L'apprentissage

ladyquiet14

Elle marche seule, tard dans la nuit. Elle ne comprendra pas ce qui lui arrive. Elle affrontera ses peurs, qui sont aussi vos pires cauchemars. Vivez son histoire, le temps de quelques pages...

Je marchais dans les rues d'une grande ville dont je ne me rappelle plus le nom. Il faisait nuit, les réverbères projetaient des ombres pâles. Plus une voiture ne circulait, plus aucun passant. Ou étais-je dans des rues peu fréquentées ? Peu fréquentables… Je ne sais plus. Je marchais sans savoir où j'allais, sans but précis, avec juste l'envie de sentir l'air frais de la nuit. Le vent s'élevait en un souffle sinistre. Mes cheveux claquaient sur mes joues. Je tournais au coin d'une rue, lentement, j'avançais, ne pensant à rien. Qu'avais-je en tête ? Je ne me souviens plus. Puis au pied d'un lampadaire, la lumière faiblit, puis clignote. Je m'étais arrêtée, la tête relevée. Une nouvelle bourrasque et tout s'éteignait. J'attendais, le vent s'engouffrant sous ma robe, sous mon manteau dont je resserrais les pans autour de moi. La lumière clignota à nouveau, je baissais les yeux regardant au loin, observant le même phénomène pour tous les réverbères. Allumé, éteint, allumé, éteint. Suivant cette intermittence un réverbère plus loin, à l'angle de la rue suivante, lors d'un court laps de temps où il était allumé, je vis une ombre. Ou était-ce une silhouette ? Mais dès que la lumière se fut rétablie l'instant suivant. Il n'y avait plus rien. Je m'avançais, sur le trottoir, longeant les murs. J'avançais prudemment sous les éclairs de lumière spectrale. J'arrivais au coin de la rue quand le noir est tombé. Même la lune était voilée par de nombreux nuages. Je me suis arrêtée, attendant que le courant se rétablisse. Seul le bruit du vent venait perturber la tranquillité de la rue. Puis un craquement. D'où cela venait-il ? Je regardais autour de moi, tachant de voir ce qui l'avait provoqué. Puis l'instant d'après, une ombre était sur moi. Je n'ai su me débattre, un sac sur la tête, des bras m'empêchant de bouger, de respirer. Et puis… Je ne me souviens plus.

***

Je me remémore tout ce que je sais depuis mon arrivée ici. J'essaie, mais ça ne vient pas. On m'aurait enlevé ? Dans quel but, je n'ai pas d'argent, et ma famille n'est pas assez riche pour une rançon ? Non, ce n'est pas ça. Et si on m'avait enlevé on m'aurait attachée. Ils ont peut-être oublié ? Non, impossible, et comment pourrais-je savoir s'ils sont plusieurs ? Je ne me rappelle pas. Je dois me concentrer sur le moment présent. Je suis allongée sur le sol, avec toujours ce sac autour de la tête, j'ai peur de bouger. Et s'ils étaient en face de moi et me regardait, n'attendant qu'une chose, que je bouge, que j'hurle. Non, je ne ferai rien de tout cela. Il faut que je garde mon sang froid. Bon analysons la situation. Je suis allongée sur le côté droit, le sol est froid et dur, probablement du carrelage. J'entends cliqueter un néon au loin, mais sa lumière est trop faible pour que je puisse le voir à travers le sac en tissu. Je ne suis pas attachée mais j'ai les mains dans le dos, j'étends mon bras gauche, je touche un mur. Il s'effrite sous mes doigts ou est-ce une impression ? Peut-être que je rêve ? Non, ce froid est bien trop mordant pour ne pas être réel. Je ne bouge pas, tétanisée par la peur. Je régule ma respiration pour me calmer. J'essaie d'entendre si quelqu'un d'autre est dans la même pièce que moi. Je me concentre, j'entends, surement à l'autre bout de la pièce, une fuite d'eau, les gouttes mesurent le temps, donnent le rythme, s'écrasent une à une sur le sol. Ce son résonne en moi, je me surprends à les compter, une… Deux… Trois… J'attends, sans bouger, pendant ce qui me semble être des heures. Rien ne bouge. J'attrape des courbatures à force de rester dans cette position. Finalement, je décide de prendre le risque de bouger. Lentement, je passe mes mains sur le sac de tissus, je le relève, doucement, il fait sombre et mes yeux ont du mal à s'adapter. Je retire le sac complètement et le laisse tomber à côté de moi, puis je m'assois, m'adossant au mur, doucement. La pièce est vide, je suis seule. Mes yeux commencent à s'adapter, au bout de la pièce, le néon clignote, au-dessus de ce qui devait être un évier, mais le bac a disparu, et l'eau goutte toujours en rythme sur le carrelage. Il est blanc, plein de poussière, de crasse. Les murs, étaient peints en blanc mais maintenant la peinture s'effrite. Le mur près de l'évier est carrelé, recouvert de tâches brunâtres. Du sang ? Il faut que j'arrête d'imaginer le pire. Sur la droite, un chariot en inox qui a vu de meilleurs jours. Une table, en inox elle aussi, avec des taches blanches. Une lampe haute avec l'ampoule cassée est penchée au-dessus. Je vois les débris de verre en dessous, provenant surement de cette ampoule. Il y a des armoires, toujours en inox, avec les portes ouvertes. Des flacons avec du liquide verdâtre, d'autres transparents. De plus grands contiennent des choses que je ne distingue pas d'ici. Je vois la porte, tout au bout, sur le mur à ma gauche. Elle est fermée. Au-dessus, allumé en vert, le panneau « sortie de secours ». Hmm, ai-je une chance de sortir d'ici ? J'entreprends de me relever, mais la tête me tourne, je force quand même, m'adossant au mur, jambe légèrement pliées le temps que le tournis cesse. Depuis combien de temps suis-je ici ? Je ne sais pas s'il fait jour ou nuit, il n'y a aucune fenêtre. J'ai retrouvé mon équilibre, il faut que je sorte. Mon courage à deux mains, j'avance, je passe près de l'armoire. Dans les flacons, flottent des yeux, des doigts, des morceaux d'humains… Saisie d'horreur, je recule vivement, étouffant un cri. Je me cogne contre la table, je me retourne rapidement. Du sang séché, des instruments chirurgicaux. Je m'appuie, les deux mains sur la table, les jointures de mes doigts blanchissent. Je ferme les yeux cherchant mon souffle, cherchant à maitriser le tremblement de mes membres. Du … Calme… Il faut que je me reprenne, que je sorte vite d'ici. Je me précipite vers la porte et je m'arrête soudain. Et si la porte grince ? S'ils sont derrière et m'attendent ? Non, non, non ! Je ne dois surtout pas penser à ça, j'aviserai, quoiqu'il arrive, mon but est de sortir. J'inspire un coup et ouvre grand la porte, sans me laisser le temps de retourner en arrière je fais trois pas en avant. Un couloir aux murs blancs, sales, avec le papier qui est déchiré par endroits. Des gouttes, de sang j'en ai bien peur… Il est long, éclairé toujours par des néons, ceux-ci restent allumés, ils sont plein de filets de poussière et de toiles d'araignées. Il n'y a personne en vue. Je ne sais pas où aller, à droite ou à gauche ? Il n'y a plus de panneaux « sortie de secours ». Je tourne à droite, lentement, regardant toujours derrière. Puis passe rapidement à mes pieds, un rat, sortie du trou d'un mur et entrant dans un autre. Il est passé vivement, j'ai fait un bond, un cri a failli m'échapper. Mon cœur tambourine dans ma poitrine. Mais où suis-je ? J'avance, sans faire de bruit. Tout à coup, un cri perçant ! Dans la direction où je vais, puis des bruits de pas, quelqu'un qui coure à l'étage du dessus. J'ai eu si peur que j'ai fait volteface et je me suis mise à courir aussi, à l'opposé du cri. Mon cœur bat dans mes tympans. Je ne suis pas seule ici, mais que lui font-ils ? Je repasse devant la pièce dans laquelle j'étais, je m'arrête et pense à fermer la porte, comme ça ils ne sauront peut-être pas que je suis partie. Puis je reprends ma course folle. Tout au bout du couloir, une cage d'escalier, menant vers le bas. Je n'entends plus les bruits de pas, c'est à nouveau le silence. Je regarde par la vitre de la porte, entre les bouts de verre brisé, personne. La cage d'escalier est plongée dans le noir, quelqu'un pourrait bien se cacher quelque part. J'entends à nouveau des bruits au loin dans le couloir, plus d'hésitation, j'entre dans la cage d'escalier. Les fenêtres ont été obstruées par des planches de bois. J'essaie d'en retirer une pour voir quelle heure il est et à quel étage je suis, mais je n'arrive qu'à dégager une petite fente ce qui me permet de voir que des briques comblent les issues… Mince, je décide de descendre, ayant entendu du bruit à l'étage, je ne tiens pas à monter. Je descends, un étage. Il y en a encore un, mais est-ce une cave ou le rez-de-chaussée ? Je vais regarder par la fenêtre de la porte. Tout est toujours aussi vide. Puis j'entends un bruit. Un frottement métallique. Une chaine, qui cogne contre les marches. Quelqu'un monte l'escalier ! Ni une ni deux, je passe les portes battantes pour entrer dans le couloir. Je cours, une porte est ouverte sur ma gauche, je m'y engouffre et la referme. Ce sont des cabinets de toilettes communs, j'entre dans l'un d'eux et je m'y enferme. Tout est si sale, noir de crasse. Je me tiens le plus éloigné de la porte. Mes mains tremblent quand je les passe sur mon visage. Des perles de sueur glacées roulent dans mon dos. Je n'ai jamais eu aussi peur. Les bruits de chaine continuent, puis les portes battantes s'ouvrent dans un claquement sonore ce qui me fait sursauter. J'essaie de ne faire aucun bruit. Pitié, qu'il ne me retrouve pas. Il doit être devant la porte, puis j'entends les pas et le bruit de la chaine lourde qui traine au sol. Il s'éloigne. Je ne me sens pourtant pas soulagée. Je retiens toujours ma respiration, si je continue je vais manquer d'air et m'évanouir. Je relâche l'air de mes poumons et m'oblige à respirer, lentement. Je n'entends plus rien dans le couloir. J'ouvre le loquet de la cabine dans laquelle je suis enfermée. Puis j'entends un froissement de tissu. Je ne bouge plus, je suis sur le qui-vive. Nouveau bruissement. Ça vient de la cabine d'à côté j'en suis sure. Puis un gémissement, une plainte aigue mais faible. Mon sang ne fait qu'un tour, j'ouvre la porte et je sors, priant pour que personne ne soit dans le couloir, j'avance et me cache dans le renfoncement d'une porte. Personne. Le calme est retombé. Les murs de ce couloir sont tout aussi blanc et en piteux état que ceux du dessus. Quelques traces de rouilles sont visibles au niveau des gonds des portes. Un nouveau bruit vient perturber le silence, derrière moi ! Je me retourne, la porte s'ouvre, lentement, lentement… Elle n'est même pas à moitié ouverte que le mouvement s'accélère et elle termine de s'ouvrir d'un coup. Je suis bousculée par une forme humaine, qui cri, déboule dans le couloir et s'enfui dans la cage d'escalier. Je suis tombée, je m'empresse d'entrer dans la pièce et de mettre la porte contre pour que l'homme à la chaine ne revienne pas, alerté par le bruit. Je tremble comme une feuille. Qu'est-ce qui m'a bousculé ? J'essaie de me remémorer les détails, je m'assois, adossée au mur près de la porte et je ferme les yeux. Je replie mes genoux, pose mon front dessus et les entoure de mes bras. Qu'est ce qui m'arrive ? Qu'est-ce que c'était ? Ça avait une forme humaine, surement une fille, plus petite que moi. Mais, tout noir, tout plein de crasse, les cheveux sales collés sur le visage, les yeux injectés de sang… Le sang ! Sur le visage et les bras, coagulé. Depuis combien de temps était-elle ici ? Dois-je la retrouver ? Non, sinon elle ne serait pas partie en criant comme ça. Où peut-être qu'elle fuyait quelque chose ici ?! Je relève rapidement la tête en écarquillant les yeux. Je comprends ce qui a pu lui faire peur en voyant ce qu'est réellement cette pièce… Une salle des tortures. Une table basse en bois avec des sangles, des menottes aux murs pour les poignets et les jambes, une chaise avec des sangles aux accoudoirs et aux pieds… Le tout avec des tâches de sang séché par-ci par-là… J'ai un haut-le-cœur, je me penche sur le côté et je vomis. Je n'ose imaginer ce qui s'est passé ici. Quand ma nausée est retombée, je me relève, je ne resterai pas une minute de plus dans cette endroit de malade. Je dois m'échapper à tout prix. Je ressors, la porte grince légèrement au début. Je ne prends pas la peine de la refermer, il faut que je traverse le couloir, je ne sais toujours pas si je suis au premier étage ou au rez-de-chaussée. Je suis peut-être même dans une aile d'un bâtiment abandonné qui n'a plus qu'une sortie non condamnée. Il en faut au moins une, pour nous faire entrer ici. Je ne suis pas seule dans ce cauchemar. Est-ce que je dois chercher s'il y a d'autres rescapés ? Je ne sais pas. Si c'est pour les voir dans le même état que la jeune fille… Non, je vais déjà me contenter de sauver ma peau, en groupe, on serait plus visible et on ferait plus de bruit. Je repense en frissonnant à la chaine trainée sur le sol tandis que je m'avance prudemment dans le couloir, le long du mur pour pouvoir me cacher dans le renfoncement d'une porte en cas de besoin. J'avance, le couloir est toujours aussi désert. En passant devant certaines portes, j'entends parfois des gémissements, mais je n'ose pas les ouvrir, je ne sais pas sur quoi je vais tomber… J'ai peur, et c'est lâche de ma part, mais au moins, j'aurai le courage de sortir d'ici. Mon estomac est noué, mes mains tremblent. J'avance toujours, lentement. J'ai atteint la moitié du couloir. Je m'adosse à une porte, tous mes muscles sont crispés à cause de la peur, tellement qu'ils me font mal. Mais il ne faut pas que je m'arrête, je dois continuer encore. Vérifier qu'il n'y a pas de sortie vers le monde extérieur. Alors je repars, guettant toujours le bruit des pas et de la chaine. J'arrive au bout du couloir, pas de porte de sortie… Pas de trace de l'homme. Par où est-il parti, j'aurais juré l'avoir entendu tourner simplement au bout du couloir, il n'y a pas eu de bruit de porte. Je crois que je deviens dingue. Je m'accroupi, la tête dans les mains, repliée sur moi-même. Ressaisis-toi, ressaisis-toi. J'entends un grincement au bout du couloir, je tourne lentement la tête, je ne vois rien, puis je l'entends à nouveau. Je ne sais pas ce que c'est, mais je ne veux pas rester là ! Je me lève et me dirige vers la seconde cage d'escalier, rien à travers le hublot, je fonce. Je dévale les marches poussiéreuses quatre à quatre. J'arrive en bas, sur un nouveau palier, je peux encore descendre. Est-ce le rez-de-chaussée ou sous-sol ? Je ne sais pas, et il n'y a toujours pas d'ouverture vers l'extérieur pour me l'indiquer. Je décide de traverser à nouveau le couloir. Un cri dans la cage d'escalier, me pousse à sortir par la porte rapidement, trop rapidement. Je n'ai pas regardé dans le hublot. Et quand je me retrouve à nouveau dans un couloir blanc, plein de poussières et de toiles d'araignées, je tombe nez à nez avec un homme qui doit faire au moins deux têtes de plus que moi, il me tourne le dos, se retourne lentement. Il porte un marcel noir laissant voir les muscles qui pourront surement m'écraser sans problème. Quand il se retourne, je vois son visage, les cheveux coupés ras, une mâchoire carrée à moitié cachée par un objet métallique, placé bien devant la bouche, couvrant presque son nez. Devant cette vision d'horreur, je repars en courant dans la cage d'escalier et me rue à l'étage inférieur. Mais c'est le dernier, peut-être ma porte de sortie ? J'entre dans un nouveau couloir, mais un seul néon fonctionne, il est à l'opposé du couloir. Je n'y vois rien… J'ai peur, mon cœur bat à cent à l'heure. Je me plaque contre un mur, et j'avance lentement dans le noir, toujours dos au mur. Puis j'avance, et je sens quelque chose de visqueux sur le mur. Je fais un bon en avant. Mais quelqu'un se tient là, dans l'ombre et je ne l'ai pas vu. Le « bouh ! » murmuré m'a fait l'effet d'une balle, je me dirige vers la lumière à toute vitesse. J'entends en plus du bruit de mes pas et de l'eau qui goutte d'un tuyau quelque part, un rire, un rire hystérique, cruel. J'ai la chair de poule. Je cours, je n'en peux plus, je tourne dans la cage d'escalier au bout du couloir. Je suis coincée. Entre l'homme au masque sur la bouche et cet homme en bas, que je n'ai même pas pu voir. Et si c'était le même ? Non impossible, je n'y crois pas. Que vais-je faire ? Je n'ai toujours pas vu de porte de sortie. Et si j'étais enfermée ici avec ces tarés ? Faites que ça ne soit pas le cas, je vous en prie. Quand j'entends des pas dans le couloir, je décide de remonter en courant à l'étage supérieur que je n'ai pas pu traverser. Mais quand j'y arrive, je me retrouve face à l'homme à la chaine. Je le contourne si rapidement, qu'il a été trop surpris pour m'attraper, je l'entends grogner. J'entre dans une pièce, j'essaie de m'enfermer, impossible. Je bloque la porte avec un meuble en bois, couvert d'une substance gluante que je n'ose pas regarder. Je cherche de quoi me défendre dans la pièce. Elle est pleine de grillage contre les murs, la fenêtre est une nouvelle fois barricadée. Il n'y a rien que je puisse utiliser. Et là j'entends la poignée tourner, doucement… Puis l'homme s'acharne dessus. Je cri, ne pouvant plus m'en empêcher. Puis il essais d'enfoncer la porte, j'entends les coups d'épaule. Je cherche à me cacher, mais à part le grillage sur les murs, une table et le meuble que j'ai placé devant la porte, il n'y a nulle part où me mettre. Je suis totalement sans défense. Les coups se répètent, de plus en plus fort, avec les grognements de l'homme plus animaux qu'humain. Je décide de me placer un peu en retrait de la porte et face à ce mur, l'ouverture de la porte va projeter le meuble, l'homme va surement être déséquilibré un moment et je n'aurai que quelques secondes pour le pousser et passer. Si j'ai de la chance… Je me prépare, me répétant encore et encore la scène dans la tête. Puis le meuble s'effondre, la porte est ouverte, l'homme est grand, puissant. Ses yeux sont bleus acier et son regard est démoniaque. Ces quelques secondes d'inattention provoquées par ma panique et le vacarme du meuble à terre vont risquer de m'empêcher de passer. Je m'élance donc, aussi vite que possible, je me rue vers la porte, prête à pousser l'homme, quel que soit son poids. Dans mon élan je lui donne un coup de coude en pleine poitrine qui le fait légèrement vaciller mais il m'attrape par le bras, me maintenant d'une poigne de fer. Je hurle. Il veut attraper ma tête et mettre sa main sur ma bouche pour me faire taire. Il n'en est pas question, quand sa main s'approche de ma bouche, je plante mes dents et mord de toutes mes forces. L'homme grogne, retire sa main où des gouttes de sang commencent à perler, et il me gifle. Je tombe, ma tête cogne contre le sol dur et froid. Je sens sang couler dans ma bouche. C'est trop tard, cette fois c'est fini. Tout devient noir.

***



Je suis dans une grande salle, la lumière est très vive, elle ne vacille pas. Elle éclaire les murs recouverts de plaques d'acier. Je suis assise, les mains attachées dans mon dos, liées à la chaise. Ma tête penche un peu, je vois encore légèrement trouble à cause de la lumière et du coup que j'ai pris sur la tête. J'ai le gout du sang dans ma bouche. Quand ma vue s'adapte, je vois que je ne suis pas seule. Je suis avec une dizaine d'autres personnes, hommes et femmes, jeunes ou moins jeunes. Dans la même position que moi. Nous sommes assis, autour d'une table blanche. Je regarde des deux côtés de la salle, on dirait un ancien réfectoire d'hôpital, saccagé, sale, mais dont on aurait remis en place les tables. D'un côté, il y a une porte de service, de l'autre, deux grandes portes battantes coupe-feu. Les autres sont aussi mal en point que moi, certains n'ont pas repris connaissance, d'autres sont bâillonnés, avec du sang séché sur le visage. Ceux qui s'étaient réveillés, trop effrayés pour parler, jettent des coups d'œil affolés partout dans la pièce. Pas loin de moi, une jeune fille pleure et renifle. Je ne sais depuis combien de temps je suis attachée ici. Une fois de plus, les fenêtres qui devaient à une meilleure époque éclairer ce réfectoire étaient condamnées avec des planches. Je ne sais donc toujours pas depuis combien de temps je suis ici, enfermée. Mon ventre se noue, j'ai faim, et soif surtout. Ma gorge est sèche, si sèche. Je doutais de pouvoir parler. Mais il le fallait, au prix d'un terrible effort, je réussi à demander aux autres s'ils arrivent à se détacher. Disant cela, je force sur mes liens. La corde entre dans mes poignets, les lacérant, et je n'arrive pas à la retirer. D'autres, ont essayé comme, moi, mais à leurs mines déconfites, je comprends qu'ils n'ont pas mieux réussi que moi. Nous allons donc devoir prendre notre mal en patience. Et quel mal ! Je suis terrifiée, cette fois je ne pouvais plus bouger, plus fuir. Je remarque que mes poignets sont attachés à la chaise, mais pas mes chevilles. Je peux peut-être me lever. Alors, je me penche en avant tout en me levant. En équilibre précaire, les genoux pliés et la chaise attachée dans mon dos. Je devais avoir l'air bizarre, tous les autres me regardaient avec des yeux grands ouverts, même la fille avait arrêté de pleurer. Je me retourne, j'ai une idée, je veux poser la chaise sur la table et appuyer vers le bas, les liens cèderont peut-être ? Alors j'essaie. De toute mes forces. Mais en tirant, je me fais encore plus mal aux poignets, je pince les lèvres et grimace sous la douleur. Puis je tombe, mais je ne suis toujours pas libérée. Ma tête s'écrase contre le sol et je suis pliée, la chaise sur moi. Plus moyen de me relever. Une des femmes a crié en m'entendant tomber, elle ne s'était pas réveillée avant. Le sol est froid, blanc plein de crasse dans lesquelles on distingue des traces de pas. Je vois les pieds de la table, des chaises et les jambes de gens assis autour de moi. Je vois de loin les portes battantes, ma tête étant tournée dans cette direction.

Le temps passe, nous sommes maintenant tous réveillés. Je suis toujours étalée par terre dans une position improbable à cause de la chaise. Les traits du carrelage s'impriment sur ma joue. Je suis gelée, le froid montant du sol paralyse mes membres. Tout est calme, le silence seulement brisé par les pleurs d'un de nous. Nous sommes des victimes. Mais victimes de quoi ? J'aurais aimé le savoir. Les réponses viennent finalement quand s'ouvre d'un coup les portes battantes. Je vois s'avancer quatre hommes. Deux se postent de part et d'autre de la porte. Un autre avance et se place au bout de la table. Le dernier arrive finalement et marche le long de la table, de mon côté, puis je ne vois plus ses pieds, il est derrière moi. Je ne vois les visages de personne dans cette position. Mais je suppose que celui des victimes est figé, même les pleurs ont cessés. Dans une grande secousse, ma chaise est relevée. J'ai une légère chute de tension. Je suis face à l'homme qui m'a relevé précipitamment. Il est grand, mince et porte un t-shirt noir au-dessus d'un jean et de Doc Martens. Ses yeux sont noir d'encre, ses traits fins. Il a les cheveux un peu long et noir de jais. Avec un sourire indiquant son mépris, il retourne ma chaise et je me retrouve face aux autres. Je vois les deux gardes près de la porte, ils me donnent la chair de poule. Le crâne rasé, l'un est grand et l'autre petit. Ils tiennent des armes à feu, surement des fusils à pompe. J'ai toujours eu peur de ces armes.

« Bien ! » Crie le dernier homme, celui avec le masque sur la bouche que j'ai croisé dans le couloir. Il est légèrement penché en avant et se tient à la table. Les yeux de certaines des filles présentent s'écarquillent de peur. Les autres regardent ailleurs, baissent la tête. Mue par la peur, je ne peux détacher mon regard de l'appareil qui lui mange la moitié du visage. Recouvrant la bouche et la limite du nez, avec des fils et des tuyaux partout. Ça n'a pas bougé quand il a parlé mais ça a déformé sa voix. Je suis attentive, je ne bouge pas, et n'ose pas le faire avec l'homme derrière moi, même s'il est moins impressionnant que les autres. Je regarde celui au masque qui semble être le chef. Il pose son regard sur chacun de nous et tombe sur le mien, il appuie un moment et je fini par baisser les yeux. Puis quand il est passé à quelqu'un d'autre je le fixe à nouveau. Je sais que l'on va obtenir des explications, ou savoir ce qu'ils comptent faire de nous. Mon cerveau m'envoie des images bien horribles, et la peur noue mes entrailles à nouveau. Je dois contenir le tremblement de mes membres pour montrer ma résistance, mais j'y parviens avec du mal… L'homme masqué reprend la parole.

« Je suppose que vous vous demandez ce que vous faites ici… Et ce que l'on va faire de vous. » Disant cela, il pose à nouveau son regard sur chacun de nous, sans s'attarder. Il se redresse et passe le long de la table, du côté opposé où je me trouve.

« Vous êtes ici par votre faute. Votre manque de vigilance et votre insouciance. Vous fleuretez avec la mort. »

Quoi ? Je ne comprends pas… Il reprend :

« Nous vous avons enlevés. Vous avez vu ici, quel enfer peut vous faire vivre votre négligence… »

Il appuie bien sur ces mots.

« Nous vous avons appris à faire face à la mort, à la peur, à l'enfer… »

Son ton est effroyable, un frisson me parcours l'échine. Sa voix a quelque chose de métallique, mais accentué par un accent cassant. Je commence à comprendre.

« Vous êtes responsable de tout ceci. Vous allez maintenant apprendre. Et si vous ne changez pas ! »

Il criait maintenant.

« …Nous vous retrouverons »

***



Je marche dans la rue. Veillant à ce qu'il y ait toujours du monde autour de moi. A ne plus être seule. Je ne veux plus revivre ce cauchemar. J'ai du mal à croire que tout ceci était bien réel. Et pourtant… La peur, l'angoisse étaient tels qu'ils ne pouvaient qu'être réels. Ma faute. Ma négligence. J'ai appris, mais il me faut encore apprendre. Faire attention à ce que je fais, aux endroits où je me trouve. Penser aux risques que cela pourrait créer si je ne fais pas attention à moi, à quoi ? Je repense à mes addictions, non, je dois les refouler… Passer à autre chose, mais mes mains tremblent, j'en ai besoin… Puis je me force à penser à d'autres choses. Et l'envie passe, le besoin cesse quelques temps.

Cela fait plusieurs semaines maintenant. Je regarde toujours derrière moi, enfin j'essais… Ce n'est pas assez systématique, je pense à le faire, mais est-ce que je le fais vraiment ? J'y pense car la peur ne s'en va pas totalement. Je sens moins sa pression sur mes épaules, mais elle est bien là, quelque part dans ma tête, quelque part au creux de mon estomac. Je la sens, et j'en ai besoin. Elle me rappelle ce que j'ai appris, ce que je m'efforce de continuer à faire, à veiller sur moi. A ne plus jouer avec ma vie comme je le faisais avant. Je dois faire attention, il le faut, pour moi, ma sécurité. Dieu sait ce qui me serait arrivé si ce n'avait pas été eux. Finalement je leur dois beaucoup. Mais il ne faut pas que leurs efforts soient vains. Est-ce que je pense ça parce que je suis folle ? Non c'est pour ma sécurité. Il faut que je surveille les alentours, que j'évite les coins sombres, que je ne sois pas tentée par ce que certains pourraient me vendre. A cette pensée, le manque se fait sentir, mon ventre se tord et je dois résister.

Je suis sortie ce soir, je marche dans les rues de la ville. Il est déjà tard, mais le monde m'entoure. J'avance où mes pieds me mènent. Je ne me sens plus oppressée, cela fait maintenant quelques mois de cette aventure, si on peut l'appeler ainsi. Je ne sens plus le manque, j'ai racheté quelques grammes… Histoire de diminuer la dose au fur et à mesure. Mais j'en ai envie… Mon corps le réclame. Mon attention diminue, tant dans mes actes qu'actuellement dans la rue. Mes pensées dérivent. J'avance, sans savoir où je vais. Je ne sais plus où je suis, la rue est sombre, il n'y a presque plus personne. Puis je suis seule. Les lumières des réverbères clignotent. Une ombre au loin m'apparaît. Puis le noir est complet et l'ombre est sur moi…

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