La vie c'est comme la piscine.

zagreb

La vie c'est comme la piscine, déclamai-je magistralement à mon auditoire captif.

Voyez-vous, enchaînai-je habilement, c'est...

Un doigt.

Un doigt s'était levé. Un petit doigt boudiné qui surmontait une paume rabougrie rattachée à un avant-bras velu et grassouillet (et ainsi de suite jusqu'à l'obtention d'une forme de vie d'une étrange unicité connue sous le vocable de Filippa K).

J'avais pourtant été d'une indiscutable limpidité dès le début de l'année : pas de doigts. Les doigts sont idiots; dans leur stupidité sans borne, ils s'évertuent à fixement s'agiter, quémandant on ne sait quoi au lieu de s'assoupir tranquillement au fond des poches.

Mais Filippa K ne l'entendait pas de cette oreille. Et elle le levait, son doigt, avec la régularité d'un numéro d'otarie d'un parc aquatique. J'aurais pu, bien sûr, les ignorer, elle et son doigt. Mais ils ne se seraient pas fatigués (pas avant moi). Et derrière ce doigt se cachait, non, se montrait, s'exhibait, sans la moindre pudeur, une paire d'yeux ronds et plats. Et leur implacable vacuité me foutait la trouille.

Je donnai donc, à l'encontre de mes précités principes, la parole à Filippa K, caressant le vain rêve de... De quoi? De voir ce doigt se ranger? De le voir brûler suite à une combustion spontanée? De... de le...

La vie c'est comme une boîte de chocolats, qu'on dit, dit Filippa K.

Voilà. C'était dit.

Heureusement, grâce à une maîtrise développée, je parvins à retourner la situation à mon avantage en lâchant, négligemment, un : Là! Regardez! Un rare cas de nécrophilie homosexuelle chez le canard colvert!

Mon auditoire captif (y compris Filippa K) se focalisa sur la mare en contrebas située en contrebas. Ces quelques secondes de distraction faussement inopinées (je disposais, en effet, d'un conséquent cheptel de colverts pédés nécrophiles drillé aux actes pornographiques) me permirent de rassembler mes esprits et de renchaîner.

La vie c'est comme la piscine, déclamai-je magistralement à mon auditoire à nouveau captif.

Voyez-vous, enchaînai-je habilement, c'est...

Aucun doigt. J'avais gagné.

C'est le fruit d'un raisonnement irréfutable.

Un silence de cathédrale (ou de mosquée ou de synagogue ou de temple ou de lazaret (?)).

Dans une piscine, on nage. Dans la vie aussi. Certains crawlent, d'autres brassent. Et les frimeurs papillonnent. Bref, ça avance. Mais pas toujours. Non, loin de là. Car nombreux sont ceux qui n'avancent pas vraiment; ils le veulent, sans doute, mais leurs mouvements ne sont pas adaptés...

Un redoigt.

Un redoigt s'était relevé. Un repetit redoigt reboudiné qui etc.

J'avais épuisé le coup du colvert. Je ne savais que faire à part des rimes en air. Et cette histoire de piscine... Tout ce que je voulais dire c'est que les vieux (et plus particulièrement les vieilles), quand ils nagent la brasse, effectuent des gestes bien trop verticaux et que donc, de ce fait, avancent moins vite que si ils produisaient des mouvements horizontaux et que merdre quoi voilà tu vois quoi!

C'est là, précisément, que le dring de la sonnette sonna et que je décollai ma joue baveuse et encore un peu onirique de mon banc d'écolier.



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