L'ALPHABET

Sylvie Benguigui

C'était un long chemin parsemé de cailloux

Sur lequel j'avançais, un peu sur les genoux

J'étais parti un jour sans savoir où j'allais

Ni que j'rencontrerai les lettres de l'alphabet

 

Pendant les jours d'école, j'écoutais les saisons

Me raconter la vie et toutes ses occasions

J'étais pas vraiment sûr qu'j'allais trouver ma place

Mais j'savais qu'dans mon cœur, y avait pas que d'la glace

 

Faire place pour le soleil, la neige, la pluie, le vent

Pour les tempêtes aussi, celles que vivent les gens

Et pour les éclaircies quand se calme la vie

Parce qu'il faut bien qu'elle dorme, d'temps en temps, elle aussi

 

Je suis parti d' l'école sur la route de ma vie

Escomptant bien trouver tout c'qu'on m'avait prédit

Mais j'espérais quand même éviter les épreuves

Parce que c'est pas facile de vivre comme un manoeuvre

 

J'me suis pas pris la tête, j'ai flâné en chemin

M'arrêtant ça et là, goûtant à tous les pains

Qu'on voulait bien m'donner en échange de ma voix

Car chanter, il est vrai, était cher grave pour moi

 

Au premier carrefour,  j'ai rencontré le A

Qui m'a dit « enfin toi, alors comment ça va ? »

« Tu vas pas m'prendre le chou », lui ais-je répondu

« Lâch' moi un peu… tu veux ?  J'suis qu'un gamin d'la rue »

 

Mais il m'a poursuivi, me présentant le B

Et j'me suis retrouvé d'vant eux, comme un bébé

Tout en les regardant d'un air assez narquois

J'ai vite compris qu'un jour,  ils me tendraient les bras

 

Le C est apparu, tout rond et tout dodu

Et je sais pas pourquoi…  j'me suis senti tout nu

P't'être bien que sa rondeur cachait un peu mes peurs

De m'être aventuré, comme ça, au p'tit bonheur

 

Quand le D arriva, j'me suis senti aidé

Surtout qu'il a compris qu'j'voulais pas déballer

Toutes ces angoisses enfouies au fond d'mon petit cœur

Qui essaye comme les autres d'accéder au bonheur

 

Le E me renvoya quelque peu en enfance

Avec tous ses " areuh " et cette belle confiance                                 

Qu'ma mère avait filé au F très tendrement                 

En espérant qu'un jour j'saurai devenir grand

 

Lorsque le G survint et que j'vis son dessin

J'me surpris à penser qu'il serait mon destin.

Le H,  j'lai rencontré aussi, un peu plus tard

Mais j'ai très vite saisi qu'avec lui, sur le tard

 

Le I s'planterai d'vant moi en m'disant « faut qu't'oublies »

Sinon tu en crèveras !

Et

On lira ici-J (gît)                                                      

Un mec pas vraiment drôle dont on n'a pas fait K (cas)

Parce que toute son histoire… c'était vraiment le cas

 

- D'un keum qui'avait voulu s'envoler à tir' d'L (aile)

Parce qu'il ne savait pas qu'la vie peut être belle !

- D'un type qui'a pas compris que d'connaître le mot M (aime)

Le gard'rait sur sa route, avec crainte, mais sans N (haine)             

 

A B C D E F G

H I J K L M N                                                          

J'en connaissais quatorze, j'avançais avec peine

Ca dev'nait difficile mais j'poursuivais ma route

Parce que je n'voulais pas être repris par mes doutes

 

Quand soudain ! La surprise me fit sortir un O

Car le P, tout plan-plan s'était mis sur son dos

J'ai pas compris tout d'suite, ça m'a laissé sur l'Q (cul)

De voir que tant d'amis partageaient mon vécu.

 

Alors j'me suis dit « Faut qu'tu t'promènes » sur un R (air)

Qu'tu parles à la volée, qu'tu prennes ces lettres par terre

 Qui esquissent ton chemin en dessinant des S                                 

Sur la route de ta vie avant qu'le rideau s'baisse !

 

Et j'ai choisi cette voie… c'était un instant T

Un moment de ma vie qu' j'pouvais pas râter

Parce qu'heureusement pour moi, si je l'avais pas vu

Je n'aurai jamais su ce que c'était qu'le U.                                          

 

Quand le V arriva, j'ai pris soin d'me lever

Afin d'lui faire comprendre qu'j'venais de rêver                       

De l'rencontrer un jour, avec le W

Parce que s'il  manque des lettres, mon projet s'ra foiré !

 

X Y Z   Ils arrivèrent enfin ensemble                                                     

Complétant ainsi l'alphabet dans son ensemble                                 

Et c'est comm'ca qu'sans rien, avec mon baluchon

Ma voie était tracée : composer des chansons

Avec mon paquetage, je me suis installé

Au dix-septième étage d'une tour mal aérée

Mais j'm'en fous bien pas mal ! C'est pas ça l'important

L'principal, c'est surtout qu'toutes les lettres rentrent' dedans

 

Quand on monte l'escalier - l'ascenseur est en panne - !

C'est toute une farandole qui grimpe à une montagne

Alors on ferme la porte et plus rien d'autre ne compte

Qu'l'inspiration qui vient et les rimes qu'on compte

 

Et les lettres s'assemblent, dansant devant mes yeux

C'est des fois très étrange, un peu miraculeux

Assis devant ma feuille, je forme un mot… puis deux

Puis un troisième encore afin d'vous rendre heureux.

 

Les mots c'est pas c'qui manque ! Y en a pour tous les goûts…

Qui décrivent un tas d'choses et même les cailloux

Qu' l'alphabet nous envoie afin de tirer l'fil

Parce que la vie n'est pas une rivière tranquille

 

Y en a des noirs qui font avoir les idées noires                       

Et ceux qui se rencontrent et restent ensemble le soir                                  

Y a aussi les charmants… pour voir la vie en blanc                                      

Pour qu'les gens se retrouvent sur un nuage blanc                                      

 

Des marrants, des troublants, des chantants, des pensants

Tous ces mots qui s'échappent de la vie com' le vent

Des velours, des amours, des détours, des carr'fours,

Tous ces mots qui vous servent à parler tous les jours

 

Et puis, y a ceux qui s'posent pour en devenir d'la prose

Mais ceux-là j'vous les laisse, moi j'veux pas d'overdose

De toute façon                                                       

C'est pas eux qu'j'ai choisi, moi j'fais d'la poésie

Et j'vous l'offre, celle-là. Cadeau ! Sur un tapis.


© Sylvie Benguigui texte

Signaler ce texte