La traque

Joseph De Chateauvieux

Moi, j’allais, inconscient, le sac en bandoulière,

Le feutre sur ma tête en bouclier d’hiver,

Sur mon chemin. Les poètes ont droit de flâner,

Qui donc pourrait ainsi penser à me filer ?

La prudence est de mise lorsque l’on s’aventure,

Je m’arrêtais, ici et là, pour être sûr,

Scruter bancs et trottoir de la grande avenue

D’un air désabusé. Et puis je l’aperçu.

D’abord, ce n’était qu’une silhouette diaphane.

Elle tutoyait les murs d’une église romane,

Prompte et vive, insaisissable statue de glace,

Les yeux braqués sur moi, sur mes pas, sur ma trace.

Agile comme un chat sur sa grise gouttière,

Elle promenait le long de la rue des Saint Pères

Son ombre grandissante. Nul son ne trahissait

Dans la sourde cité son audacieux ballet.

Tout à coup, au détour d’une épaisse vitrine,

Je fus saisi de peur par sa forme féline,

Qui attendait la faille, terrée, prête à bondi,

Si près que sur mon crane je pouvais sentir

La chaleur de son souffle, vapeur d’une fournaise,

Et l’effroyable ardeur de son regard de braises.

Comme une écume noire percée de milles feux

Brulants, le soir montait, lentement. Poussiéreux

Pavés droits, vous qui fidèlement bordez la Seine,

Ralliez-vous à moi et repoussez la hyène.  

Tout est allé très vite. Sans demander mon reste

J’ai pris la fuite, laissant ça et là une veste

Ou un gant qui me gênait. Chaque carrefour

Voyait mincir l’espoir qu’elle succombe à mes tours.

Oui elle se rapprochait, inexorablement,

Et tout le pathétique de mon corps sonnant

A la retraite sublimait ma cavalcade.

Elle aiguisait ses lames pour porter l’estocade.

Chasseur, je connaissais le râle de la proie

A l’agonie. Me voilà chassé, aux abois.

C’est l’hallali qui tonne du haut clocher de bois.

A droite, et puis à gauche. L’impasse. Fait comme un rat.

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