L'amour années cinquante
keline
L’amour années cinquante
Léa avait cinquante-deux ans. Pas cinquante, ni même cinquante-cinq ! Non, cinquante-deux. Elle avait séduit et abandonné des amours, toujours passionnés. À présent, elle se retrouvait seule dans le grand virage de la vie. Ce tournant qui vous chavire et vous flétrit… Elle avait choisi cet instant pour cesser d’aimer et s’occuper enfin d’elle-même. toutes ces dernières années, elle avait tout donné à son mari, ses enfants, ses parents. Elle avait pu préserver sa jeunesse avec ses amies mais elle ne savait plus qui elle était vraiment ! Elle s’était oubliée et les retrouvailles de la cinquantaine l'avaient laissée au bord du chemin. Jolie, elle avait joué de ses charmes . Elle avait fait durer ses vingt ans le plus longtemps possible. Elle s’était consumée, épuisée en somnambule de nuits féériques ; à présent, elle aspirait au repos. Ses déceptions, ses dérisions avaient forgé son âme, elle était devenue plus sage et plus sereine. a présent, elle allait s'apprivoiser jusqu’à s’aimer.
Elle décida de transporter sa nouvelle vie dans une maison isolée, face à l’océan. Ses amis prirent cette lubie pour passagère et l’encouragèrent dans cette direction. L’air marin lui ferait du bien.
Les premiers mois furent éprouvants car avant d’examiner ses pensées intérieures, il lui fallait affronter les marques coulées sur son visage, délaisser les regrets que déposent les rides naissantes, rassembler des cheveux fatigués et oublier l’ovale moins régulier d’un minois chiffonné. elle rengea l’arrogance de ses printemps et se rendit à l’évidence du temps qui passe.
Lasse de ces constats déprimants, elle arpenta la côte le soir, musique en tête et oreillettes en breloques. Elle retapa son vélo et visita les alentours ; elle écouta du swing – jazz à hurler dans toute la maison et elle dansa jusqu’à l’épuisement. Elle acheta tous les romans du moment et relut les favoris de sa bibliothèque. Elle devint une goulue de la presse, la politique, l’écologie. Elle reprit ses claquettes et fit vibrer le parquet du salon ; elle créa des chapeaux, des gâteaux, rejoua quelques arpèges sur sa guitare. Elle se consacra tout entière à elle.
Ses amis, inquiets, forcèrent mails, téléphone et porte pour s’enquérir de sa folie grandissante. Radieuse, elle leur offrait un regard sur sa nouvelle vie et leur ouvrait son cœur et ses raisons ; mais cela ne leur suffisait pas.
Laurent, son plus fidèle allié, l’appela plusieurs fois par semaine, puis décida de constater sur place le bienfondé de cet exil. Ils se retrouvèrent comme avant, avant les tourments, à marcher, à rire et prolonger les soirées de longues discussions animées. Laurent voulait la sortir. Oui, elle paraissait heureuse, mais il ne souhaitait pas qu’elle s’enferme dans ce bonheur solitaire. Pour leur dernier diner, il l’emmena sur le port.
Voici deux mois qu’elle n’avait plus goûté à la société. Elle regardait tout autour d’elle, trouvait les gens très laids et s’ennuyait déjà. Elle décida de combler cette entorse à l’exil en se racontant. Laurent ne pouvait plus l’arrêter, elle se noyait dans un flot de paroles : « ... dans ce roman, quand il décrit… et dans ce film, quand elle lui dit… et cet article, tu sais.. ! » Laurent ne retenait plus ses bâillements, elle l’avait épuisé ; son énergie, même en cette fin de soirée, le laissait sur le sol. Il fallait qu’il rentre, dorme et retrouve le calme. Il vivait seul, lui aussi, et trop de babillage bousculait son rythme de vie, son célibat plan-plan.
Elle ne l’accompagna pas dans son repli, sollicita la permission de trainer encore un peu et de commander un énième café. Elle le vit se lever avec effort et le trouva vieilli. Il ne lui demandait jamais rien, cependant elle culpabilisait toujours un peu lorsqu’il la quittait. Elle en ignorait la raison et ne voulait plus se poser mille questions ; elle devait penser à elle !
Elle se concentra sur la table voisine. Un couple avoisinant la quarantaine qui, au regard des flûtes à Champagne, devait fêter un évènement. L’homme, la mâchoire serrée, jetait des coups d’œil furtifs à la salle comme s’il eût espéré la venue d’un tiers brisant la froide intimité de leur duo. La femme jacassait. Cherchant à attirer l’attention de son compagnon, elle débitait des lieux communs dont elle-même ne suivait plus la cohérence. C’est beau l’amour !
Un peu plus loin, deux adolescentes dégoulinaient mollement sur leur chaise. Les cheveux longs des jeunes filles encadraient un visage boudeur et si l’addition n’avait été demandée, en fin de soirée leur lourde tête aurait échoué dans leurs assiettes. Le père et la mère, quant à eux, semblaient plus occupés par le spectacle d’une cliente élevant la voix que par l’occasion qu’offrait ce restaurant d'une réunion de famille. Au moins ne partageaient-ils plus, seuls, le fardeau de l’âge ingrat ! Il n’y eut pas un échange de paroles entre eux. Ils restaient à distance comme pour ne pas se heurter. Cela lui rappela la fragilité d'un foyer. On se rencontre, on se raconte ; on dévoile ses rêves, on bâtit des projets et parmi ces désirs un enfant vient à naître, à qui l’on conte l’histoire des princes et des princesses qui à leur tour revêtiront le rôle de parents. C’est beau la famille !
Léa avait la certitude que plus jamais on ne l’y reprendrait avec les fées et les châteaux en Espagne ! Le marchand de sable avait effacé cette poudre aux yeux. Elle se surprit à fredonner : « Que reste-t-il de nos amours… »
Perdue dans ses pensées, elle n’avait pas vu le serveur planté devant sa table, figé dans son habit de pingouin et affichant son sourire professionnel. Léa sentit la colère lui rosir le visage ; pourquoi réagissait-elle toujours ainsi lorsqu’un homme l’abordait ?
- Que puis-je pour vous ?
- Euh… en général, c’est plutôt moi qui pose la question !
- Oui, bien sûr, mais comme je n'ai rien commandé, je me permets de vous interroger sur la raison de votre présence !
- Hum ! Mon introduction semble moins aisée que je ne l’aurai souhaité. Votre froideur ne m’aide pas, non plus.
- Pardon ?
- Voilà ! J’ai fini mon service. Vous êtes seule devant votre tasse de café à observer sans discrétion (je peux vous l’assurer !) les clients de cette salle et je me demandais si je pouvais vous offrir quelque chose et m’assoir à votre table.
- Pour quelle raison ?
- Pour discuter. Si la vie des autres vous intéresse, dans mon métier, on entend tout et l’on voit tout, je peux vous raconter.
- Ce ne sont pas les gens qui m’intriguent, mais les couples.
- Vous les enviez ?
- Non, cela me déprime, en fait.
- Alors là, d’accord ! Je me permets d’insister. Puis-je ?
Il avança la chaise vers lui et Léa eut soudain peur. De quoi ? Elle n’en savait rien, mais elle aurait voulu fuir à l’instant et comme pour gagner du temps, elle bredouilla :
- Vous ne vous changez pas ?
- Cette tenue vous gêne ?
- Non, je parle de vos clients. Ils vont penser que vous continuez votre service et risquent de faire appel à vous.
- Vous avez raison, je reviens. Surtout, promettez de m’attendre !
- Je ne bouge pas.
Léa fouilla dans son sac et regarda l’heure sur son portable. Elle pourrait profiter de son absence et quitter la table en toute hâte. Elle ne se sentait pas prête à passer un moment avec un inconnu, même pour discuter. Elle l'entendait déjà lui asséner un... « Je vous raccompagne ? » ; mais d’un autre côté... « alors là, d’accord ! » à propos de son avis sur le couple, l’intriguait. Aurait-elle un disciple ?
Léa laissait divaguer ses pensées lorsque le pingouin revint. Elle leva les yeux vers lui et constata qu’il avait bel et bien quitté la banquise pour un regard de braise. Il glissa la main dans ses cheveux pour les ébouriffer et réajusta sa chemise de lin bleu sur un jean bien coupé. Il paraissait plus jeune. Mais au fait, quel âge pouvait-il avoir ? Et combien lui donnait-il, à elle ? Elle vit un autre homme, en tenue de ville. Cette idée d’une double personnalité l’effleura et cela lui déplut. Ces souvenirs ravivaient la douleur profonde de ses amours passés. Il n’attendit pas qu’elle l’invite à s’asseoir et se lança tout de suite dans la discussion :
- Bien ! Nous évoquions le couple, je crois ? Le couple en général, car je suppose que nous n’aborderons pas le vôtre, ou feu le vôtre, si j’en juge par votre regard courroucé.
- Exact, je n'ai pas pour habitude de parler de moi, bien qu’en ce moment je m’accorde une grande attention.
Il rejeta la tête en arrière et se mit à rire. Léa se détendit un peu, sa bonne nature semblait la rassurer.
- Tenez, à la table, là-bas, ces jeunes gens, vous les voyez ?
- Ils se disputent ? Ceci évoque pour vous l'image du couple ? Je vous trouve très négatif !
- Non ! Pourquoi ? Prenez ces deux trentenaires à votre gauche. Ils n’ont pas échangé plus de trois phrases depuis le début de la soirée, et encore, rien que des politesses ! Cette paire-là, oui, me parait négative ! Mais ces étudiants qui s’affrontent entretiennent le bien le plus précieux : la communication ! Dans quelques heures, je parie qu’ils se réconcilieront sur l’oreiller !
- Une façon de voir les choses...
- Vous n’êtes pas d’accord ?
- Les disputent d'un jeune couple naissent souvent d’un malentendu ou d’une mise à l’épreuve des sentiments de l’autre. On appelle cela des « querelles d’amoureux ». Au fil du temps, ces différents surgissent pour un rien, pour un plat cuisiné brûlé, pour un retard, une négligence, on les nomme alors « séparation », « divorce ».
- Eh bien ! Dîtes moi ! Vous qui me trouviez par trop négatif ?
Léa se ferma et regretta de ne pas être en cet instant, doublement lovée dans sa solitude et sa liberté. David, notre serveur, s’aperçut qu’il la perdait. Il la voyait déjà se levant, déshabillant le fauteuil de son manteau, réajustant la lanière de son sac sur son épaule puis tournant le dos à leur rencontre.
- Avant le couple, il y a l’amour, l’approche, la séduction ! Il n’est pas nécessaire de former une paire indissociable pour aimer ! Dans cette partie de notre parcours, nous n’exerçons plus le même rôle parental, nos enfants vivent ailleurs et nous ne découvrons plus la vie à deux dont nous avons goûté les plaisirs et essuyé les désagréments ! Vous ne croyez plus à l’amour non plus ?
- Qu’est-ce que cela change ?
- Oh là ! Vite ! Un digestif ! Un remontant ! Je ne vous laisse pas partir dans cet état !
Elle parvint à esquisser un sourire, mais ce genre de conversation la déprimait. elle connaissait tous ces beaux raisonnements, mais le soir dans le miroir… la fatigue et la vieillesse s'endormaient ensemble et le deuxième oreiller de son grand lit, restait toujours vacant.
- Qu’avez-vous prévu pour me retenir ?
- Je pourrai miser sur mon charme et les chances de vous plaire, mais je préfère vous parler de la séduction. Me suivez-vous ?
- Pour le jeu, oui.
- Alors, allons-y ! Quel est le plus agréable dans la naissance d'une relation ? La rencontre, n’est-ce pas ?
- Je pense plutôt à l’instant qui la précède.
- Exact ! Donc, la séduction ?
- Oui. L’inquiétude, l’émoi, les maladresses…
- Ils représentent des moments heureux ?
- Heureux et malheureux. Perdre un espoir le transforme en certitude.
- Perdre, gagner ! Vous me parlez bataille bien avant les querelles d’amoureux !
- En quelque sorte ! Ne dit-on pas les conquêtes amoureuses ou féminines ? Remarquez au passage, que l’on emploie rarement le terme de conquête masculine et que les femmes demeurent donc dans l’attente de vos déclarations. je resterai sur le pied de guerre car celle que je suis devenue ne cherche plus de terrain d’entente.
- Alors, la main me revient !
- Avec moi ? Vous avez plus à perdre qu’à y gagner !
- Je ne prendrai pas le rôle d'adversaire, ou de partenaire, mais à la place, celui du maître de jeu. Vous ne croyez plus au couple, à l’amour, d’accord ! Je vous propose de retrouver le plaisir de la séduction, sans aller plus loin. Tentez votre chance avec au moins quatre personnes et la partie se terminera lorsque vous pourrez répondre à cette question : pouvez-vous séduire sans aimer ?
- Je n’en aurai ni l’énergie, ni l’audace. Regardez-moi bien. Que voyez-vous ? Une femme seule de cinquante-deux ans, une souffrance qui n’est toujours pas enterrée et dont les larmes ont creusé un peu plus les sillons sur ma peau. Qui pourrai-je attirer ?
- À vous de trouver les moyens !
- Je passe mon tour.
- Le visage de David se ferma, sa voix se fit plus forte et ses yeux fixèrent Léa avec dureté :
- Alors, cessez vos discours sur les couples et l’amour, ne parlez plus de ce que vous ne connaissez pas !
Léa reçut ces paroles comme une gifle. Cet électrochoc la réveilla-t-il ? Il lui donna, en tout cas, l’envie de se battre, d’essayer, de croire en elle ou en lui ?
- J’accepte le jeu. Quand commence la partie ?
David se leva, contourna la chaise qui les séparait et serra Léa contre lui avec une grande tendresse. Elle faillit s’abandonner à la chaleur de son corps, de ses épaules l’enlaçant, mais elle craignit la faiblesse et de la fragilité de ses sentiments. Elle écarta doucement ses bras et lui sourit. D’une voix peu assurée, elle lui demanda de lui réserver cette table chaque semaine.
David réprima l’élan de joie qui le poussait vers Léa et reprit ses fonctions en notant sur le registre leur prochain rendez-vous.
Léa s’éveilla le lendemain, de fort mauvaise humeur. Pourquoi écouter les divagations de ce serveur ? Toute la soirée à entendre de la philosophie de comptoir ! Elle ne voulait plus le revoir ! Elle ruminait encore dans son bol de café lorsque Laurent pénétra dans la cuisine.
- Bonjour !
- Hum !
- Oh ! folle nuit ?
- Tu parles ! Après ton départ, j'ai du subir les délires d'un garçon de salle ! Je ne pouvais plus m’en défaire et j’ai dû l’écouter pérorer sur les couples, durant des heures !
- Toujours aussi sociable ! Mignon, le serveur ?
- Je ne sais pas, je n’y ai pas prêté attention.
- Menteuse ! Il faut que j’aille voir ça avant de rentrer !
- Tu me quittes déjà ?
- Léa, on en a discuté hier ! Greg rentre demain et j’aimerais l'accueillir
- Oh, Greg ! tu le vois toujours ?
- Léa, qu’est-ce que tu as ce matin ? Je ne te connaissais pas cet air grincheux au réveil ? Il s’est passé quelque chose de plus important que tu ne crois, à cette soirée. J’ai tort ?
- Non. Hier j'apprivoisais tranquillement ma solitude et aujourd'hui je la traine comme un fardeau.
- Et...
- Et cet idiot de David m’a lancé un défi ! Le jeu de la chance ou du massacre ! Et bien pire que tout, j’en ai accepté les règles.
- Tiens, David ? Tu l’appelles déjà par son prénom ? En revanche, je ne comprends rien à ton histoire ! Explique-moi.
- Nous parlions du couple ou plus précisément de la rencontre, donc de la séduction. Tu me suis ?
- Oui, je crois . Et alors ?
- Il m’a demandé de choisir au moins quatre personnes sans entamer de liaison afin de lui donner raison : la possibilité d'un charme sans l'amour. .
- Voilà quelqu'un d'optimiste ! Je ne m’étonne plus que tu te sois laissé tenter.
- Je ne suis pas tombé dans le piège, si c’est ce que tu sous-entend ! J’ai simplement accepté pour me débarrasser de lui et de son bavardage !
- Peut-être veux tu gagner la bataille et te prouver une fois de plus que les sentiments à risque, comme je les appelle, ne feront plus partie de ta vie ?
- Oh ! Bon ! Tu ne vas pas t’y mettre toi aussi ? Je n’aurai pas dû t’en parler !
- Léa, cela te fera du bien ; promets-moi de tenter la première manche ! Tu vois, je pars plus serein, quelqu’un prend le relai, te défi et te force à réagir . Belle, gaie et généreuse, tu possèdes les meilleurs atouts ! Bouge ! Aie confiance en toi et redeviens la Léa de toujours !
- Bon, je crois, effectivement, qu'il est temps que tu rentres !
Le ciel se chargait de nuages, la pièce s’assombrissait et les arbres secoués par les bourrasques sifflaient avec le vent. Léa avait hâte d’être seule, de s’enfoncer sous les couvertures, d’admirer l'océan d’un vert foncé fouetter les rochers. Léa aimait toutes les saisons à la mer, et les tempêtes lui rappelaient la volonté incontournable de la nature. Cette force des éléments réveillait la sienne et loin des discours et des obligations, la stimulait.
Elle accompagna son ami à la gare puis regagna vite la villa pour y retrouver le calme dont elle avait besoin. Elle repensa à sa soirée et se demanda comment aborder la séduction. Elle devait s'occuper de son visage et de ses cheveux et puis trier dans sa garde-robe. Tout cela restait superficiel ! Si elle soignait son apparence, elle ne devait pas pour autant négliger ses sentiments. La mort de son couple avait sérieusement endommagé l'estime qu'elle se portait. Son psy avait vu juste ; il lui parlait de démolition, de reconstruction, d’une vie en ruine. Elle lui avait répondu que les maçons du cœur ne figuraient pas à son programme et cela l’avait fait sourire. Il y a quelques fissures, mais l'édifice tient encore debout et la feinte paraissait possible. Léa s’endormit sur cette dernière pensée : la séduction n’est-elle qu’artifice ? Ce nouveau raisonnement ne l’encouragea pas à entamer une mise en valeur dans sa salle de bain, elle préféra glisser vers le sommeil de l’oubli.
Léa avança son roman. Elle vécut sur les réserves alimentaires de son congélateur, passant de la cuisine à la chambre, vêtue d’un vieux pantalon de jogging et d’un grand tee-shirt. On ne peut pas dire que Léa s’était prêtée au jeu de David. Je dirais même qu’elle s’était presque acharnée à lui prouver le contraire ! Elle savait que dans ses moments d’incertitude, elle devait tomber au fond du gouffre, pour y taper du pied et remonter plus facilement à la surface. Elle reconnaissait alors sa force et sa volonté. Elle avait besoin de se laisser choir pour se relever.
Elle ralluma son portable, en sommeil, depuis le départ de Laurent, et attendit nerveusement, les alertes répétées de probables messages, ou le silence installé sur l’écran. Voyons ! Sofi, meilleure amie, Kate, Helen, Jacques, Laurent... Laurent ! Elle ne lui avait pas téléphoné, comme à son habitude pour savoir s’il avait fait bon voyage ! Et s’il lui était arrivé quelque chose ? Elle écouta, coupable, le répondeur :
- Bonjour, c’est Laurent ! Tu dois être très occupée car je ne parviens pas à te joindre et qu’en retour tu ne me donnes aucune nouvelle. J'ai pensé à toi mardi soir ! J’espère que tout s'est bien passé, que ton serveur te guide correctement dans ce jeu dangereux et que tu progresses. N'oublie pas que j'ai misé sur toi !
Quel jour sommes-nous ? Mon Dieu ! Je n’ai pas vu le temps passer ! Et puis ces échéances et ces habitudes ! Pour qui se prend-il ?
Sa colère contre elle-même se retourna en abattement Elle téléphona au restaurant afin de s’excuser, mais ne parvint pas à le joindre.Il venait de terminer son service et elle en fut déçue. Elle douta tout d’abord de la véracité de cette information, puis chassa sa méfiance et se résigna. Après tout, les choses devraient peut-être s’arrêter là.
Les jours suivants, Léa tourna en rond. Sa paresse ne lui semblait plus aussi confortable et son exil lui rappelait sa solitude ; son passage près du miroir de la salle de bain l’affligea. Elle ouvrit les rideaux, se prépara un café très serré et prit son bol sur la terrasse, où le vent la giflait comme pour la réveiller. Toute seule, elle n’y parviendrait pas ! Elle hésita, puis composa le numéro du centre de thalasso :
- Bonjour ! Je souhaiterai réserver pour un soin, enfin, plusieurs : peau, visage et corps.
- Ne vous inquiétez pas ! Nous allons nous occuper de tout ! Donnez-moi une préférence de date et vous conviendrez d’un forfait avec nos spécialistes à votre arrivée sur les lieux. Oui, bien sûr, il nous reste des plages disponibles. Vous désirez réserver pour une demi-pension ou un séjour complet ? Que l’on vienne vous chercher à la gare ?
- Non ! j’habite ici, je prendrai juste les séances de soins.
- Bien ! À demain donc, à 10 h 30.
- Merci, à demain.
Léa pensait qu'une part importante de sa vie se jouait sur cette journée. Cet effort lui semblait une victoire, même si la liste demeurait longue : le coiffeur, l’institut de beauté pour le maquillage, le modelage, l’épilation. Certes, il y avait du travail. Prendre les numéros, chercher les adresses ; tout lui paraissait insurmontable ! Cependant, une fois ces missions accomplies, Léa se sentit plus légère. Elle enfourcha son vélo et décida d’aller s’épuiser contre le vent tout le long de la côte jusqu’à la pointe du Bec.
La soirée se passa tranquillement au coin du feu. Le téléphone posé sur ses genoux, elle attendait l’appel qui lui permettrait de vanter ses exploits. Ce dernier restait muet, et joindre ses amis lui paraissait dérisoire.
Elle consulta son compte Facebook, commenta les articles politiques qu’on lui envoyait, puis éteignit ses lampes de chevet, laissant la lumière de la lune rousse, éclairer sa chambre. Elle gouta peu ces instants de plénitude car elle sombra dans un sommeil profond.
Elle fut réveillée à l’aube par la basse de Marcus Miller, vibrant dans son portable. Ceci la mit en joie et elle décida de profiter de ce début de matinée en continuant son roman. Mais elle n’avançait pas, les mots ne venaient pas. Elle s’enveloppa dans son caban et alla se lover dans son vieux fauteuil en osier, sur la terrasse. Le ciel violine annonçait une belle journée, où tout semblait possible. La mer écumait, mais elle léchait les rochers, pour se retirer vers une marée basse. Léa respira profondément et sentit une joie démesurée gonfler ses poumons. Elle s’immergea sous la douche, s’habilla en toute hâte, mit de l’ordre dans sa chevelure, une touche légère de maquillage, et se dirigea vers la thalasso. Elle n’aimait guère ces endroits mondains, mais cela demeurait la seule façon pour elle d’avancer à grands pas. L’hôtesse lui prit son manteau du bout des doigts, pinçant sa lèvre inférieure en une moue de dégoût. Qu’importe ! Elle se moquait bien de cette pimbêche ! Sa vie valait bien la sienne ! Durant toute la matinée, elle s'allongea de salles en cabines ; elle se fit masser, triturer, bichonner, pour un résultat visuel inexistant, mais un apaisement physique, inouï. Elle devrait venir plus souvent !
Elle pouvait prendre le temps de grignoter… oui, mais elle avait épuisé toutes ses réserves durant sa retraite passée. Elle se dit avec une volonté qui la surprit qu’elle allait s’offrir un repas sur la terrasse couverte d’un restaurant. Elle descendit d’un pas assuré vers le port et se félicita d’avoir choisi cet endroit pour escale.
Lorsqu’elle s’installa à une table, elle espéra secrètement ne pas voir arriver un serveur. Une jeune fille prit bientôt sa commande. En toute contradiction, elle fut un peu déçue et repensa à David avec nostalgie. Et s’il ne voulait plus jouer ? S’il l’avait oubliée ? Et si tout cela n’avait jamais été sérieux pour lui ? Elle avala rapidement le contenu de son assiette et entreprit d’aller boire un café dans le restaurant de David. Elle l'aperçut qui discutait au comptoir. Il avait manifestement terminé son service. Elle héla le barman, pensant qu’au son de sa voix, il se retournerait. Il jeta en effet un bref coup d’œil, puis se recala sur son tabouret, lui tournant définitivement le dos. Léa ne se découragea pas. Elle s’approcha et resta silencieuse derrière lui. Elle attendit. Il lui fit face dans un mouvement brusque et elle recula, effrayée. Il s’adressa à elle sur un ton ironique :
- Tiens donc ! je vous présente Madame la pétocharde, madame la lâcheuse ou peut-être madame l'amnésique ? On ne sait jamais à votre âge !!
- Je comprends votre colère et je suis venue m’excuser. Je ne me sentais pas prête, mais vous m’avez dynamisée, par votre jeu, et j’ai commencé la partie.
- Mais pourquoi me dites-vous tout ça ? Je vous ai lancé un défi loyal, je voulais vous aider, et vous et votre ingratitude vous ne m'avez même pas prévenu de votre absence !
- Ça suffit ! Cette fois J'en ai assez ! Je ne vous ai rien demandé ? Pour qui vous prenez-vous ?
Léa sentit le rouge lui chauffer les joues et elle se dirigea vers la sortie, bousculant une chaise et un client, au passage. Son cœur battait à tout rompre, il fallait qu’elle marche, qu’elle se calme. Son rendez-vous chez le coiffeur lui semblait dérisoire et inutile. Cette pensée la fit même sourire, et son tempérament volontaire revint à la charge en lui conseillant de ne pas abandonner, bien au contraire ! Elle allait lui montrer qu’elle pouvait séduire qui elle voulait et partir sans regret !
- Un bel homme, la cinquantaine, l’invita à prendre place dans un des fauteuils du salon et l’aida à revêtir une blouse informe et incolore. Lorsqu’elle vit son visage dans le miroir, elle aperçut une femme en colère, la mâchoire crispée, les sourcils froncés, et couronnant le tout, une dureté qui lui rajoutait quelques années. Le coiffeur aux peignes d’or ne sembla pas s’en préoccuper. Il lui tint les paroles d’usage : « qu’est-ce que je vous fais ? » ou : « vous avez des cheveux très épais ! » (Sous-entendu pour votre âge !)
- Comme il vous plaira, vous êtes visagiste, non ? Alors des cheveux longs, courts... Coupez, ondulez, coiffez ! Qu'importe ! Je ne veux pas paraitre plus jeune je désire simplement que vous m’ôtiez ce masque !
- Bien ! J'opte pour une transformation radicale. Vous possédez plusieurs atouts : un joli visage, des yeux en amande qu’il faut à tout prix libérer de cette frange derrière laquelle vous vous cachez. Je vois tout à fait ce qui vous conviendrait.
- Je vous fais confiance, mais s’il vous plait, épargnez-moi ce bavardage commercial. Ni vous ni moi n’avons envie de devenirs les meilleurs amis du monde, alors exécutez votre travail et laissez moi parcourir ces revues de starlettes que je ne feuillette que dans ce genre de lieux !
Vexé, ce bellâtre de la coiffure prit un air pincé et accéléra la cadence jusqu'à brûler l'étape du " ce n'est pas trop chaud ?" au moment du rinçage. Léa commençait à se détendre ; le massage de son cuir chevelu, tout à l’heure, l’avait apaisée presqu’à l’assoupissement. Elle jetait de temps à autre, un coup d'œil vers le miroir, mais n’y voyait que des mèches raidies par le poids de l’eau qui se modelaient sous les doigts du dompteur de crin. Une éternité plus tard, elle put constater une nouvelle fraîcheur sur son visage qui, projeté sur le tain, paraissait rajeuni. Elle plongea son regard dans celui du magicien et le remercia chaleureusement. Elle n’avait pas remarqué ses yeux du même gris que ses cheveux, cet air sain, clair qui lui donnait confiance. Elle se souvint du jeu et décida d’exercer ses pouvoirs sur cet homme. Lorsqu’il lui tendit un abonnement fidélité, elle s'en amusa tant il évoquait pour elle le début d’une aventure sans mensonge, mais elle se ravisa et lui offrit sa carte de visite, l’invitant à l’appeler pour un premier dîner. Il fut surpris, flatté à la fois et promit de la contacter :
- Dîtes donc ! Votre visage est changé, mais votre caractère aussi ! Je préfère vous voir comme ça ! Vous rayonnez et ceci n’est pas dû à la coiffure, mais à votre sourire.
Léa sortit du salon en serrant le carton contre elle et en riant toute seule de son culot et du résultat finalement positif de cette journée. Elle marchait doucement sur le trottoir, dévisageant au passage les hommes qu’elle croisait, pour mieux estimer la force de sa nouvelle séduction. Aucun d’entre eux ne baissa les yeux et tous lui semblaient répondre à ses appels. Elle se sentait différente et invincible. Elle aurait aimé retrouver David et lui montrer qu’il avait eu raison de croire en elle. une ombre voila brusquement son regard.
Elle devait procéder à l’étape finale du maquillage. Elle entra timidement dans la parfumerie – salon de beauté, donnant sur le port. L'endroit désert lui fit un peu peur et l’arrivée de trois hôtesses se dirigeant vers elle, acheva de l’effrayer :
- Bonjour, j’ai pris rendez-vous et…
- Bonjour Léa ! Suivez-moi. Mais vous ne semblez pas si mal en point que ça ! Vous me parliez de vos rides, de votre teint gris et de vos cheveux ternes, mais je vous vois resplendissante. Nous allons parfaire cette beauté d’une très légère touche de maquillage ! Croyez moi, je vais bichonner la plus jolie des cinquantenaires !
Bon, jusque-là tout se passait plutôt bien, si ce n’est qu’elle pouvait éviter les commentaires sur son âge . Si Léa s’en était froissé, à présent, allongée sur ce fauteuil de cuir noir, elle n’y pensait plus. Des lingettes fraîches étalées sur sa peau lui rappelaient une source dont elle pouvait presque entendre le murmure. Le pinceau caressant ses joues la ramenait à une tendresse souhaitée et le maquillage forçant son regard, l’invitait à s’aimer. Elle constata le résultat et se trouva jolie. Si aucun homme ne partageait cet avis, elle serait belle pour elle-même et ce grand écart vers la vie la rendait euphorique. Elle accompagna le gloussement et les flatteries de ces bienfaitrices et longea les quais sans but précis. Elle ne pouvait pas rentrer chez elle maintenant ! Elle voulait voir, y croire !
Léa pensa soudain à son amie Flo avec laquelle elle aimait jouer au billard et sans réfléchir, elle se dirigea vers le club. Elle jeta furtivement un regard à ses vêtements. Était-elle habillée pour l’occasion ? Elle avait enfilé en toute hâte un jean sans avoir trouvé de ceinture et lorsqu’elle se penchait, ce fichu pantalon la suivait dans ses mouvements, plus que de nécessaire. Son pull en V lui tenait chaud mais elle le portait à même la peau . Elle observa les vitrines sans y éprouver le moindre coup de foudre. Elle pensa soudain aux deux vieilles dames qui vendaient des vêtements de marque d’occasion et cela collait davantage à sa personnalité. Elle consulta l’heure et pressa le pas jusqu’au magasin. Elle fouina, inspecta et trouva enfin. Elle choisit un chemisier blanc, très bien coupé, un pantalon moiré très ample portant deux bretelles étroites et s’évasant vers le bas pour se laisser choir sur des escarpins violines à talons plats ornés d’une boucle noire. Elle déshabilla le mannequin d'une veste de cuir très fin du même ton que ses souliers et d'un foulard de soie chamarré pour parfaire le tout.
- j'ai reçu cet après-midi, de très beaux pendentifs assorties à votre tenue .
- Vous ne pensez pas que cela fasse un peu trop ?
- Non, elles sont discrètes, juste ce qu’il faut pour les voir et assez légères pour les oublier. Cela ressemble au parfum, on doit pouvoir le respirer sans s’en asphyxier.
- Mais je vais au club de billard, tout ceci ne parait pas trop clinquant ?
- Vous ne vous connaissez pas, ma parole ! Même les femmes doivent se retourner sur votre passage et agripper leurs maris de peur qu’ils ne vous suivent !
- Vous êtes mignonne !
Elle déposa un baiser sur la joue de cette charmante septuagénaire et s’envola vers le club. En cet fin d'après-midi, les clients ne se bousculaient pas. Quatre billards étaient occupés par des cadres ou représentants évacuant le stress de leur journée ; quelques jeunes accoudés au bar demeuraient bouche bée devant les clips diffusés sur un écran géant et un couple prenait l’apéritif sur une table isolée. Elle s’installa à l’entrée afin d’évaluer les joueurs et elle commanda un mojito pour se donner du courage. Oserait-elle s'aventurer ? Elle observa la clientèle et vit un homme seul sur une banquette regardant une partie qui se déroulait sans un bruit entre deux pointures du pool. Quatre billards et quatre personnes à séduire. Ce chiffre l’amusa et avant d’aller ferrer ce jeune loup solitaire, elle avala un deuxième Mojito. Lorsqu’elle se dirigea vers le fond de la salle, son pas était mal assuré car elle avait bu trop vite, et son déjeuner plus que léger n’avait suffi à remplir son estomac. Elle fondit sur l’inconnu, l’invitant à partager une partie de billard. D'un air gêné, il regarda autour de lui pensant là qu’il y avait eu méprise puis voyant Léa plantée face à lui, il accepta . Pour Léa, une autre manche qui commençait, une nouvelle mise. Elle ne put vérifier l’impact de séduction sur son partenaire car ce dernier ne prêtait attention qu’à son propre jeu. Il bougonnait, s’excusait, s’emportait. L’ambiance devenait de plus en plus pesante, mais Léa n’osait reprendre un verre. Elle prétexta un appel à passer et retourna s’assoir. Ce lourdaud ne parut pas s’apercevoir de son départ. Déçue, mais tout de même pas prête à tout, elle héla le garçon, quitte à salir sa réputation. Elle pensait à David, à son prochain rendez-vous avec… elle sortit la carte de son sac… avec Michel. Elle ne devait pas bruler les étapes, une rencontre par jour était suffisante, car, oui, elle voulait se hâter de finir le jeu pour revoir David. Ces images la ramenèrent au grincheux qui continuait à s’entrainer. De toute façon, je ne suis pas non plus miss océan, il faut savoir rester à sa place.
- Bonsoir !
Léa leva les yeux vers un beau brun qui lui souriait.
- Bonsoir
- Marc, enchanté ! Je suis avec des amis et nous avons besoin d’un quatrième partenaire, voulez-vous vous joindre à nous ?
- Je ne crois pas ! Je... Enfin, oui, d’accord, c’est une très bonne idée !
L’homme l’amena vers le couple qui les attendait, pendant que Léa visualisait de nouveau le chiffre quatre.
- Je vous présente Yves, un collègue et Solène, sa femme.
- Bonsoir ! Je m’appelle Léa.
- Bonsoir Léa !
- Vous désirez quelque chose, ou nous commençons la partie maintenant ?
- Je vous remercie, j’ai déjà consommé. Comment formez-vous les équipes ? Je vais avec Solène, et vous vous mettez avec Yves ?
- Non ! Moi je préfère être avec mon mari !
- Merci !
- Ce n’est pas ce qu’elle voulait dire, mais ils prennent des cours ensemble ; ils ont le même niveau. Vous devrez donc vous contenter de ma personne pour partenaire.
- Vous pratiquez depuis longtemps ?
- Je me débrouille mais il m'arrive aussi de commettre quelques maladresses, et vous ?
- Pareillement !
Léa sentait l’impact des apéritifs sur sa hardiesse et elle essaya de se concentrer sur la partie. Son état avait pour effet d’inhiber toutes ses peurs et contrairement à ce qu’elle avait craint, elle joua mieux que jamais. Fier de son équipière, le beau brun lui offrit un autre verre, puis … Léa n’entendait plus que la musique du bar et tentait de suivre la conversation du groupe.
Le couple décida de rentrer et Léa resta seule avec Marc. Sa stratégie de charmeuse était au point mort ! Elle avait envie de rire ! Elle aurait voulu décoincer ce vrp, mais elle n’en eut pas le loisir ; la soirée s’avançait, ses mains baladeuses, aussi. Bien que peu lucide, Léa comprit qu’elle devait mettre un terme à cette situation qu’elle jugeait sordide et qui s’éloignait de plus en plus de son idée de la séduction. Elle prit un air ingénu pour lui indiquer qu’elle était mariée, mais tout ceci n’eut pas raison de ce chaud lapin :
- Je suis désolée, je dois partir.
- Je ne vous plais pas ?
- Cela n’a rien à voir, je viens de vous dire que j’étais mariée !
- Et alors ?
- Pauvre con !
Léa sentait les larmes et les souvenirs affluer. Elle dégagea son bras de l’étreinte de Marc et alla régler ses consommations. Le Barman finissait tranquillement sa discussion avec un client et Léa crut que cela durerait une éternité. Elle avait l'impression que quelqu’un l’observait. Elle scruta la salle mais ne distinguait pas les visages. Elle força cependant, son regard sur l’ombre qui se tenait appuyée le long d’une colonne. Elle reconnut soudain David. Elle éprouva tout d’abord un sentiment de honte en se demandant depuis combien de temps il était là. Et s’il l’avait vu avec Marc ? Puis elle sentit la colère monter en elle contre tous les Marc et les David. Elle oublia le pari. Elle avait pris soin d’elle pour elle et non pour servir d’aimants à tous ces bouffons ! Elle remit lentement le portefeuille dans son sac, jeta son blouson sur ses épaules et se dirigea vers David.
- Je ne joue pas ! C’était une idée stupide de votre part ! Tout ceci ne m’apporte rien !
- Tiens donc ! Vous croyez ? Vous étiez pourtant décidée à penser à vous, à réveiller votre beauté, même si ce soir, elle est un peu entachée par... (David se pencha vers elle et respira profondément) le rhum !
- Par le Mojito. Et puis ça n’a rien à voir, je m’apprête souvent lorsque je sors !
- D’accord, aucun rapport ! Mais ne vous fâchez pas ! Vous avez la réponse à ma question ?
- J'annule. Je n'ai trouvé que trois personnes entre indifférence et rentre-dedans et je n’ai pas l’intention de réitérer cette expérience, dangereuse pour mon amour propre.
- Vous me décevez ! Vous ne respectez jamais vos engagements ou ce sont les règles de notre jeu qui vous gênent ?
- Je viens de vous dire que… NOTRE jeu ? Mais c’est VOTRE jeu ! Oui, j’ai la réponse ! La séduction, c’est MA séduction, je veux d’abord me plaire ! Je n’ai rien à vous prouver !
- Si ! Répondez à ma question : peut-on séduire sans amour ?
Léa sentit la chaleur de sa main posée sur son bras. Son regard se brouilla, elle ne savait si c’était les larmes, l’alcool et la déception. Elle se redressa et comme dans un ultime souffle elle lui murmura :
- Non, David ! Non, on ne peut pas. JE ne le peux pas.
- Pourriez-vous avoir envie de me séduire ?
Léa ne répondit pas. Elle fixa longuement la boucle de ses ballerines et entendit David lui murmurer :
- Moi, je pourrai. J’ai commencé la partie bien avant vous. En fait, je n’ai pas joué, les dés étaient jetés, dès que je vous ai vu avec votre ami, à la « Quatre »,.
- La quatre ?
- Oui, c'est le numéro de la table à laquelle vous étiez !
- Si je vous comprends, vous dites que vous êtes tombé amoureux de moi même sans que je ne cherche à vous séduire ? Ces changements, cette volonté de m’amener à être différente ne servaient à rien ?
- Léa, je n’ai jamais voulu que vous soyez autrement. J’ai simplement espérez que vous repreniez confiance en vous, que vous vous plaisiez assez pour que je puisse vous aimer à mon tour.
- Tout ce que je sais, c’est que j'ignore maintenant qui je suis ! Les jeux sont souvent cruels.
- Pour qui ? Si vous êtes honnête, vous ne craignez rien !
- J’ai si mal à la tête ! N’insistez pas ! Je vous ai dit que j’abandonnais.
- C'est exact ! Mais vous l’avez fait parce que vous n’aviez pas trouvé votre quatrième or, je suis navré, mais vous l’avez devant vous !
Léa ne sait si le repas léger, l’alcool en quantité, ou l’émotion d’un sentiment nouveau furent responsables de son malaise. Elle était emmitouflée dans le manteau de David lorsqu'elle s'éveilla. Elle ignorait ou la conduisait ce véhicule, mais l’inconnu ne faisait-il pas partie des bonnes surprises de la vie et du personnage qu’elle avait été ? Elle pensa avec amusement à cette phrase de D' Alembert qu’elle avait utilisé en avant-propos d’un de ses livres : « Un homme d’esprit de ma connaissance croit qu’on pourrait regarder la durée comme une quatrième dimension, mais c'est aussi une sensation. »