La Vraie Lumière
sylvenn
Le soleil se lève, emportant dans son élan des millions d'honnêtes gens. Tous posent un pied
sur le parquet encore gelé d'une nuit pourtant trop courte. Vaillamment, ils viennent
apporter leur pierre à l'édifice vacillant de cette société décadente.
Et moi, dans tout ça ? Moi, je n'existe pas. Donnez mon nom à mes voisins, et vous verrez la
perplexité figer leurs traits. Pourtant ils m'encerclent. Au-dessus, en-dessous, à gauche, à
droite, je peux entendre leurs réveils hurler partout autour de moi. Je remercie ces murs qui
me protègent de ce chaos de son, et pars me coucher.
Il est sept heures et déjà le grondement des moteurs grandit dans les rues, dérobant au
silence nocturne sa douce intimité.
Il est sept heures, et déjà les lumières agressives du jour viennent troubler ma nuit, comme
un flic véreux viendrait braquer sa lampe torche sur un détenu.
C'est ma prison. Et je l'ai choisie.
Poursuivi par la vie dans sa course sans fin ni but, je trouve refuge chez mon amie la nuit.
Elle étend sur moi son voile d'obscurité, me gardant des rayons perçants du soleil, jusqu'à ce
que le sommeil ne s'empare de ce dernier oppresseur.
Alors enfin, sa pâle ennemie peut quitter sa cachette pour venir déplorer avec moi le
mensonge de la vie…
Sans un mot, nous contemplons ensemble ces légions de fourmis qui se pressent dans leurs
galeries, délibérément coupées de l'aveuglante Lumière de la vérité. Chacune soulève le plus
lourd fardeau que son corps puisse supporter, arguant de vouloir servir sa reine avec dignité.
Mais ce poids est moins celui de la dignité, que celui de la lâcheté.
Leur charge les empêche de lever les yeux au ciel, et c'est bien là leur but car je perçois dans
leurs yeux plus de peur que de labeur. Elles savent. Un autre poids pèse sur leur conscience.
C'est celui d'une ombre qui s'étend au-dessus de leurs crânes, l'ombre du Néant, l'ombre qui
vient corriger le Mensonge de la vie de sa Sombre vérité. L'ombre de la Mort.
Chaque matin, ces milliards de soldats saluent l'aliénation avec gratitude en ouvrant leur
fenêtre, encore trop aveugles pour remarquer cette silhouette sans visage ni nom qui
disparaît derrière la sienne, enfermée de sa propre volonté dans cette prison de liberté
qu'est la nuit.
A chacun sa décadence. Si tous, vous avez choisi de sombrer dans cette salutaire illusion,
nous préférons sombrer dans la noirceur de l'impitoyable vérité.
Au final, qu'elle soit sociétale ou marginale, la folie nous accompagnera jusqu'au dernier
râle. Alors resurgira l'implacable Vérité, à laquelle nous aurons tous un jour pourtant, il faut
bien l'avouer, espéré pouvoir échapper.