Le bois des innocents

grabuge

Le père étalait de la lasure sur un des cadres d’une des nombreuses fenêtres de la maison de bois. Le fils était dedans en train de scruter par la fenêtre au cas où quelqu’un arrive. On pouvait sentir une tension, quelque chose ne tournait pas rond: le père était sur le pied de guerre et le fils prêt à bondir sur la trappe qui menait au sous-sol, sous-sol garni d’une table en bois ronde dans un des coins, puis en bas des escaliers une table carrée nappée  d’un tissus couleur crème.

Soudain, le père pose son pot de lasure par terre et pousse son fils dans le sous-sol, silencieusement. Il lui montre la table ronde et lui mime de s’asseoir sur le banc. Le père remonte, referme la trappe. Le garçon attends en bas, dans le noir, à l’affut d’un moindre petit bruit, d’un moindre petit indice sur ce qui pouvait bien se passer en haut. Il sentait encore l’odeur du bois fraîchement coupé, le banc avait été fait une semaine avant et le lambris sur les murs du sous-sol datait de trois semaines. Il entendait son père marcher, lentement, comme une souris dans son trou qui a peur de la patte du chat qui viendrait l’attraper par surprise.

Puis plus un bruit. Il pouvait entendre le bruissement des feuilles dehors. Soudain, la porte s’ouvre avec fracas et un allemand hurle « Suche das Haus ! ». Le garçon était terrifié, il n’osait plus respirer ou bouger, il était paralysé par la peur d’être découvert. Il entendait le bruit des bottes claquer sur le parquet a une cadence démoniaque, comme si tout un régiment était entré dans la maison. « Jude ? Sind Sie Jude ? » beuglait l’allemand, suivi d’un grand calme puis « Entkleiden ihn ! ». Les vêtements du père tombèrent par terre, arrachés par les soldats. Le petit garçon ne pouvait pas voir, mais il entendait, il ne comprenais rien à l’allemand mais il comprenait que ces gens-là ne lui voulaient pas du bien, c’était ce que lui avait dit son père. « Er ist kein Jude. » dit l’allemand, d’un air déçu. « Es muss Zigeunerin sein ! » dit un soldat, un peu plus loin. « Sucht daher Beweis ! » et les soldats se remirent à fouiller la maison.

Finalement, l’un des soldats dit « Ich habe etwas gefunden! ». Le père reçoit un coup de pied du général allemand dans le thorax et tombe par terre. Il ne gémit pas, mais son fils l’entends crier intérieurement. Il aurait envie de crier « Daron ! Daron ! Ho cré kan ? » mais il ne peut pas. Soudain, un coup de feu se fait entendre. Le sang de son père lui coule sur le visage et les mains. La colère lui remplit le corps comme un gaz explosif qui n’attendait qu’une étincelle pour exploser.

Un des soldats allemands dit « Ich dachte, wir haben ihnen nichts Böses ! », mais il prit un coup de crosse dans la tête. « Aussehen ! Ein Loch ! » et un doigt s’enfonça dans le trou de la balle, sous la tête du père. « Suchen Sie die Klappe ! » beugla le général allemand. Après quelques minutes de recherches, la trappe s’ouvrit et le soleil éblouit le petit garçon. « Kleine Ratte ! » dit le général, qui vida son chargeur sur le petit qui s’étala sous la table ronde, souillant le banc fraîchement fait de son sang innocent.

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