l'automne de mes 9 ans
Simon Lecoeur
chapitre 1
A neuf ans, désigner deux responsables au désordre que je vivais, était très rassurant mais absurde aussi. Cette jeune baby sitter et cet obscur antiquaire formaient un couple diabolique que j’accusais de tous les malheurs. Pourtant, ils n’étaient que le fruit de mon imagination d'enfant bouleversé par un drame affectif. Et lorsque je sus sortir ces personnages de mon esprit, je me retrouvais bien seul. Ces figures avaient servi à me protéger, elles me libéraient, surtout, des accusations dont était chargé le discours de mes parents récemment séparés. Ainsi, combien de fois, avec mon frère, Olivier, avions-nous entendu :
"- Vous savez les enfants, cette rupture n'est pas de votre faute !
- Je vous jure, mes deux petits chéris, que vous n'y êtes pour rien ! Mais pour rien du tout !
- Mes grands amours, on vous adore comme avant ! Ce qui arrive n'est pas à cause de vous..."
Ces phrases si insistantes, si souvent répétées, m’invitaient à croire exactement le contraire.
Au mois de septembre, dans un autre quartier de Paris, ma famille venait d’emménager dans un appartement plus grand où j’avais ma propre chambre et mon frère cadet la sienne. J'entrais dans une nouvelle école, en cours moyen première année, école Jacques Fleury dans la classe de Madame Violaine. Dans fraîchement emménagé, une m’était réservée, une seconde pour Olivier. Parmi les autres changements, l'arrivée d'une baby sitter, Muriel, qui joua un rôle clé dans mon histoire. Pendant longtemps je la nommais comme responsable de la rupture de papa et de maman en incriminant notre baby sitter. Et, parmi les adultes, nombreux songeaient que mon père avait dû fauter avec la jeune Muriel qui nous gardait à la sortie de l’école.
A l'origine du divorce, il y avait cette bague précieuse offerte à maman pour un anniversaire, et que cette Muriel avait dérobée. Un bijou très ancien de grande valeur, comme mon père l'affirmait. Il avait, depuis plusieurs semaines, repéré le cadeau chez un illustre antiquaire de la rue de Hauteville dans notre ancien quartier. L’écrin lui-même était somptueux, une petite boîte octogonale de couleur sombre avec une riche garniture de velours. Le poussoir permettait à un système sophistiqué une ouverture qui se développait en deux temps avant de dévoiler la pierre étincelante. Cette bague devait forcément receler un pouvoir magique digne des contes de fées. Car ma mère, avant de la passer à son annulaire de la main droite, nous l'avait faite essayer à Olivier et à moi comme pour nous associer au malheur qui allait survenir.
"- C'est la plus merveilleuse bague du monde !" s'écria mon frère.
Je contemplais béat ce bijou, je l'admirais d'autant plus qu'il représentait la preuve évidente d'une attention amoureuse. Ma mère fut émue aux larmes et papa bien fier de cette émotion de reconnaissance qu'il avait su éveiller. Olivier proposa de tourner l'anneau autour de la phalange et s’attendit à voir un miracle se produire, l'apparition d'un ange par exemple. Plus terre à terre, je m’inquiétais de la protection d’un tel trésor, il fallait maintenant acquérir un de ces coffres-forts à combinaison ultra secrète, qui pourrait résister à l’audace de tous les cambrioleurs. Je ne croyais pas si bien dire.
En effet, la bague n'apporta aucun prodige, mais son vol ou sa disparition provoqua un complet ravage de notre maison. Un soir de novembre, papa observa au dîner que sa femme ne portait plus le bijou. Ma mère rétorqua qu’il ne pouvait pas être loin, oublié dans la cuisine, laissé sur le haut du frigidaire peut être sur la tablette bleue, au dessus de l’évier. Ou bien encore rangé dans la petite armoire à pharmacie de la salle de bain… Les premières recherches ne donnèrent rien. Un dimanche après midi, nous étions tous les quatre, à quatre pattes, à jouer à la chasse au trésor. L’appartement fut fouillé dans ses moindres recoins. A cette occasion, nous étions encore unis, mais, c’était pour la dernière fois. Ma mère paraissait désolée de cette perte, qui allait devenir collectivement la nôtre. Au cours de la semaine suivante, nos conversations à table tournaient sur cet unique sujet. Olivier imaginait que le bijou était reparti au pays des fées. Papa insinuait lourdement devant la baby sitter qu'il était temps de remettre la bague volée à l'endroit où elle l'avait trouvée.
En peu de jours, elle fut renvoyée sans ménagement. Maman, sur le moment, avait pris sa défense tandis que papa parlait de poursuite judiciaire. Il s’était rendu en province, jusqu’à un village breton trouver les parents et leur dire que leur fille était une sale voleuse.
Symboliquement je dus me raccrocher à cet objet précieux puisque je n'avais aucune prise pour expliquer la dispute du couple.
Ce diamant allait nous faire vivre des années de plomb. Les premiers temps après la séparation, mon père me répétait souvent :
"- Et ma bague, on a remis la main dessus ?..."
Il disait bien "ma", comme si une fois disparue, elle était devenue la sienne, comme moi il était convaincu que sa disparition avait provoqué la ruine de son ménage.
Est-il réellement possible qu’un objet, même de grande valeur, puisse entrainer pareil désastre ?
La seconde figure sur laquelle je portais mon attention fut cet antiquaire qui avait vendu le bijou. A deux ou trois reprises, je demandais à papa de me conduire devant la mystérieuse boutique. Un jour il m’emmena, soixante six bis rue de Hauteville, Paris douzième. Sur place, le magasin avait changé de propriétaire et un bouquiniste était installé au milieu de pyramides de livres à deux sous. Je m’imaginais au coeur d’une véritable intrigue, je devais retrouver rapidement la trace de cet obscur vendeur de malheur. C’était un personnage malfaisant, un être manipulateur, un trafiquant mêlé à un vaste réseau de cambriolages de bijoux anciens, recherché par toutes les polices d’Europe.
J’échafaudais mille et une histoires qui mêlaient complots, crimes odieux et enlèvements d’enfants, image de ma propre détresse. Je ne désirais qu’une seule chose, le retour cette bague, afin de rétablir l’ordre comme avant. Au fond, j’étais convaincu que le marchand était en secret entré chez nous pour nous voler. Mon père avait laissé notre adresse sur un chèque. Une fenêtre mal fermée dans l’appartement, un accès facile depuis la cour d'immeuble jusqu'à notre premier étage. Un début d’après-midi, un jour de semaine, sans personne à la maison.
Mais alors pourquoi avoir seulement dérobé cette bague ?
Identifier un coupable correspondait au besoin impérieux d'éclaircir les causes de la rupture parentale. On n’avait jamais pu me les expliquer de façon raisonnée, ni mon père ni ma mère.
Cette baby sitter et cet antiquaire prenaient l’image d’un couple bancal en pleine contradiction, reflet inversé du modèle que je me faisais de mes parents. Je les désignais pour leur faire porter la faute de cette histoire désastreuse, je leur vouais une haine irraisonnée.
Par défense, je me réfugiais dans un univers de fiction. J’inventais toutes sortes d’histoires absurdes liées au départ de papa. Il était en fuite pour éviter la prison. Il devait se cacher et échapper à la police française. Maman était obligée de nous mentir, surtout à Olivier, afin de nous protéger. Un jour, les flics allaient venir m’interroger dans la cour de récréation devant tous les élèves de l’école. Un père en cavale... Un espion au service des Américains ; un agent secret rattrapé par son passé. Dans l'appartement, je me mis à chercher une cache d'armes, une mallette pleine de billets en dollars, dissimulée derrière un placard. J'étais persuadé qu’un des faux plafonds du salon comportait une mystérieuse enveloppe classée "secret défense avec des microfilms et des disques durs compromettants. Papa parviendrait à démasquer les auteurs du complot qui mettaient sa vie en danger et la nôtre. A la fin, il serait réhabilité très officiellement par le président de la République lors d’une cérémonie retransmise en direct à la télévision. Il ne pouvait en être autrement. Je désirais de tout mon cœur préserver la continuité de cette vie familiale, qui reposait sur l’union de mes deux parents.