L'arbre millénaire
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Il y avait un arbre immense dans une forêt resplendissante.
Alors qu'il voyageait pour découvrir le monde, un jeune moine suivit un jour un chemin qui l'emmena au cœur de cette forêt. Fatigué, il s'adossa contre le tronc du grand arbre, pour se reposer un moment. Levant la tête vers l'imposant feuillage qui dansait au vent, le moine s'adressa à l'arbre et lui dit :
– Le voyage est la plus grande source de connaissances. Que ta vie doit être triste, toi qui ne peux pas te déplacer!
L'arbre entendit sa remarque et se mit alors à lui parler :
– Ma vie n'est pas triste, car je ne souhaite pas me déplacer, dit-il.
Surpris de cette réponse, le moine demanda :
– Grand arbre, toi qui as vécu pendant plus de mille ans, toi qui as traversé les époques, raconte-moi ce que tu as vu! Bien sûr, je ne suppose pas un instant que tu aies observé plus de choses que moi, ni que tu en connaisses plus sur le monde que ce que j'en sais déjà. Après tout, je le répète, toi qui ne peut te mouvoir comme tu le souhaites, comment pourrais-tu en savoir davantage que moi?
L'arbre lui parla pour la seconde fois.
Il répondit que pendant sa longue existence, il avait observé énormément de choses. Ce qu'il l'avait le plus marqué, c'était d'avoir vu des hommes et des femmes naître pour se battre de la plus cruelle des façons, sous ses épais feuillages, et d'autres venir au monde pour s'aimer de la plus belle des manières, près de ses longues racines.
L'arbre ajouta :
– Jeune moine, toi qui a traversé la Terre de l'est à l'ouest, dis-moi ce qui t'as le plus troublé et ce qui t'as le plus émerveillé.
Le moine réfléchit, puis il répondit qu'il avait vu, lui aussi, des hommes et des femmes se battre et s'aimer, dans chacun des pays qu'il avait visités, et que c'était cela qui l'avait le plus touché.
– Le monde est ainsi, conclu le moine. Aussi loin que l'on regarde dans le temps, ou bien, aussi loin que l'on aille sur Terre, nous voyons les mêmes choses arriver.
L'arbre parut d'accord avec les propos du moine.
– Reviens donc dans dix ans, proposa l'arbre. Moi, je n'aurais pas beaucoup changé, mais toi, par contre, tu auras continué tes voyages. Par conséquent, tes connaissances sur le monde n'en seront que plus grandes. Nous pourrons échanger sur tes expériences.
Ravi, le moine accepta volontiers. Il s'en alla fièrement.
Dix ans plus tard, il tint parole et se retrouva de nouveau au pied du grand arbre. Ce dernier lui demanda ce qu'il avait appris.
Le moine lui raconta qu'il avait fait le tour du monde et qu'il avait tout vu, ou presque. Ses innombrables rencontres lui avait permis d'acquérir plus de connaissances que n'importe quel être sur Terre. Il gonfla le torse avec arrogance et prouva, par de longs récits sur ses exploits, à quel point ce qu'il avait découvert était digne d'intérêt.
L'arbre, qui n'avait pas bougé depuis une décennie, ne pouvait qu'imaginer ce que le moine lui racontait, et écouta avec attention, sans poser aucune question.
Le moine s'attendait à recevoir de l'admiration de la part de l'arbre millénaire. Il se sentait supérieur, car il lui semblait qu'il avait découvert plus de choses que l'arbre, et que ce dernier serait assurément très envieux de ses aventures.
Il n'en fut rien.
L'arbre, après avoir écouté attentivement, lui dit :
– Reviens donc dans dix ans. Moi, je n'aurais pas beaucoup changé, mais toi, par contre, après avoir tout appris du monde extérieur, tu vas pouvoir t'intéresser au monde des sensations. Celui des idées et du cœur. Lorsque tu reviendras, nous pourrons échanger sur tes expériences.
Le moine, bien que déçu que son discours n'impressionna pas plus l'arbre, accepta de revenir dans dix ans.
C'est ce qu'il fit.
Dix années passèrent comme un claquement de doigts, et c'est un homme plus calme qui se présenta devant l'arbre. Essoufflé de son voyage, il prit une pause en arrivant devant le majestueux végétal, et s'adressa à lui avec calme :
– Je suis heureux de te revoir, dit-il. Durant ces dix dernières années, j'ai appris à voir au-delà des choses. J'ai cherché la vérité derrière le mensonge, le sens derrière les apparences, et j'ai compris combien il était difficile de regarder le monde avec un œil dépourvu de préjugés. J'ai compris qu'inévitablement, le regard de l'Homme est influencé et manipulé par ses émotions. Voilà ce que j'ai observé et ce que j'ai compris.
L'arbre dit simplement :
– Nous nous reverrons dans dix ans. Moi, je n'aurais pas beaucoup changé, mais toi, par contre, après avoir parcouru le monde et appris à connaître les hommes, tu auras eu le temps de tourner ton attention vers toi même.
Le moine s'en alla, avec la ferme intention de passer les dix prochaines années à essayer d'apprendre à connaître la nature profonde de son être.
C'est ce qu'il fît.
Dix ans plus tard, un vieil homme arriva au pied de l'arbre.
C'était le moine.
– Comment vas-tu, mon vieil ami? Dit-il en penchant la tête en arrière pour admirer la splendeur de la magnifique ramure de l'arbre.
Il obtint le silence pour toute réponse.
– J'aurais tellement à apprendre de toi, continua le moine. Les Hommes sont des êtres complexes. Aujourd'hui, je n'ai rien à te dire qu'il te serait intéressant de connaître. Permet moi de profiter du calme de ta forêt, afin de me ressourcer. C'est tout ce dont j'ai besoin.
Il ajouta, en murmurant :
– C'est toi que je devrais prendre pour exemple. Ta quiétude inspire la paix.
Et l'arbre resta silencieux.
Dix ans plus tard, le vieux moine vint de nouveau s'installer sous l'arbre millénaire. Les rides lui creusaient les joues, et la sagesse pouvait presque se lire sur son visage. Il s'assit, immobile.
C'est alors que, lui qui avait voyagé, lui qui avait partagé ses idées avec des centaines de personnes dans le monde, tenta d'être aussi calme et serein que l'arbre.
Il essaya que les choses de l'existence n'aient pas de prise sur lui. Que la vie se contente de le traverser, sans l'affecter.
Comme l'arbre, il essaya de se contenter d'être.
En vain.
daremo, 2019.
Retrouvez ma nouvelle « L'arbre millénaire », lue par Florence Nilsson, à écouter sur :
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