L'Amour à l'envers
gautier
“ L'Amour à l'envers“ Synopsis
L'histoire compte à rebours d'un itinéraire amoureux menant de sa fin probable à son début hasardeux. Un roman d'amour et de passion sur la place disproportionnée que peuvent prendre certaines formes de correspondances, des plus contemporaines souvent tactiles aux plus originales, et ainsi déformer la perception de la réalité du sentiment.
Structuré à l'envers, ce livre ne se termine pas pour autant dès la première page, car pendant que l'amoureux délaissé revient pas à pas sur sa relation mi- chair mi- épistolaire essayant vainement d'en effacer les traces dans sa mémoire, le présent change à son cœur non défendant. Le début de l'histoire n'en sera pas nécessairement sa fin, comme la suite une réalité objective….
Ce roman original dans sa construction dramaturgique fait se succéder sur un fil narratif continu, des trames et des temps différents, parfois en compte à rebours, parfois sous forme de boucles rebondissantes qui nous ramènent inlassablement au chapitre 11.
Après un court préambule, le roman s'ouvre directement au chapitre 12, “Il“ est seul devant son écran de téléphone attendant désespérément un message d'“Elle“ qui l'a quitté sans une explication juste un dernier mot sous la forme d'un smiley. Désespéré, il découvre le vide et la précarité d'une vie sentimentale, réduite à quelques centimètres carrés d'une technologie guère sensible. Naïvement il essaye alors de remonter le temps afin de revivre un à un tous les souvenirs qui le rattachent encore à elle.
A chaque évocation d'un épisode de sa courte vie amoureuse, il tente de l'effacer de sa mémoire, comme il le ferait avec une ardoise magique. Le livre déroule ainsi son histoire à l'envers. Après les derniers moments, nous découvrons les toutes premières fois, première dispute, premier lit, premier baiser, premier mot d'amour et le tout premier moment de la rencontre.
Étrangement à chaque nouveau chapitre, leur histoire romantique se détricote, s'effiloche, leurs souvenirs se vident de leur contenu, rendant les personnages de moins en moins malheureux et amoureux également. Seul le lecteur connait la fin supposée de cette romance.
Page après page, nous arrivons au chapitre 1 juste avant la rencontre. Pourtant au lieu de la chasser de sa mémoire par un crime littéraire parfait, il la rendue terriblement présente, ravivant tous ces petits moments oubliés.
Le commencement de cette aventure semble en être brutalement sa fin littéraire. Nous nous retombons au chapitre 12 : “On peut mourir par amour manqué… “ Il sent sous ses pieds un gouffre qui pourrait l'emporter…
Mais un rebondissement vient prolonger l'histoire, créant une suite inattendue au chapitre 12, c'est à dire au début du roman! Après des jours de silence, elle lui a enfin envoyé un texto. Mais pas n'importe quel message… Après quelques hésitations, elle lui avoue qu'elle est enceinte. “De TOI“ rajoute-elle, avant de disparaître à nouveau derrière l'écran.
Tout semble alors pouvoir recommencer dans un temps chrono-logique, qui égrène ses chapitres de 13 à 18. Nous suivons les deux amoureux dans un huis-clos quotidien qui semble suivre cette grossesse non choisie. Cet enfant est à la fois un miracle pour cette jeune femme qui pensait être stérile et une prise d'otage de son ventre qui tente de la ramener à lui. Ils ont définitivement refermé leur clavier, mais le dialogue reste difficile entre eux. Alors ils vont se lancer dans une nouvelle forme de correspondance. Un cahier de bord, dans lequel tour à tour ils confieront, elles ses doutes et son amour renaissant, lui sa joie et sa peur de la perdre à nouveau. Le signe de l'arrivé d'un message est une petite statue indienne posée tête en bas.
Mais nous n'irons pas vers l'issue évidente et heureuse d'un 18 ième chapitre, car le roman nous ramène brutalement au chapitre 11, comme un réveil brutal après un long coma. “On peut vouloir mourir par amour manqué et heureusement se rater“. Et si cette grossesse miraculeuse n'était qu'un rêve sans éveil de 9 mois….
“ L'Amour à l'envers“ extrait, les premiers chapitres
PRÉAMBULE
Tout commence et tout finit dans la solitude du silence comme une absence sans bruit…
En général, les histoires d'amour commencent bien, d'où l'envie de vous les raconter par la fin ! A l'image d'un polar amoureux, connaissant la victime de cœur et le dénouement fatal du bonheur, nous remontons le fil du temps, suivons la carte du tendre jusqu'à sa source. Nous décortiquons jour après jour la passion amoureuse, dévorant des yeux ce fruit exotique de sa peau duveteuse à sa chair savoureuse, jusqu'au germe de son noyau.
Dans ce « compte à rebours » pour adultes, nous découvrons à chaque paragraphe des personnages de plus en plus amnésiques, qui se dénuent peu à peu de leurs derniers souvenirs, les preuves d'amour s'effacent page à page, jusqu'au moment de la rencontre, où rien d'irréversible ne s'est encore produit. Rien qu'ils ne puissent un jour regretter, rien qui ne les ait marqués à jamais.
Semblables à des voyeurs impénitents, nous lecteurs, assistons, impuissants, au lent déshabillage
du temps, qui dans les deux sens dénoue et vide l'amour de nos vies.
Mais pendant que nous mettons nos pas dans les leurs, le présent continue d'avancer. A la toute première fin de ce roman, son début n'est peut-être plus le même… Après tout, cela serait dans l'ordre des choses, le temps d'écrire et d'oublier… tout peut encore changer.
12- L'ABSENCE
Un ultime message envoyé sur un écran tactile, décidément trop froid, comme la fin de ce mois de décembre ; un miroir technologique qui ne renvoie plus rien, sauf son propre reflet ; des mots et des lettres qui se perdent au bout des doigts… Sa correspondante a définitivement décroché ne répondant plus à ses messages… Raccroché le combiné subtil de son corps et de son esprit qui le fascinait, déconnecté le fil sensible qui les reliait. Désormais, son cœur sonne occupé, sans doute par d'autres bras !
Alors seul, perdu dans des pensées confuses, assailli de questions sans réponse, il tente de l'oublier. Il efface un à un les derniers fils du commentaire, d'un monologue sans partenaire. Il commence par petites touches, rien de plus facile tant que cela ne ressemble pas à de grandes enjambées. Et brutalement il se dit « Mais qu'est-ce qu'il me reste finalement de cet amour iphonaire ? Aucun courrier timbré sur de jolis papiers parfumés, pas de petits mots doux griffonnés sur un emballage cartonné, pas même un post-it collé sur la porte du frigo, « Achète du pain et n'oublie pas de m'aimer ! » Rien, au cœur de cet univers d'abréviations et de textos ! Rien, aucune trace manuscrite semblable à une empreinte de sa main, qui puisse me rappeler qu'elle eut existé. Rien, pas même une phrase complète, juste des maux sans lettres, pas de quoi en faire un roman… »
En jetant trop souvent nos SMS dans des poubelles portables, trop vite vidées, nous conjuguons nos vies au présent, dans un désir d'oubli numérique évident. Les preuves dactylographiées de l'amour se perdent entre nos doigts, agiles pour ces caractères policés, mais maladroits dans sa pratique manuscrite.
Et quand tout est fini, il ne reste plus rien pour se raccrocher, rien pour se souvenir, plus rien à relire pour se prouver qu'un jour l'amour ait existé, pas même la trace scripturale de sa signature. Il ne nous reste plus que la souffrance de l'absence pour nous le rappeler.
Le héros bien involontaire de cette banale histoire contemporaine découvre alors une nouvelle dépendance.
Après celle de l'être aimé, vient celle de son téléphone ! Il n'a de cesse de le regarder, sans pour autant l'admirer, vérifiant constamment, par une simple caresse du bout de l'index, l'état de son fonctionnement, la charge de ses batteries. Il le questionne à tout bout de champ, cherchant l'appel raté, le SMS manqué, le bug annoncé. Mais surtout, il souffre terriblement de l'absence, du manque… de réseau. Il finit par choisir ses destinations en fonction de l'apparition de petites barres lumineuses, celles indiquant la très bonne ou la très mauvaise réception du signal. Il construit ainsi sa nouvelle vie, organisant ses déplacements, ses rencontres avec pour seul principe de base : « Rester couvert, en toute occasion ! ». Voilà comment, en l'espace de quelques semaines, il est devenu le jouet, l'esclave consentant, d'un bourreau à touches !
Trop portable pour l'oublier, il reste néanmoins le seul lien tangible, l'unique écran magique qui relie deux êtres complices, issus de deux mondes distants. Ce petit miracle technologique lui donne l'illusion de la proximité de l'être aimé alors que son éloignement géographique lui prouve constamment l'inverse.
Et lorsque cette étrange machine, extension de sa main, ne s'allume pluscomme un regardéteint, ne vibre plus comme un cœur sec et ne sonne plus à l'appel du prénom de l'être cher, il saisit alors l'immense vide de son existence, sa précarité sentimentale absolue.
Toute son attention avait fini par se focaliser là ! Une vie entière réduite à six centimètres carrés d'un écran tactile guère sensible. Tout s'était construit ici-même, par de simples mots mis bout à bout, des centaines de phrases, des milliers de lettres, semblable à une correspondance littéraire.
Des premiers émois amoureux aux yeux rougis de bonheur, en passant par des éclats de rire puis un jour, dans ces mêmes yeux, ces anciens éclats remplis de larmes. Il avait l'impression d'y avoir tout connu, acteur et spectateur d'une histoire aujourd'hui en court-circuit…
Il se dit alors avec candeur, qu'il pourrait effacer cette relation un peu trop épistolaire, un peu trop extraordinaire, comme on le fait avec une ardoise magique d'écolier. Juste comme ça, en zippant ce petit tableau gris anthracite de bas en haut, ou sinon comme dans un roman, en tournant la page sans en corner le bord, il poserait cette fille perdue à jamais à la marge de sa vie. Il y mettrait une ponctuation toute définitive et sans guillemets, évitant les « trois points à la ligne », synonymes d'espoir ou de regret. Puis à la dernière feuille du manuscrit, il rajouterait les trois indispensables lettres du mot FIN. Puis sur ses tablettes numériques, poursuivant son travail de deuil, il supprimerait l'e-mail de son prénom, espérant effacer, en même temps l'émail de son sourire... En annulant ce contact, il la rangerait définitivement dans la case indésirable.
C'était le scénario technologique idéal, qu'il avait naïvement imaginé, n'ayant pas idée de la réalité du chemin qui lui restait à parcourir, ni de l'issue surprenante qui l'attendait…
En attendant, résigné à un destin qu'il n'a pas choisi et qui l'accable, il se sent seul, comme un animal en cage qui inventerait ses propres barreaux. Dans cet univers clos, son esprit s'évade par à-coups, n'avançant que par retours successifs sur son histoire.
Comme relié au présent par un élastique, il a l'impression d'être ramené constamment, par bonds successifs, sur son passé. Sauf qu'à l'usage, l'élastique se détend, ne le posant pas tout à fait au même endroit. Elle le projette chaque fois un peu plus loin qu'au saut précédent, tout en le ramenant inexorablement à son triste présent.
Cet aller-retour continuel, par le jeu du fil du souvenir que détend progressivement le temps, lui fait revivre son histoire par des flash-back de plus en plus lointains… Jusqu'à ce que tout à coup, l'élastique cède… et l'abandonne, quelque part entre là-bas et maintenant, lui balafrant une nouvelle fois le cœur par l'extrémité coupante du lien déchiré.
Désemparé, il estobligé de faire le reste du trajet à pied, chargé lourdement de ses peines et de ses regrets. Pour avancer sur les bas-côtés d'un chemin qu'il pensait tout tracé, il abandonne progressivement une partie de ses bagages.
Il réalise alors qu'au début de leur relation, elle avait déjà pris de l'avance sur lui. Elle l'avait remarqué la première, sans oser l'aborder. Elle avait frissonné à son premier regard, vibré lorsqu'il avait effleuré sa main… Puis elle l'avait follement aimé avant qu'il ne s'en aperçoive, portant en elle les premiers mots d'amour, avant même qu'il n'ose les lui écrire puis les prononcer à son oreille. Peu à peu, elle avait souffert de l'éloignement géographique, des séparations physiques presque mutilantes de chaque fin de week-end, quand lui était encore dans des projets de l'après. Enfin, elle l'avait quitté, avant même qu'il ne le réalise, aveuglé par une trop grande confiance en lui.
En essayant de la rejoindre mentalement, il vivait pour la première fois toutes les étapes qu'elle avaitfranchies une à une, pas à pas. Dans la divagation de son esprit, il imaginait qu'elle l'attendait quelque part, assise sur un rocher, comme patientent les randonneurs à l'attente des retardataires. Mais plus il avançait, plus elle filait devant lui, sourde à ses messages, déjà trop loin pour les entendre. Avait-elle déjà changé de route… de partenaire ?
S'étaient-ils perdus à un croisement, prenant chacun une direction opposée ? Etait-elle sur un autre chemin d'amour buissonnier, s'offrant une pause en forme de parenthèse, avant de le rejoindre lorsqu'il serait enfin à sa hauteur ? Tout ceci était-il finalement bien réel, cette aventure hors du commun, cet amour démesuré, puis d'un coup, cette fiancée évanouie, comme effacée ?
Il nageait en plein opéra, le drame annoncé était bien là. Pourtant, il n'imaginait pas être à la fin du dernier acte de sa vie amoureuse. Ces questions et ces doutes sans réponses, plus forts que son humour devenu désormais sombre, l'assaillaient, ne lui laissant aucun répit. Ils le plongeaient dans un état où son esprit et ses forces étaient comme aspirés de l'intérieur, semblable à une dépression avant la tempête.
L'angoisse d'une séparation définitive le submergeait. Sa solitude soudaine, sa détresse d'être ainsi abandonné sans un mot, tous ses souvenirs accumulés l'empêchaient de tourner aussi facilement la page que sa raison folle l'imaginait. Dans cette euphorie amoureuse, il n'avait pas mesuré le poids et l'empreinte que cette femme avait pris dans son existence et dans sa tête.
Il n'avait aucun moyen de calmer le mal qui le rongeait de l'intérieur ; il aurait aimé l'effacer de son esprit, de son cœur aussi, comme ça, d'un simple claquement de doigts, demandant au destin de servir, illico presto, la suite de son dessein.
Alors, pour quitter cette fille à jamais, la faire disparaître de sa vie, comme dans un crime passionnel réussi, il eut l'idée de remonter le fil du temps, de revivre un à un tous ses souvenirs, quitte, de nouveau, à en souffrir.
Tourner les pages de son histoire à l'envers, effacer au passage de sa mémoire un à un tous ces instants, du premier lit au premier baiser, du dernier signe d'elle au premier mot doux.
Revenir en arrière, vider tous les tiroirs du temps, et arriver ainsi aux tout premiers regards puis à l'instant d'avant, ce moment très précis où elle n'existait pas encore, où rien d'irréversible et d'imprégnant ne s'était encore passé.
C'était comme supprimer cette femme d'un coup de crayon, dans un crime parfait ! Plus de trace ! Débarrassé, libéré d'une déprime amoureuse annoncée grâce à un homicide littéraire programmé !
Mais, il ignorait qu'en chemin, il redécouvrirait des choses qu'il avait occultées. Des petits comme des grands moments oubliés, il sous-estimait la complexité du souvenir et la puissance de ses sentiments, encore brûlants.
Cette fille, au lieu de s'en débarrasser en effaçant une à une les images de sa mémoire, il finirait peut-être par la comprendre et encore plus, par l'aimer, figeant dans le temps de l'écriture des pages d'un roman, une passion amoureuse pour l'éternité. Une relation hors du temps qui finirait congelée, protégée de l'oubli, du regret qui ternit et de la souffrance qui salit. Mais loin d'imaginer l'écueil qui l'attendait, aujourd'hui, il se remémorait simplement le jour du jour précédent…
11- DERNIER MESSAGE
Les réponses à ses messages étaient de plus en plus brèves et laconiques…
A un « Bonjour, comment vas-tu aujourd'hui ? » en cinq mots complets et 25 lettres, il ne s'était jamais habitué aux raccourcis, elle répondit : « Bi1 » (bien) un mot, ou du moins un genre de mot, en quatre lettres ou plutôt trois caractères !
A un « Tu penses à moi ? », quatre mots,sûrement quatre de trop, le seul retour fut tout d'abord un blanc, comme un silence amenant le doute. Pour la première fois, il n'y eut pas de mot en guise de réponse, pas même une abréviation. Non, plus rien qui ne soit comme avant follement romantique. Juste une icône sourire en forme de smiley ! Cet être déroutant, qu'il avait placé si haut dans son panthéon amoureux, jouait les icônes, les saintes muettes, répondant peu et se contentant de sourire dans une figure de style imposée.
Etait-ce un nouveau jeu pervers ? Celui de le prendre désormais pour un alpha-bête ? Ou essayait-elle de se faire encore plus désirer par une absence cruelle d'expression ? Ou pire était-ce un mal-être profond, une fêlure définitive entre eux, que les motsles plus usuels, n'arrivaient plus à combler ? Malgré tout, il n'imaginait pas être à la fin de ce très long baiser, commencé six mois auparavant.
Ce ne fut donc pas un mot, qui fut le dernier signe d'une relation qui pourrait bizarrement être qualifiée d'épistolaire en ce vingt-et-unième siècle, mais un rond, une note en forme de zéro pointé sur leur avenir amoureux, un signe douloureux, symbole mathématique de vide et de néant. Tout cela sous les traits de la figure énigmatique d'un visage rond, radieuxet impersonnel tristement heureux. Smiley, souriez en anglais, c'est pour la photo d'adieu !Après, tous les messages qu'il essaya d'envoyer restèrent lettre morte. Au bout du dixième, il finissait par ne parler qu'à lui-même, faisant à ses questions angoissées les réponses qu'il imaginait. Augmentant dans un monologue tragique un sentiment d'abandon qui aurait pu être également, cruelle ironie, celle de l'absence de réseau !
« Tu es là ?... Peut-être pas ? Réponds-moi, j'ai besoin de te lire ! Tu ne veux plus m'écrire ? Pourquoi ? Tu reçois mes messages ? Moi, je n'en ai plus aucun de toi… Tout est fini entre nous ? Alors dis-le moi, ne me laisse pas ainsi dans le doute ! Ton silence est-il une réponse ? Même ta boite mail ne me répond plus… J'ai peur de comprendre… Je n'ai plus le courage de chercher d'autres explications à mes questions… Et puis à quoi ça sert que j'écrive tout ça… Je vais cesser de te harceler… ».
Dans un silence absolu et bientôt définitif, issue qu'il redoutait, ses derniers signes de vie, qu'il n'avait pas encore effacés, le contentaient, comme un affamé se rassasie des miettes de pain restées là après le festin. Elle lui avait simplement répondu d'un smiley, certes, ce n'était pas très bavard, mais au moins c'était déjà ça ! Il se disait : « Ce n'est peut-être pas encore la fin. ».
Car il y a toujours pire que les mots brefs, même s'ils sont frustrants. Leur absence et le moment, juste après, où plus personne n'entend les vôtres. Ceux-là vous restent là dans les mains, vous embarrassent le cœur et l'esprit, vous devriez les jeter avant qu'ils ne vous rongent de l'intérieur, tous ces colis en poste restante, attendant leur destinataire. Ces missives dont on n'a pas eu le temps de s'affranchir, deviennent autant de regrets qui vous hantent.
Elles finissent par vous faire un nœud à l'estomac, comme celui du sac dans lequel vous auriez aimé les enfermer avant de les noyer !
Alors, ne pouvant se résoudre àla passivité d'une attente interminable pour le dernier jour de sa vie amoureuse, il remonte un peu en arrière, se rappelle les semaines précédentes, où elle ne se contentait non pas d'un mot, même raccourci ou d'un symbole impersonnel, mais plus généreusement d'un adjectif et d'un sujet !
Ah, les femmes, si cultivées et bavardes quand elles vous aiment, deviennent vite des analphabètes muettes au moment de vous quitter ! Aujourd'hui, sa muse s'en est allée et des pages blanches, semblables à des draps recouvrant le mobilier d'une maison en deuil, se sont glissées sous ses doigts, l'empêchant de composer de nouveaux mots.
Pourtant il n'y avait pas si longtemps, elle écrivait : « Tu me manques ! », trois mots, un point d'exclamation comme un cri ! « Je pense à toi… ». Trois mots encore et trois points de suspension, comme un soupir sans suspense, une évidence sans réflexion, une perspective pour après. C'était le début heureux d'une vraie phrase. Un sujet : elle, celui de tous ses désirs, un complément d'objet direct, lui, ou « il », la cible de cet amour, sans aucun auxiliaire entre eux. Il y avait aussi un beau verbe : penser. Il avait connu un peu avant, la conjugaison du verbe aimer ; magnifique, voluptueux, enivrant… Mais là, j'anticipe sur le passé.
Le forfait illimité en texto a créé quelque chose de nouveau dans les relations amoureuses de ce siècle. Pouvoir s'écrire sans limites et à tout moment, coucher sur un écran dès la première rencontre… ses sentiments. Si cela paraît follement romantique, c'est sûrement moins troublant et moins engageant pour les futurs amants. En toute impudeur, ils peuvent s'exprimer sans avoir à craindre le regard et la réaction de l'autre.
Liberté d'écrire, de se laisser entraîner par ses mots, d'y prendre goût, de s'enivrer d'émotions dont l'ébauche manuscrite est plus aisée que la réalité des sentiments et de la chair. C'est aussi plus facile d'y confier toute sa fragilité et sa vulnérabilité en se sentant protégé par l'épaisseur du clavier.
Mais l'interprétation de ces missives téléphonées peut se révéler toute aussi hasardeuse, donnant autant d'espoirs exagérés que d'angoisses disproportionnées. L'absence de réponse ou la phrase courte, écrite hâtivement, mal ponctuée peut se révéler à double tranchant et créer toute une ambiguïté. Ne voyant pas les yeux de la correspondante, il y a comme un gigantesque fossé entre le sens des mots écrits ou leur absence et l'interprétation au bout des textos.
« CC (coucou) c'est moi, tu es là ? », pas de réponse ! « Tu sais… Je ne fais quepenser à toi… impossible de bosser sérieusement, tu deviens une vraie obsession ! » Toujours rien ! « Tu ne veux plus me parler ? T'es fâchée ? » Deux heures plus tard, elle répond enfin : « Impossible de te parler, arrête de me harceler, je suis en réunion ! ».
Un autre jour, toujours accro de son jouet technologique et de sa poupée romantique « Qu'est-ce que tu fais ? Je te dérange ? Non ? J'ai pourtant l'impression… Tu ne m'envoies que des ok ou des vivi, et maintenant, un voilà et pas plus ! Ah, tu conduis ? Désolé ! ».
Une autre fois elle lui avait écrit « On est plus complices ! » « Plus du tout » ou « plus encore » ? Ce message avait mis son cœur à rude épreuve avant que la correction arrivée un peu tard (c'était finalement « encore »), ne réussisse à dissiper le doute de ce lapsus digital !
Au fur et à mesure de leur histoire, il découvrait les risques inhérents à cette écriture contemporaine. Au début, le flot de leurs mots couvrait les défauts de leurs textos. Sûrs de leurs sentiments, ils corrigeaient instinctivement ces erreurs de typo, ignorant les doubles sens possibles, complétant des bouts de phrases manquants, répondant par avance à leurs interrogations. C'était le propre de la passion que de remplir les manques affectifs, d'effacer les doutes et d'en combler les moindres vides.
Mais aujourd'hui, au moment où les motsse raréfiaient, ces assemblages de lettres prenaient plus d'importance, ils devenaient plus vifs, plus tranchants, plus crus à ses yeux. Envahi par le doute, il les disséquait, les tordait dans toutes les directions, cherchant un autre sens caché, essayant de les faire parler comme un tortionnaire avec son condamné, sauf que dans ce cas précis, c'était lui le supplicié.
« Je me demande encore si tu m'aimes ? », « C'est-à-dire ? », « Tu tiens à moi ? », « Oui, bien sûr ! », « Et puis ? », « Et puis quoi ? », « Je te manque ? », « vi ! », « Tu ne m'oublies pas ? », « Non ! », « A bientôt mon amour, baisers tendres ! », « Moi aussi bz ». « Moi aussi quoi ? » se disait-il... moi aussi tu me manques ? Moi aussi, tu ne m'oublies pas ? Ou juste moi aussi des baisers tendres ? Il n'eut jamais sa réponse. A toutes ses interrogations franches et directes, elle répondait à peine, esquissant un « voilà ! » ou un « vi » à la place d'un oui, pourtant pas plus long à écrire. Plus jamais elle n'écrivait un « Je t'm » de ses mains. C'était cela leurs derniers messages, angoissés d'un côté, laconiques de l'autre.
Et ce dernier texto, qu'il décortiquait encore plusieurs semaines après, dans un vrai travail de bourreau, ne faisait qu'accroître sa peine.Une impression bizarre le traversait, il sentait bien qu'à son peu d'entrain à lui répondre, il la perdait. S'il ne lui envoyait plus aucun message, combien de temps tiendrait-elle ? Il l'avait donc testée, en se lançant pour la première fois et sans préavis dans une grève illimitée ducourriel !
Finalement, c'est lui qui avait fini par compter les heures puis les jours, pas plus de deux, attendant désespérément un signe de sa chère et tendre. Il avait cédé le premier, lui écrivant les mots qu'il aurait aimé recevoir sans rien obtenir sur ses revendications. Mais pour une fois, répondant moins succinctement, elle s'était étonnée des raisons de son silence et de ce débrayage brutal. Elle s'était inquiétée de sa santé, mais surtout sentie vexée à l'idée qu'il aurait pu ainsi l'abandonner du jour au lendemain, sans un mot d'adieu, sans son assentiment.
Pourtant dans l'autre sens c'était bien la réalité. De manière inconsciente, ou pas, cette femme cultivait par bribes une étonnante cruauté envers cet homme. Ne le quittant jamais réellement, le gardant à ses côtés et à bonne distance, attaché comme un animal fidèle. Elle le faisait espérer juste un peu, pour qu'il survive, sans jamais consommer l'adieu. Elle le nourrissait de temps en temps, par quelques mots, quelques touches sensibles et frustes à la fois, envoyés de son clavier, histoire qu'il ne meure pas d'amour immédiatement…
Un jour, n'y tenant plus il l'avait appelée pour savoir de vive voix si elle l'avait vraiment quitté. L'aimait-elle encore ? Pensait-elle déjà à un autre ? Tout était-il vraiment fini entre eux ? Et si c'était le cas, pourquoi ne pas lui faire cet aveu maintenant ? Au lieu de saisir cette occasion qu'il lui offrait généreusement, elle lui laissa entrevoir autre chose qu'une fin annoncée, autre chose qu'un mur sans ouverture.
Elle distilla dans sa tête une lueur à travers la fenêtre de son ouïe, comme un doute sur sa propre conviction, sur son désir profond, en un mot, un espoir. Elle lui confia que leur relation était devenue autre chose que cet amour fusionnel des premiers mois. Sans être une simple amitié post-amoureuse, cette relation était « autre », disait-elle, plus forte que la connivence de deux esprits, plus attachante que l'empreinte d'un corps dans un lit, un lien quelque part entre un amour de chair et une amitié de cœur, une relation sans nom, difficile à définir et à vivre.
Elle avait donc toujours besoin de le sentir proche, même si géographiquement il était loin. Et si aujourd'hui il lui manquait, c'était beaucoup moins qu'avant. Elle avait réalisé une véritable inversion des rôles, dans ce qui restait de leur couple, changeant de place sans qu'il s'en aperçoive, quittant la souffrance, prenant l'initiative de la suite, vivant tout au présent sans savoir de quoi demain serait fait. Perdue dans ses propres sentiments, se cherchant elle aussi, elle engageait une sorte de combat pour se retrouver enfin, comprendre qui elle était, ce qu'elle voulait vraiment.
A l'écoute de ses paroles, n'entendant que celles qui le rassuraient, il se remettaità espérer. Cette fille devait grandir, devenir femme pour lui revenir enfin.
De l'autre côté du miroir de l'écran, les choses n'étaient pas si simples, ni si faciles pour elle. Combien de fois elle aurait aimé répondre à ses textos, à ses messages de détresse, lâcher prise sur sa raison et se laisser aller à ses envies profondes, mais son esprit l'interpellait à chaque faux pas, lui rappelant ces jours de solitude et de douleur.
Elle imaginait bien qu'il souffrait lui aussi de ses silences, de ce sevrage forcé, alors de temps en temps, elle laissait partir un « ça va ? », se risquait à un « Je pense à toi ! », concédait un « Prend soin de toi ! » pour qu'il ne sombre pas, mais jamais davantage quand il essayait de reprendre le fil de la conversation. C'était déjà trop engageant.
Il en était donc réduit à se contenter de peu, de quelques mots presque volés, de dialogues interrompus et, en fin de messages, de baisers oubliés.
Mais en remontant plus en amont le fil de cette aventure, comme s'il eût suivi un fleuve jusqu'à sa source, il se souvenait avec ivresse de ces SMS de plus de deux lignes, de ceséchanges longs de plus de cent textos… Il se rappelait de ces moments exquis où, après l'amour, elle murmurait son prénom, entre ses lèvres, faisant vibrer la dernière note comme un ultime baiser qui n'en finit plus. Elle ré-habillait ainsi son patronyme qu'il avait fini par détester, mauvais souvenir d'école, le faisant précéder d'un « Ahhh » semblable à un râle amoureux. Pour la toute première fois, il découvrait un bout de son identité par cette plainte lascive, cette offrande syllabique, qui ne s'adressait qu'à lui, rien qu'à lui.
Alors, pour mieux revivre ces instants délicieux, goûteux, il la mima à haute voix, retrouvant dans ce souvenir auditif les incantations de l'amour, le bruit charmant de la passion au creux d'un lit.
Cette fougue, cet élan n'étaient pas si loin finalement. C'était sans le savoir, à la mi-décembre, leur dernière rencontre.
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