La Triste histoire de Clitorine et Phallucien

Le Méchant Loup

Un vieux texte que j'avais écrit quand j'avais 16 ans...

« Croûte d'herpès, staphylocoque, fiente d'ornithorynque, vessie de porc-épic, cellule graisseuse, pet de plancton, tampon de ménopausée … ! »

Toutes ces insultes, Clitorine les débitaient un à un à son pauvre frère -un simple d'esprit celui là ; Phallucien. Le pauvre petit benêt avait en effet englouti le dernier granola, et ça, c'était un crime. Plus tôt dans l'après-midi, Clitorine, petite fille charmante et pleine de vie, avait entrepris d'attacher Phallucien à un arbre dans le jardin puis lui avait ordonné de « faire le chien ». Le manque de capacité intellectuelle du jeune garçon ne lui permettait pas de comprendre ce qu'est le manque de respect ou d'équité. Il s'asseyait par terre, aboyait, les yeux dans le vague, content de faire rire sa sœur aux éclats. A l'école, tout le monde se moquait de lui, encore plus que de sa sœur. Elle, elle n'avait que le prénom, et c'était en plus de ça une vraie petite terreur !... Mais lui, l'attardé, avec un prénom de la sorte, il n'en sortait pas. Ses petits camarades se complaisaient dans l'art de lui enfoncer du papier toilette mouillé dans les orifices nasaux, de lui arracher son cartable pour le vider un peu partout dans les couloirs, ou encore de mettre des vers de terre dans son repas du midi à la cantine. Quand on s'appelle Phallucien, on a pas besoin de surnom. Le diminutif suffit à lui-même. « Phallus » La maîtresse, le premier jour des classes, avait cru à une blague à la lecture de la liste d'élèves et avait convoqué le petit rejeton dans son bureau, le soir. On ne peut pas s'appeler ainsi, ce n'est pas convenable, hoquetait-elle. Muet, Phallucien regardait les feuilles tomber par la fenêtre. Il avait l'habitude. La jeune professeure compris assez vite qu'elle se trouvait bien devant un petit garçon nommé Phallucien Bourdin. Elle appris un peu plus tard l'existence d'une Clitorine Bourdin, élève de CM2 dans la même école. Deux enfants aux prénoms génitaux. La jeune Bourdin avait rapidement compris que pour ne pas devenir la tête de turc de sa classe, il fallait dissuader les autres élèves de la regarder de travers. Inspirer le respect, comme avec son petit frère, qu'elle disait. Pour cela, elle avait, dés la deuxième semaine de cours, coupé la natte de la petite Agathe Tisserand avec ses ciseaux à bouts rond, parce qu'elle avait osé lui demander un stylo. « C'est qu'elle comprend pas que c'est personnel, un stylo ! Avait geint Clitorine pour se défendre auprès du corps enseignant. J'aurais du le désinfecter avec tout un tas de saloperies sinon... Et les cheveux courts ça lui va beaucoup mieux, trouvez pas ? » Elle s'en sorti avec un avertissement. Il était trop tôt encore dans l'année scolaire pour une vraie punition. Mais plus les semaines passaient, et plus la petite fille devenait diabolique. En octobre, elle avait vidé un pot de glu d'un litre destiné à la classe d'arts plastiques sur le visage d'un CP qui n'avait, selon elle, pas la fibre artistique nécessaire pour être assise à sa table, brûlé les contrôles de maths trois fois -de sorte qu'il fallut leur trouver un coffre cadenassé- et ramené un cadavre de chat pour la classe de sciences naturelles. Comme ça, il sert à quelque-chose, avait-elle ricané en fixant sa professeure d'un regard noir. Décontenancés, les professeurs mettaient le manque de discipline de Clitorine sur le compte du manque d'éducation des deux parents. C'est vrai que pour appeler ses enfants par des prénoms aussi laids, faut vraiment être zinzin ! Avait un jour crié le directeur pendant une réunion semestrielle. C'est pourquoi il fut décidé, pour le bien des deux gamins, que Madame et Monsieur Bourdin allaient être convoqués à l'école ce mercredi là afin de s'expliquer sur le caractère intenable de la jeune petite et de la victimisation de son frère Phallucien, qui était absolument intolérable au sein d'une école laïque et moderne. D'ailleurs, pour revenir à Phallucien, sa rentrée des classes, à lui, s'était nettement moins bien passée. Quand le maître avait appelé par son prénom le petit bonhomme, il avait tout simplement explosé de rire, devant tous les autres élèves qui, pour suivre le bon exemple, avaient eux aussi rit aux larmes sans connaître la vraie raison d'une telle hilarité. Ils avaient du le répéter à leurs parents, le soir, qui avaient du croire à une mauvaise blague et avaient conclus prestement que « dire de telles cochonneries, Jean-Eudes, ça n'est pas tolérable ». Phallucien lui-même ne connaissait pas le sens de son prénom. Il pensait que les enfants se moquaient du sien comme ils se moquaient des filles qui portaient des noms de fleurs ou peut-être tout simplement de sa difficulté à comprendre en classe. En cours, c'était un vrai lardon. Il ne savait toujours pas son alphabet, ne lisait que des mots de moins de quatre syllabes et en était toujours au stade des couches. Sa jeune mère l'avait trop materné, jugea un des psychologues de l'école, et avait réduit l'avenir intellectuel de son fils à l'état de néant à force de le gaver de Nesquik au lait concentré. Ce n'était là que des hypothèses. Le mercredi de la rencontre parents-professeurs convenue, un couple se présenta au bureau du directeur.  Bonjour, commencèrent-ils, nous sommes les parents des petits Bourdin. Nous avons rendez-vous, semblerait-il. La femme avait une grande étoffe de soie nouée autour du cou, et une robe blanche qui lui descendait jusqu'aux genoux, qu'elle avait très jolis d'ailleurs. Ses cheveux blonds descendaient en cascade sur ses épaules et un bandeau lui maintenait le devant de la tête. Elle était tout à fait charmante. Quant au père, il était habillé plus simplement mais d' une façon toute aussi propre. Un polo bleu marine, un jean bleu, et un sourire d'une blancheur éclatante. C'est une blague ? Pensa le directeur. Bien que très mal à l'aise, il conduit le charmant couple dans une pièce attenante à son bureau, plus discrète, expliqua t-il, et les invita à s'asseoir tous les deux. « Bon, commença t-il, Monsieur et Madame Bourdin, si je vous aient convoqués aujourd'hui c'est pour parler de vos deux enfants -il rougit et toussota pour masquer sa gêne- Clitorine et euh, Pha.. Phallucien. Bon, hein, euh, rien de bien méchant, rassura t-il. Nous devions simplement nous assurer qu'ils sont bien suivis chez eux, euh, je veux dire chez vous... Il est vrai que le petit Phallucien est un réel problème en classe, persécuté et incapable de travailler correctement... Quant à sa sœur, c'est elle qui persécute ses pauvre petits camarades.... Certains refusent même de remettre les pieds dans sa classe à la demande des parents... Vous comprenez que... Enfin, il est nécessaire de prendre une décision quoi.. Et vite, afin d'éviter des complications.... » Tout en articulant difficilement ses arguments, Gérard essuyait la sueur qui commençait à dégouliner de son front et de ses pommettes proéminentes. Les Bourdin le déstabilisaient complètement. Il s'était préparé à recevoir deux parents incompétents, crasseux et débiles, mais il s'avérait qu'ils étaient en fin de compte un couple bourgeois tout ce qu'il y a de plus respectable et aimable. Bourdin père acquiesait à chacune des tirades du directeur, un sourire serein aux lèvres, et sa femme, jambes croisées, écoutait attentivement, les sourcils froncés et les yeux plissés, dans un effort de compréhension, comme si elle analysait chaque mot que prononçait le directeur. Puis, elle décroisa les jambes, posa ses petites mains fines sur la table, et sourit avant d'expliquer que, premièrement, elle était psychiatre, et que son mari était un médecin très renommé dans la région, à l'avant-garde de bien des techniques. Les deux enfants étaient donc entre de bonnes mains, forcément. Elle entama ensuite une analyse très poussée du caractère violent de sa fille qui était pour elle une simple façon de se découvrir et de s'amuser autrement, « pas bien méchant » et qu'il fallait la comprendre, elle est la plus âgée et Phallucien n'est pas très réceptif, alors elle s'occupe comme elle peut. Le directeur était un peu perdu devant un tel manque de bon sens de la part d'une mère psychiatre, mais il se tut et en vint à aborder le sujet délicat qu'était les prénoms des deux têtes blondes. Il amena doucement le sujet, et réussit presque à le faire passer pour une discussion de politesse, histoire de mieux connaître les parents de nos élèves, disait-il.

A cette question, la mine du père se renfrogna et la mère pinça les lèvres avec une petite moue. Après un court silence qui sembla durer une éternité pour Gérard, Mr.Bourdin Père décida enfin de l'écourter en répondant du tac au tac que, si ses enfants portaient de tels prénoms, c'était pour la recherche scientifique et pour l'avenir, voilà tout. Le Directeur s'était préparé à des tas d'explications loufoques, comme que c'était une famille de gynécologues depuis des lustres, ou encore que c'était parce qu'ils avaient voulu innové, ou même qu'ils désiraient pourrir le quotidien de leurs enfants jusqu'à leur mort, mais jamais, jamais il n'aurait imaginé que les deux enfants Bourdin portaient des prénoms à sonorité sexuelle simplement pour « la recherche scientifique ». Voyant bien que le directeur était complètement abasourdi, le père entreprit de lui déballer sa thèse. « Vous voyez, Monsieur Clavice, selon les prénoms qui nous sont attribués à la naissance, nous n'activons pas les mêmes zones de notre cerveau au cours de notre croissance. C'est pourquoi les prostituées ont tendances à toutes s'appeler Samantha, Sabrina ou Cassandra, et que les présidents s'appellent Jacques, Georges ou François... Tous les prénoms ont leur propre code génétique ! … Appelez votre fils Edouard et il finira en médecine, je peux vous l'assurer !... Et oui monsieur, c'est magnifique les gènes !... Donc figurez vous que quand ma femme est tombée enceinte de notre fille, j'ai tout de suite vu l'opportunité de pouvoir prouver la véracité de ma thèse auprès du corps scientifique, qui était au départ je vous le confesse assez sceptique ! -On se demande pourquoi... Famille de cinglés... marmonna Gérard dans sa barbe. Le père ne l'entendit pas et continua « Nous voulions expérimenter ce que j'appelle «Abécédaire des codes prénommés ». J'ai donc cartographié les prénoms et j'ai conçu un prénom qui assurerait à ma fille d'être surdouée intellectuellement et de parler 36 langues à 18 ans. J'ai pris un prénom en « ine » comme Corine, vous savez les Corine parlent facilement anglais ou espagnol par exemple, puis pour le début du prénom j'ai cherché dans les plus belles sonorités de gènes intelligents qui font grossir le cerveau. En a résulté Clitorine, et je suis sûre qu'elle va être encore plus brillante que prévu, oui oui !... » Gérard, yeux écarquillés, n'en croyait pas ses oreilles. Ces gens étaient des fous dangereux, pensait-il. Il faut les faire interner. Il jetait des regards vers la porte comme pour s'assurer qu'il aurait le temps de s'y engouffrer en cas d'attaque surprise. On sait jamais, avec les zinzins. Mais le père continuait, et la mère renchérissait « Mes travaux vont dans le même sens que mon cher mari !.... J'avais besoin d'un enfant perturbé et autiste afin d'édifier une liste de caractéristiques pour mon master de psychologie infantile alors quand je suis tombée enceinte de notre deuxième enfant j'ai immédiatement demandé à mon mari de lui donner un prénom qui lui assurerait d'être tout à fait bête et docile !... Et il a réussit, une fois de plus ! » La mère regardait son mari avec émerveillement comme si il était à la source de la découverte d'un vaccin contre le cancer. Apparemment, jugea Gérard, ils sont encore plus à côté de la plaque que leurs gosses. Il se tenait à présent le front d'une main, tapotant la table de l'autre, en attendant que les deux zouaves finissent leur cirque.

 

La rencontre parents-professeurs de ce mercredi là resta dans les annales de l'école, et resta gravée dans la mémoire du directeur durant bien des années.

 

En 2017, la thèse du Professeur Bourdin sur l' « Abécédaire des codes prénommés » fut acclamée par le corps scientifique. Dés à présent, les médecins généralistes commencèrent à conseiller aux futures mères de choisir pour leurs enfants des prénoms comme Urinette ou Testicules, parce-que c'était ça le progrès et que les prénoms à consonance génitale amélioraient le Q.I des enfants.

 

Plus les années passaient, plus l'école élémentaire publique Gustave Moreau comptait de bambins aux prénoms cauchemardesques. Dans la classe de CP, il y avait une Vagiline Bondurand, un petit Jean-Couilles Martin, et surtout une fillette du nom de Levrette Garand. Levrette était pour ainsi dire une petite fille brillante, mais elle inquiétait sa maîtresse car elle avait tendance à ronger le bois de sa table ou le pied de la chaise du voisin. Le nouveau psychologue de l'école lui avait expliqué que le prénom de Levrette ramenait à l'animal qui était en nous, et donc qu'il ne fallait pas s'étonner si de temps à autre elle se prenait pour un rongeur. « Donnez lui un os » avait-il suggéré avec tout le sérieux du monde. La jeune Agathe avait alors répondu que, si ça continuait, on éduquerait plus les enfants maintenant, mais des chevaux et des poules ! Et que, si elle faisait ce métier, c'était pour travailler avec de petits anges, pas avec des Jacquouilles ou des Vulvaine ! Elle en était tellement retournée qu'elle en fit une attaque, cette pauvre Agathe. « Elle avait le cœur fragile » expliqua t-on aux parents. A sa place, en attendant qu'elle aille mieux, l'ont mis un homme du rectorat qui allait apporter à cette école une pédagogie unique, conseillée par tous les pédopsychiatres du pays et déjà « numbeur ouane » aux Uéséye. Cela consistait très simplement à éliminer tous les cours inutiles comme les arts plastiques ou l'EPS -il y avait les barres de céréales protéinées pour perdre du poids- et à les remplacer par l'enseignement de la dissection anatomique et du code civil avec à la fin de l'année de CE1 le bac de philosophie et de sciences à passer. Ravi, il expliqua ensuite que la majorité était à présent abaissée à 10 ans et que tous ces jeunes petits travailleurs allaient changer l'histoire et contribuer à la richesse de ce merveilleux pays qu'est la France. Il est fou, pensa le directeur. Hein ? Quoi ? Répétait le professeur de sport. Comment ça, le bac en CE1 ? Balbutiait Madame Cédrine, yeux exorbités. Le recteur académique rassura alors tout le monde « Devant les nouvelles capacités intellectuelles extraordinaires de nos enfants, il est normal d'adapter le programme scolaire à cette nouvelle intelligence hors du commun ! C'est le progrès mes chers confrères, c'est le progrès !.. J'ai moi même une petite Anale de 5 ans et j'espère bien qu'elle soit une grande mathématicienne à 12 ! »... Il ne rassura personne, bien au contraire. La professeure d'arts plastiques s'évanouit et tomba de sa chaise, le concierge s'assit par terre, les yeux vides, en répétant le mouvement régulier d'un culbuto, une autre maîtresse se mit à crier en se tenant les cheveux, et le directeur fit un infarctus du myocarde. Quand les médecins du samu entrèrent dans la salle pour emmener Monsieur Clavice, ils restèrent bouche bée devant l'hystérie générale qui les encerclaient. « DES POULES ! DES POULES ! » hurlait une jeune femme blonde tandis qu'un homme à quatre pattes se cognait la tête contre une table en pleurant. Le chef de la brigade décida qu'il fallait tous les embarquer illico, que c'était vraiment beau, l'éducation nationale, et que dés l'année prochaine il allait mettre ses enfants au CNED.

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