La trahison des images
Charlotte Henry
Une chaise, deux chaises, trois chaises…
C’est dans la mouvance d’un art conceptuel que Joseph Kosuth réalise One and three chairs, œuvre appartenant à la série dite des Proto-investigations. Réalisée en 1965, elle rappelle les ready-made de Duchamp tout en laissant penser à La trahison des images de Magritte. Plutôt que de m’intéresser à la biographie de l’artiste (tendance Vasarienne à laquelle je n’aime pas vraiment m’attarder), il s’agit juste de brouiller un peu les esprits en réfléchissant sur les mots et les images. Je m’excuse d’ailleurs à l’avance si je fais exploser les neurones de certains lecteurs.
Question fondamentale : combien y’a-t-il de chaises ? Théoriquement, la majeure partie du petit peuple tendrait à répondre « deux ». L’esprit humain tendant naturellement à adopter la facilité, les deux chaises « visibles » sont ainsi définies rapidement comme les deux chaises « existantes ». Erreur. Ici on a concrètement : une chaise en bois, une photo de chaise, la définition du mot chaise (en anglais). Mais finalement, laquelle de ces chaises est-elle réellement LA chaise ? Selon Lacan, il n’y a pas « LA femme », donc ici on n’a pas « LA » chaise. Aucune de ces chaises ne peut être utilisée, même celle étant « réelle » (touchable du doigt comme du bois !) est définie comme « œuvre » et donc intouchable. Puisque l’œuvre est par essence, intouchable. Dans cette optique, l’œuvre n’est pas la chaise puisqu’elle n’a pas la fonction de l’objet du quotidien, elle est bien plus que ça, elle est une œuvre, l’œuvre.
Le mot est-il une réalité ? Ce mot, signe saussurien, est un assemblage de lettres dont la finalité donne à celui qui le lit l’unique concept spirituel (« l’image acoustique ») de l’objet représenté. Ainsi on dit souvent que « le mot chien ne mord pas ». Le mot « chaise » n’est donc pas la chaise, il n’est pas l’objet, mais permet uniquement la représentation intérieure du concept imaginaire. Enfin, l’image de chaise ne peut selon moi représenter l’objet lui-même, une image n’étant au final qu’une représentation réductrice permettant un rappel spirituel. L’image de la chaise ne me permet ni de la toucher, ni de m’asseoir, mais simplement de me représenter mentalement l’image dont j’ai, à côté, la définition.
En bref, Joseph Kosuth pose une réelle problématique, comme l’avait fait Magritte avec son célèbrissime « Ceci n’est pas une pipe » : les mots peuvent-ils révéler la vérité ? Les images seules sont-elles des trahisons ? Peut-on se fier aux images sans les associer au langage ? Finalement, n’y a-t-il pas une 4ème chaise, cette représentation inconsciente de l’esprit ?
Par ailleurs, le fait que l’on observe l’œuvre derrière un écran ne pose qu’un problème de plus : la chaise devient une image, l’image une image de l’image et la définition, une image du langage. Je m’arrête ici, et vous laisse à vos neurones..