L'autre jour on m'a dit

luxaeterna

L'autre jour on m'a dit que le viol c'est comme un deuil. Il faut du temps et du courage, on n'oublie pas quelqu'un une fois son enterrement passé. 

Je ne suis pas d'accord. On ne fait pas le deuil d'un viol, tout simplement car on ne fait pas son propre deuil. Nous sommes incapables de séparer notre esprit de notre corps, et bien qu'en rejetant ce dernier, les métastases se propagent de notre cœur grouillant de haine jusqu'à notre tête et nous empêchent de vivre.  On ne peut plus vivre après un viol. On survit. C'est étrange car l'on voit les choses autrement. On regarde le monde avec une certaine distance, comme si la destruction du nôtre nous jettait dans un gouffre plus profond, sombre et inconnu. Un deuil il ne faut pas oublier la personne, c'est important d'y penser parfois. Un viol il faudrait l'oublier mais on en est incapable. Un deuil est malheureux mais la Mort, omniprésente, ne nous étonne même plus par sa malsanité de prise au dépourvu. Un viol n'est pas dans l'ordre des choses. Soit, ce choc vous tombe dessus, mais celui-ci s'infiltre, s'incruste dans chaque pore de votre peau.  Car une unique question vous traverse votre esprit: et si...? Comment puis-je être sûre que je n'aurais pas pu l'éviter ? La Mort a une infaillibilité que le viol n'a pas. On ne peut pas ne pas mourir, on peut ne pas être violé, on aurait pu ne pas l'être. Pourquoi moi, pourquoi moi et pourquoi pas quelqu'un d'autre, qu'est-ce que j'ai fait de mal, qu'est-ce que je lui avais fait à lui, pourquoi pourquoi pourquoi pourquoi pourquoi. On ne sait pas. Il l'avait décidé. Comme l'on aspire le dernier souffle de vie, il avait décidé de s'octroyer ta dernière innocence, dans ce cri jouissif et terrorisé. Il avait décidé que ton corps soit sien, comme l'on acquiert un objet.  Et maintenant tu le regardes. Tu ne l'oublieras pas, ni l'acte ni celui qui te l'a infligé, car tu les vois, ces pupilles grandes ouvertes au-dessus de ton lit, son visage déformé par la jouissance qui te réveille en sanglots et surtout cette odeur, ce relent de rancœur et de haine. Tu te hais. Tu hais ce corps qui n'est plus tien, tu aimerais l'amputer avant qu'il ne contamine cette tête, cette bouche qui s'écoeure et ces images. 

Un viol ce n'est pas comme un deuil. Un viol ce n'est comme rien d'autre. Un viol est le seul acte qui ne vous tue pas suffisamment pour vous éteindre mais assez pour allumer une flamme brûlante au creux de votre âme que les souvenirs ne cesseront de raviver.

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