l'accouchement

julien2lorme

poème d'il y a longtemps

L'accouchement

 

 

J'étais une bête de fierté

Un kyste de confiance, d'assurance

Une heure de ta présence a suffi

Pour me rendre tout faible et fragile

 

J'étais un monstre de malheur

Un recueil d'angoisse et de douleurs

Une heure de ta présence a suffi

Pour m'offrir l'once d'un bonheur

Malsain

 

J'étais un gouffre de rêves

Une boîte d'idéaux en vrac

Une heure de ta présence a suffi

Pour les battre tous en brèches

 

J'étais sec, vide de larmes

Un terrain aride, rongé par du béton

Une heure de ta présence a suffi

Pour me faire pleurer

Honteux

 

J'étais une machine à parler

Des mots, une diarrhée verbale

Une heure de ta présence a suffi

Pour coudre ces lèvres vulgaires

 

J'étais l'apôtre d'une liberté

Ma tour d'ivoire : un horizon

Une heure de ta présence a suffi

Pour me bâillonner à ton cou

Lié

 

J'étais seul et violent

Un monstre, une bête, un animal

Une heure de ta présence a suffi

Pour me changer en homme

 

J'étais un enfant, avec un cœur d'enfant

Tout infaillible, bien trop petit pour être abusé,

Une heure de ta présence a suffi

Pour me faire homme, un cœur à peindre

Fragile

 

J'étais le maçon de ma vie

Des murs d'un demi de demi siècle, presque

Une heure de ta présence a suffi

Pour me les entailler

 

 

Ah ! Tu ne m'as pas épargné

Je suis une bête errante,

Soumis à ton manteau de pluie

Le soleil m'effrayait

Je le traque à présent

Je me tapis derrière une porte

Fonds mon œil dans le judas

Judas !

Je suis à toi

Pieds et poings liés

Moi, la liberté

Celle pour qui j'ai refusé, nié

Je suis une angoisse

Sur laquelle on lève le voile

Une heure de ta présence

Et tous ces non-dits, ces silences

Ces absences

Tout cela pour m'enterrer en toi

Chacun de tes gestes

Est devenu une nouvelle pelle de terre

Qui s'abat sur ma carcasse

Regarde-moi

Je n'ai plus que les os sur la peau

La chair à la lumière du jour

Je suis à vif

Rongé

Tu es ma hantise et mon horloge

 

 

Tu as planté tes crocs en moi

M'as vidé de ma substance

Je ne suis plus qu'un pot de larmes et de sueur

Comme une seconde peau

Qui me brûle

Chaque mot aligné était un nouveau pan de mur

Qui se dressait devant moi

Une prison dorée

Aujourd'hui

Je suis un vide

Un mémorial de ce que peut être

Ma vie

Tu me l'as prise

Sans délai

Tu m'as bu tout entier

J'étais sec et sans ride

Je suis vieux et humide de larmes,

De ces larmes qui cherchent

Leur chemin sur mes joues

Je suis un nouveau né

Que tu façonneras à ton plaisir

Un cœur trop gros pour te résister

Trop petit pour t'accueillir

Une heure a suffi

Pour me dérober à la vie

Tu m'as rendu à l'univers

Tu m'affaiblis, tu me blesses

 

 

J'étais un grain de sable insoumis

J'étais indénombrable

Une heure de ton sourire a suffi

Pour me casser

Ruiné

 

J'étais un bateau

Peut-être un drakkar

Une heure de ton mépris a suffi

Pour me rendre galère

 

J'étais un indénombrable

Une foule et un seul

Une heure de tes mots a suffi

Pour me fondre en toi

Insignifiant

 

J'étais une aspérité

Un ballon qui se fait la malle

Une heure de ton souffle a suffi

Pour me désagréger

 

J'étais un pêcheur

Mes bottes dans la vase

Une heure de tes cheveux a suffi

Pour me rendre poisson

Victime

 

J'étais un regard

Des yeux en perles noires

Une heure de ton mépris a suffi

Pour fermer ces insolentes paupières

 

J'étais un gaz léger

Qui flotte et défie l'air

Une heure de ta présence a suffi

Pour me clouer au sol

En sacrifice

 

J'étais un guerrier, une armée entière

L'épée au poing et le verbe à la bouche

Une heure de la tienne a suffi

Pour me faire prisonnier

 

J'étais un mercenaire

Un soldat de l'absence

Une heure de ton corps a suffi

Pour me rendre visible

Misérable

 

 

J'attendais le marchand de sable

Et le jour pour d'autres conquêtes

Tu l'as changé en camelot

Et m'a fourgué de la terre

Je t'ai goûtée

Et t'ai appréciée

Ligoté dans ces draps violés

Qui brûlent l'épiderme absente

Tu m'observes et m'humilies

Tu m'obsèdes

J'attendais le jour

Je t'attends toi, aujourd'hui

C'est toi que je regarde au loin

Ma prison, mon horizon

Ma vie se définit en toi

Sans que je le comprenne

Je rêvais d'une edelweiss

Qui flotterait sur la scène

Le monde s'écroule

Et je pleure à nouveau

Je chiale

Nu, et pris au piège

Lié par tes cheveux au cœur même de ton corps

Je te dédie mes nuits et te confie mes jours

Je te donne mon corps en pâture

Rumine-le comme tu sais le faire

Et fais-en ce qu'il te plaît

 

 

Une heure t'a suffi

A détruire vingt ans d'une vie

Un demi de demi siècle

J'avais le malheur pour moi

Une somme de douleurs et de souffrances

Un exutoire tout proche

Une falaise dans laquelle se couler

Et tu m'ôtes tout cela

Tu me remplis de ton être

De ta substance, de ton sang

Ta peau se greffe à ma chair

Je t'en veux de m'offrir ce que tu m'offres

La mouette égarée que j'étais

Ne voulait pas de ce bateau

Qui, nous le savons, me ramènera au port

Tu es une criminelle

Sans préméditation

Tu ne le sais peut-être pas

Mais je suis ce corps que tu assènes de coups

Je suis ce corps démembré

Les os sur la peau et la chair sur tout cela

A vif

Piqué

Pris dans les filets de tes cheveux

Laisse-moi y faire des nœuds

Le piège est agréable

Je ne veux ni le bonheur ni l'amour

Je ne les mérite pas

Tu sais, je vais mieux sans tout cela

Sans une heure avec toi

Je ne pleurerais pas

Je serais encore ce guerrier égaré

Malheureux et solide

Je suis un enfant, un homme, les deux

Fragile et heureux

Je t'en veux de m'offrir le bonheur que je ne veux pas

Je t'en veux d'être celle qui ne le sait pas

Je t'en veux et te veux

Sois heureuse avec moi

Sois cette mouette avec moi

 

 

Je t'en veux

Rends-moi mon regard

Ma fierté et mon malheur

Je ne sais pas ce que tu m'offres

C'est bien trop grand, délicat

Et c'est trop de toi

Trop de toi dans ces larmes qui se fraient un chemin

Trop de toi dans cet être malsain

Dans ce que je suis depuis cette heure de ta présence

Un recueil de mal, de peur, de solitude

Un gouffre de folie, d'angoisse,

L'enfant de ton mépris, de ton sourire, de cette heure partagée

Tu me vois naître, fais-moi disparaître

Il y a bien trop de toi

Dans l'enfant perdu que je deviens

 

 

Il m'a fallu des heures

Pour digérer la tienne

Pour te comprendre et savoir ta présence en moi

Il m'a fallu trop de larmes

Pour te savoir en moi

Pour te sentir cogner

Elargir mon cœur

Il m'a fallu souffrir

Pour te voir à nouveau

Oublier ton visage et le poser en moi

Tu étais un souvenir

Tu es une pupille

Tu étais un rêve dans le monde qui m'effraie

Deviens cette heure incessante

Il y a bien trop de toi

Dans cette bête aux abois

Regarde-moi crever et contemple le spectacle

Je suis mort de ta présence

Et j'agonise de ton absence

L'ironie qui t'es propre

La lente agonie d'un égaré

Accueille mon regard orphelin

Accueille mon regard au moins

Qu'il reste cela de moi

Qu'il me reste cela

 

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