L'âme d'une Enfant.
atea
Il est 8h45. La cloche de l’école sonne. Des cris d’enfants résonnent dans la cour. Ils se mettent tous en rang. Deux par deux, main dans la main avec le voisin ou la petite copine. Je me dirige vers ma classe de CE2. Une quinzaine de têtes blondes me regardent et attendent. Je souris. Certains sont débraillés d’avoir couru partout, même leurs cheveux partent dans tous les sens. Je souris. Lola se baisse pour ramasser la pâquerette tombée de ses mains. Surement un de ces petits bouquets qui viendra orner mon bureau. Je souris. Djesmaël essaie tant bien que mal de remettre son cartable trop grand sur son dos. Je souris. Tous ces bambins sont autant de preuves de tendresse. La cloche sonne une deuxième fois, je les guide vers notre salle de classe.
Au tableau, je note l’exercice du matin d’une belle écriture faite de pleins et de déliés. On m’a toujours dit que j’avais une belle écriture. Mais aussi belle soit-elle, elle ne sait écrire de passionnantes histoires, de fabuleuses rencontres ou encore de magnifiques destinées. Je ne sais pas raconter d’histoires. Des fois, je me rassure en me disant que je les vis au quotidien. Ca fait toujours du bien de se dire ce genre de choses… « Maîtresse ! » Une douce voix s’élève dans mon dos et me sort de ma rêverie.
« Oui, Paul ?
- On va lire une histoire aujourd’hui ?
- On ne va pas lire une histoire aujourd’hui, on va écouter plusieurs histoires. Vous allez me raconter ce que vous voulez faire quand vous serez grand…
- Grand comme les grands de CM2 ?
- Non Raoul, grand comme papa et maman. Grand comme les adultes.
- Et vous, vous allez le faire aussi ?
- On verra, Paul. »
Je distribue les feuilles de petit format que j’ai préparé pour eux. Je m’élance à travers les rangées. Sur leurs pupitres, trônent leurs trousses. Dans leurs trousses, siègent leurs crayons. Au bout de leurs crayons, des mots et des rêves qui ne demandent qu’à être écrits. Je souris. Les premiers servis commencent déjà leurs récits fantastiques. Les chuchotements cèdent la place à une concentration presque religieuse. Tous se mettent à écrire. Passant à côté d’eux, j’arrive à distinguer leurs mots. Par dessus, j’arrive à me délecter de leurs premiers jets d’écrivain. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la petite Juliette veut être fleuriste. Raoul, un cosmonaute avec son propre vaisseau spatial pour conduire sa maman au parc. Lucie veut être doteur pour animaux. Et elle se lance dans une description de son cochon d’Inde et des poules du voisin. Tous écrivent des destinées avec leurs mots, les rendant extraordinairement poétiques…
Tous sauf un.
Liam reste rêveur. Il regarde par la fenêtre. Sous ses yeux ébahis, s’élève un flamboyant aux couleurs chaudes. Doucement, je m’approche. Je lui demande s’il connaît cet arbre. Il ne sait pas trop ce que c’est mais c’est drôlement joli, qu’il me dit. Vivre dans un arbre aussi joli, ça doit être chouette. Il s’imagine être un oisillon qui attend son papa et sa maman. Je souris. Il me dit que quand il sera grand, il ira voler avec les autres oiseaux, il ira voir là où il n’a pas le droit d’aller derrière la maison, mais comme il sera dans les airs, il aura quand même un peu droit parce que c’est pas pareil, Maîtresse. Mais il fera attention à ne pas faire de bêtises. C’est juste que j’imagine plein de choses. Vous croyez qu’il y a des dinosaures? Non, ça n’existe pas vraiment ça. Avant oui, y’en avait maîtresse, vous l’avez dit dans la leçon. C’est dommage, il aimerait bien que ça existe encore au moins pour jouer. Ils seraient pas méchants, promis. Enfin pas tous. Mais lui, il aurait du pouvoir. Il saurait quoi faire avec eux. Puis il fit une moue. Maitresse, c’est possible ça, un bébé oiseau qui contrôle des dinosaures? Mais oui, c’est possible puisque c’est moi qui le dis. En fait, Maîtresse, quand je serais grand, je crois que je voudrais raconter des histoires, plein d’histoires pour pouvoir aller là où j’ai envie, et pour avoir des amis aussi.
Sa douceur m’attendrit. Puis l’expression de sa solitude m’étreint. Ses paroles me fendent le cœur. Je regrette l’innocence de l’enfance. Je voudrais les épargner du monde et de ses réalités. Je me sens vulnérable face à ce petit être. Je lui dis qu’il pouvait commencer à écrire ce qu’il venait de me dire, ou autre chose s’il avait envie. Rejoignant mon bureau, je m’assois, lance un regard protecteur sur cette classe. Puis, me penchant sur ma feuille, j’écrivis :
« Quand je serais plus grande que maintenant, je voudrais écrire pour continuer de rêver comme une enfant. »