Le Berger
Hervé Nouvel
Toute la semaine j'ai attendu que tonton Charly revienne de son stage à Paris, c'est pour son travail. Moi je vais à l'école bien sûr, mais quand je rentre il y a tonton et on fait des bricolages, on fait du vélo, on va à la montagne. Ça c'est dur la montagne avec tonton. Il m'a acheté un sac à dos mais pas comme celui de l'école, celui là c'est pas un sac à la mode avec des marques et tout. Il a comme une ceinture pour porter sans se fatiguer et des filets sur le côté pour attraper les poissons il a dit tonton,
mais ça je sais que c'est pour blaguer. Quand on va à la montagne il faut porter que les choses utiles, l'eau, le casse-croûte, la veste, le pull, et quand on part pour deux ou trois jours il faut en plus un duvet. C'est un sac que tu couches dedans avec des plumes d'oiseau et qui tient chaud, avec un sac à viande qui est un drap que tu mets dedans le duvet pour pas le salir, une serviette qui sèche très vite, de la ficelle, de la pommade si on a mal, des chaussettes pour changer si il pleut, et plein d'autres
choses utiles. Bon, c'est pas moi tout seul qui porte tout ça, tonton Charly m'aide, mais il a dit qu'avec tout ce qu'on porte dans nos sacs d'école on est assez costauds pour faire de la rando. La rando ça veut dire la randonnée, c'est quand on marche longtemps dans la campagne ou la montagne, des fois les deux, et qu'on dort dans un gîte. C'est comme ça qu'on appelle le dortoir dans la campagne sinon on dit un refuge quand c'est un chalet dans la montagne. Bien sûr avec moi
tonton il peut pas marcher trop, mais je pleure jamais. Des fois j'ai un peu peur quand on marche depuis longtemps et qu'on rencontre plus personne, je crois toujours qu'on est perdu, et puis on arrive dans un village que tonton me dit le nom qui est écrit sur sa carte. Il est fort tonton Charly on se perd jamais, enfin presque. Une fois on a pas vu une marque du chemin, enfin lui il l'a pas vue parce que moi je les vois presque jamais surtout quand je regarde les herbes, les insectes ou que j'entends des bruits bizarres. Alors là, on est arrivé sur une route. Heureusement c'était une petite
route, y'avait pas de voitures, et puis il est arrivé un monsieur paysan, mais on dit agriculteur, il nous a dit qu'on partait pas où il faut et il nous a pris dans sa camionnette à deux chevaux dans le moteur. Derrière y'avait deux moutons qu'on appelle des brebis avec leurs petits agneaux qu'elles avaient mit en bas. J'ai eu le droit de caresser les agneaux que c'est trop trop doux, mais les mamans elles étaient pas trop trop contentes. Comme il était un peu tard et que j'étais fatigué, le monsieur
agriculteur il nous a demandé si on voulait manger avec lui et dormir dans sa bergerie. « Vous savez j'ai pas le confort, c'est juste pour lesquive (1) alors on s'en contente ». Je sais pas ce que c'est lesquive mais j'ai dit oui tout de suite c'était trop grave super ! T'as jamais personne qui fait ça à l'école, pour aller juste à la médiathèque au coin de la rue il faut prendre le bus avec un tas d'adultes qui
surveillent. Le monsieur il était étonné, il a demandé si la télévision ça me manquerait pas ? Non, non, j'ai répondu, nous avec tonton on fait les trucs de la télévision au lieu de les regarder. C'était trop chouette la bergerie, lui il était allé chercher les brebis égarées et ils ont tous rigolé avec sa femme qui avait rentré les moutons à cause des loups. Là j'ai rien dit mais j'étais pas rassuré, pourtant j'aurais bien voulu le voir le loup. Wouah trop bien, tout ce que j'aurais à raconter aux copains ! La bergerie c'est une petite maison en pierre, et c'est formidable, les pierres elles tiennent toutes seules sans ciment, avec un toit en tôle sur des gros troncs d'arbres. A côté y'a une autre maison toute ronde en pierres sans ciment, mais elle est plus petite et plus haute, et ça s'appelle une borie. Le toit est rond parce qu'il est aussi en pierre avec juste un trou au plus haut pour la fumée du feu. Parce qu'y'a pas l'électricité, ni le gaz ni rien de moderne, au milieu y'a le feu de bois avec une marmite pour la soupe. Ça m'a surpris ce noir à l'intérieur quand le soleil s'est couché, mais c'était trop bien la lumière du feu et l'odeur du bois avec celle de la soupe quand on a faim, et les saucisses grillées, humm ! Trop bonnes ! Ça fait rien si on a dû manger à tour de rôle parce qu'on avait pas
prévu de se tromper de route, le berger, c'était ça son vrai nom, avec sa femme ils avaient que deux fourchettes, deux cuillères et deux couteaux. Super extra, sauf que j'ai pas pu voir le loup parce que je me suis endormi au coin du feu. En attendant j'espère qu'on les reverra les moutons et les bergers. Vous savez quoi ? Tonton Charly est revenu de Paris et il m'a rapporté un couteau suisse avec la fourchette, la cuillère, le couteau, la scie, le tire-bouchon, bon moi j'ai pas besoin du tire-bouchon, mais la scie je vais vite l'essayer pour cueillir des branches pour le feu.
...à suivre
(1) lesquive : l'estive où l'on met les bêtes l'été