et d’autres menues substances, et construit tout doucement une copie d’elle-même. »
« Je ne voyais pas non plus comment la tarentule pourrait apporter l’amour. Il est rare qu’un mort tombe amoureux de vous et si, par le plus grand des hasards, cela vous arrivait, fuyez. Il est difficile de concevoir être le dernier homme sur terre. Cela apporterait le besoin de survie mais certainement pas l’amour. Sans compter la difficulté qu’impliquerait le fait de devoir recenser l’ADN de tous les hommes de la Terre. J’ai essayé de séduire une jeune femme en tuant tous ses prétendants. J’ai du abandonner, elle en trouvait toujours d’autres et cela me prenait bien trop de temps. »
Les heures passèrent. Sarah et Matt travaillèrent de longues heures ensemble, mangèrent un morceau le midi, ingurgitèrent plusieurs litres de café et échangèrent quelques sourires complices. Puis Sarah commença à s’essouffler. Elle se coucha un moment, ne comprenant pas vraiment ce qu’il lui arrivait. Elle était en pleine forme quelques minutes auparavant mais éprouvait maintenant de plus en plus de mal à respirer. Matt se pencha sur elle et l’embrassa. Elle le repoussa sèchement. Non pas qu’il ne l’attirait pas mais dans l’état actuel des choses, sa principale préoccupation était de trouver l’oxygène nécessaire à sa survie.
« Une fois la copie finie, la tarentule se met à manger de façon irrémédiable tous les globules rouges qui se trouvent à sa proximité. Pendant ce temps, la copie se duplique elle aussi avant de se mettre à manger. La nouvelle copie se duplique à nouveau et ainsi de suite. Au bout de quelques heures, le sang commence à être saturé de tarentules qui dévorent les globules rouges ayant pour but de fixer l’oxygène et de le fixer de l’organisme. Au bout de quelques heures seulement la victime finit par mourir d’asphyxie alors qu’elle respire à pleins poumons. »
« La tarentule n’apporte pas non plus la célébrité. J’aurais beau tuer tous les candidats des plus grands jeux de télé–réalité, je ne ferais qu’apporter des soupçons sur ma personne (invérifiables, cela va de soi). Les faits-divers n’ont jamais rendu personne célèbre. Je ne serais même pas un grand meurtrier alors sûrement pas une star de cinéma (en tuant les réalisateurs les uns après les autres ?), encore moins un homme politique (en exécutant tous les opposants à mon parti ? Ou leurs électeurs ?). Toutes ces hypothèses étaient peu recevables et, dans tous les cas nécessitaient de tuer beaucoup plus de monde que de raison. Non pas que cela fut un problème pour moi. Ce qui m’inquiétait véritablement était la quantité de travail engendré par ce genre de pratiques. »
La main de Sarah se serra autour du bras de Matt qui se pencha à nouveau sur le visage de la jeune fille pour l’embrasser une dernière fois. La pression se relâcha et Sarah s’effondra inanimée sur son côté. Matt passa sa main sous son maillot. Sa peau était encore chaude. Il remonta jusqu’au soutien-gorge, le dégrafa. Il posa sa main sur un de ses seins et le malaxa lourdement, le pinça, le pressa du bout des doigts. Il fit ensuite glisser sa main le long du ventre de Sarah jusque dans son pantalon. Il le déboutonna et porta la main à son sexe chaud. Il la caressa de longues minutes. Elle resta sèche. Il tourna pour la première fois la tête et regarda le visage de Sarah. Il devenait de plus en plus pâle, ses yeux étaient révulsés. Elle ne le regardait plus. Il baissa son pantalon et continua à la caresser à travers la fine culotte de coton. Rien. Il retira cette dernière, observa son sexe longuement puis y porta sa bouche, ce qui ne l’humidifia que temporairement. Il tenta de s’introduire en elle mais n’y parvint pas. Il abandonna. Se releva et déshabilla Sarah complètement. Il se tint debout devant elle et branla son petit membre mou devant le corps raide de Sarah. Rien ne vint. .
« La tarentule n’apporte pas le sexe non plus. Pas le sexe facile. Pas le sexe à la demande. La grande mort n’amènerait sûrement jamais sa petite sœur. A vrai dire il semblerait que la tarentule n’apporte pas grand-chose, si ce n’est rien. Je n’ai pas encore poussé mes réflexions jusque là. Je suis assis près du corps de Sarah, le sexe mou entre mes jambes. Son corps est froid. J’ai eu beau essayer de me le rappeler, je ne comprends pas vraiment comment j’en suis arrivé là. Je vais bientôt l’enlacer et dormir un peu près d’elle. »
Matt s’arracha un cheveu et le posa sur la table près de lui. Il siffla deux fois puis se déshabilla complètement avant de se coucher contre le corps de Sarah. Il la serra fortement dans ses bras et se mit à fredonner : « Love me tender… love me true… »