L'avantage du cafard
topa
Asphyxiée, souffle coupé, trachée compressée, asphyxiée. Pression relâchée, le mal est fait, l'air atteint de nouveau mes poumons. Choquée, plaquée au sol par ces mains et ce corps qui m'ont fait tant de bien par le passé. Instant de lucidité, fuir, sortir de cet endroit où je suis à sa merci. Trouver la force de traîner au sol ce corps meurtri, s'échapper.
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Un an tout juste auparavant ce regard se posait sur moi, en un instant mon cœur lui appartenait. Enfin, le joli barbu que j'attendais ! Si j'avais su, le mal est fait…
De nombreuses nuits passionnées se sont offertes à nous, de même que les discussions à bâtons rompus qui contribuaient à me faire succomber. Pourquoi résister ? Les mêmes envies, les mêmes projets, les mêmes fous rires à gorge déployée. En quelques jours mon être tout entier lui appartenait.
Trois mois de distance géographique en début de relation ? Qu'importe, on se sait plus fort que cela. Tout est beau, simple, évident.
Retour en France, retrouvailles fusionnelles tant attendues, passionnelles. Les projets font leur chemin. Partir ensemble loin de la France ? S'exiler là où nous nous sommes déjà tant aimé ? Bien sûr, notre couple nous semble si fort, prêt à tout affronter.
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Tout affronter ? Oui ! Y compris les premières altercations démesurées, teintées de jalousie exacerbée, menée à l'excès mais surtout injustifiée. Qu'importe, je l'aime, lui demande de se faire aider afin d'exorciser ses démons du passé. Ce premier pas de quelques séances de thérapie n'aurait il finalement pas fait déborder des émotions encore moins faciles à canaliser ? Le suivi n'aurait il pas dû être mieux assuré ? Pourquoi je me pose ces questions si ce n'est pas moi qui suis à même de l'aider ?
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Trop tard, c'est fait, on doit y aller là de toute façon, on a un avion à prendre ! Le suivi du travail commencé sera décalé, mis de côté puis complètement enterré on dirait. Qui suis-je pour le forcer à consulter ?
Et puis on a fort à faire dans cette nouvelle vie, des choses bien plus importantes que son équilibre psychique : visiter, s'installer, rigoler, projeter, peindre ce tabouret…
Mais lui doit aussi oublier, oublier qu'il n'a pas été aux obsèques de sa mémé. Droite dans mes bottes j'ai suffisamment insisté sur l'importance qu'il s'y rende mais il ne l'a pas souhaité. Qui suis-je pour le forcer à monter dans un avion qui était pourtant à sa portée ? Si j'avais su, le mal est fait...
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Émotions refoulées jusqu'à l'explosion dans la violence, la haine, l'humiliation du supposé être aimé. Quatre jours d'escalade jusqu'au drame final. Il casse des objets dans notre maison car on ne partira pas pour le week end de la fête des morts, à lire ainsi c'est insensé ! Entre partir et travailler j'ai choisi de travailler, lui proposant de partir seul mais rien n'y a fait. Quatre jours à ruminer, ressasser, moi qui tente de l'apaiser mais rien n'y a fait.
Délires alcoolisés, insultes non réprimées, il n'arrive plus à se contrôler. Il se perd et je le perds, l'incohérence domine ses propos de la soirée. Puis ses actes semblent eux totalement calculer pour tenter de me tuer.
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D'abord jouer à la pousser, l'humilier avec de petites tapes sur les épaules surplombant ce corps qu'il dit aimer. Lui renverser une carafe d'eau sur la tête ? Elle sait encore résister. Puis la voilà projetée telle une poupée contre le mur, poignets bloqués par le poids de ce corps qu'elle a tant aimé.
Coups sur la tête, confusion, forcée à s'agenouiller pour échapper aux menaces, confusion.
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J'ai encore la force de tenter de me protéger mais il est plus fort, escalade de violence, me voilà allongée, menacée par ce tabouret au dessus de ma tête. Éclair de lucidité, le coup porté serait fatal, je le supplie d'y renoncer. Il jette le tabouret au loin. Soulagée, en vie, jusqu'à quand ?
Me voilà choquée, recroquevillée au sol, essoufflée, priant, le suppliant de se calmer. Rien n'y fait, il tente de m'étrangler…
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Hors de notre foyer transformé en enfer me voilà « arrastrada al piso » comme un cafard… Cet animal détestable et détesté jouit pourtant d'une stratégie de survie avérée : faire le mort en cas de danger. C'est ce que j'ai fait, ce qui m'a sauvé, puis ramper, le plus vite possible vers un endroit où des gens pourraient m'aider.
Ça y est je suis presque sauvée, entourée et protégée. Mais long sera le chemin pour retrouver dignité et légèreté.
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Quant à lui, courte privation de liberté puis désir de s'envoler. Soit, cela permettra aussi de me libérer. Pourquoi le dénoncer ? Il a besoin d'aide pour se soigner et non d'être enfermé. Me voilà désormais seule pour mener à bien ce beau projet ; passée de la condition de cafard qu'il voulait écraser à celle de cafard qui viendra désormais hanter les méandres de sa pensée.Si j'avais su, le mal est fait...