Le bout de son nez

 Le jour où ma fille de cinq ans m'a dit, elle s'escrimait à me désigner du doigt par-dessus la balustrade du balcon quelque chose que décidément je n'arrivais pas à voir bien que sur la pointe des pieds et me tordant le cou, même en mettant ma main en visière et même en plissant des yeux, le jour où elle m'a dit : « C'est normal maman que tu ne le vois pas, il faut des yeux d'enfants pour le voir », j'ai dû la regarder avec la sidération incrédule de quelqu'un que l'on poignarderait avec le sourire entre la poire et le fromage, ballon de rouge, tchin-tchin. Les cinq dernières années de ma vie ont défilé grand V entre mes cils et avant que la lame ne se fiche de mon cœur, je me suis demandée depuis quand j'avais perdu la vue.

Mais je n'ai pas eu le temps d'y voir plus clair, vite, il fallait attacher ses sandalettes, lui faire deux tresses, trouver son chapeau, attraper sa pelle et son seau, ne pas oublier son goûter, colorier une princesse sur le pas de la porte, et vite maman, vite, aller au parc faire du manège.