Le bus

sakaba-san

« Météo France maintient 8 départements en alerte canicule. Ces départements en vigilance orange (niveau 3 sur une échelle de 4) sont l'Ain, l'Allier, l'Essonne, le Jura, la Loire, le Puy-de-Dôme, le Rhône et la Saône-et-Loire. Les départements en vigilance jaune (niveau 2 sur 4), sont sous surveillance en raison de la chaleur et des orages…. »


Debout dans le bus 172 en pleine heure d'affluence sous une chaleur suffocante et les écouteurs vissés sur les oreilles, le récent quadragénaire focalise son attention sur la voix de la présentatrice météo captée par la radio de son smartphone. Il espère ainsi oublier le dégout que lui provoquent toutes ces peaux moites et malodorantes qui frôlent, collent et agressent sa personne au rythme des soubresauts du véhicule. Il tente aussi de se fermer au mélange d'odeurs nauséabondes semblant sortir tout droit de la bouche des enfers. Il suffirait d'un instant de déconcentration, pour qu'il sombre dans un rejet incontrôlable et s'en prennent aux âmes qui l'entourent et qui, comme lui, cherchent à s'évader de cet enfer par la rêverie ou la lecture de leurs SMS.


Bref arrêt Station des Tournesols, il est encore bien loin de chez lui. Beaucoup montent et peu descendent. L'oppression devient plus pesante lorsque les portes se ferment et que le bus redémarre, les corps se serrent d'avantage autour de lui tel un étau brulant et la température qui avoisinait les 40 degrés semble augmenter un peu plus : s'en est trop ! Un changement de stratégie s'avère nécessaire car même la radio devient insupportable. Il arrache les écouteurs de ses oreilles, les fourre nerveusement dans sa poche puis  ferme les yeux. Il espère ainsi s'enfermer dans sa bulle en se concentrant sur des images mentales et des sensations agréables. L'imaginaire a toujours été pour lui un échappatoire efficace dans ce genre de situation de stress. C'est là qu'il perçoit la présence insistante placée derrière lui…


C'est d'abord un souffle tiède, profond et régulier qui capte son attention, celui-ci glisse  doucement sur son oreille droite et sa nuque. Immédiatement, un frisson le parcours et les poils de son corps se dressent. Comment était-il possible qu'il n'ait pas remarqué cela plus tôt… La perception des gens autour de lui commence à s'estomper, si bien qu'il ne reste plus que cette mystérieuse présence derrière lui. 

Il analyse le rythme lent du souffle chaud, et comprends vu l'irrégularité de celui-ci qu'il est en fait humé, il est littéralement « respiré » par la présence derrière lui.

Court instant d'effroi pour ce 100% hétérosexuel : « Et si c'était un homme qui le reniflait de la sorte ? » Cette question trouve vite réponse lorsqu'une douce odeur de cerisier japonais ainsi que la sensation de deux seins moelleux collés  sur son dos émergent. Il dresse enfin le tableau de la scène qui se trame : une inconnue est complètement collée à lui, vraisemblablement de façon volontaire car elle le renifle. Certes discrètement, presque imperceptiblement, mais elle l'inhale avec appétit et gourmandise.


Instantanément, un frisson irrépressible gagne son entre-jambes. Il sent ses bourses vibrer doucement et se resserrer sur ses testicules, son pénis se gorger de sang et ses cuisses se coller mécaniquement, mélange de désir naissant et de gène intense vu la singularité de la situation. La respiration de l'inconnue se fige, aurait-elle réalisé qu'elle venait de se faire démasquer ? Surpris à se prendre au jeu, il laisse négligemment sa main tomber le long de son corps et effleurer la cuisse nue de l'inconnue qui, il venait de le comprendre, était vêtue d'un short court. Ce léger contact suffit à  arracher à celle-ci un petit souffle à la limite du râle. Il sent son excitation s'intensifier et son pénis se durcir un peu plus. Discrètement ses doigts se mettent à bouger et à caresser la cuisse humide de l'inconnue ce qui a pour effet d'accélérer sa respiration qui devient de plus en plus profonde à mesure qu'il précise ce contacte subtil.

Machinalement, sa tête pivote de quelques degrés et il se retrouve à humer la respiration de l'inconnue : une délicieuse odeur chaude et sucrée de fleur de cerisier envahi à nouveau ses narines, et une chimie issue de millions d'années d'évolution s'active dans son cerveau qui se met à bourdonner de plaisir. Il sent alors le mont de vénus à peine couvert par le  tissu du short se coller à lui et deux tétons se durcir sur son dos. La scène est irréelle, et d'une sensualité insoutenable ! Sont-ils remarqués par d'autres usagers ? Cela n'a presque pas d'importance pour lui, et il n'a qu'une envie : pivoter face à l'inconnue, découvrir son visage et se coller à elle dans une danse rythmée par les vibrations du bus. Mais même si il le souhaite, cela ne serait pas possible tant le bus est bondé. Il ne peut que lui caresser le haut de la cuisse du bout des doigts, mais cela suffit à ce qu'il ressente le corps de l'inconnue vibrer de plus en plus fortement.

Il remarque alors que les mouvements de bassins de l'inconnue deviennent plus appuyés et courts, sa poitrine s'écrase d'avantage sur son dos et une petite main lui agrippe fermement la hanche ce qui le fait sursauter. Maintenant il perçoit une longue expiration sonore, suivie de quelques soubresauts. 

Avait-elle eu un orgasme ? Non ce n'est pas possible, pas de cette façon…


Et pourtant…


« Merci…» lui chuchote l'inconnue. Elle se décolle de lui, une sensation de fraicheur envahi alors son dos trempé de sueur.

Il n'a pas le temps de réaliser ce qu'il s'était passé que le bus s'arrête à la Station des Frëzta Gada. Une bonne partie des passagers descendent. Dans la bousculade, il ne parvient pas à se retourner à temps pour découvrir quel visage pouvait bien avoir cette inconnue. A peine eu t'il le temps de voir se glisser une femme en débardeur, à la peau café au lait et à la silhouette agréable, portant un sac à dos Naruto et des sisterlocks. Cela ne dura qu'un bref instant avant qu'elle ne fut absorbée par la foule.

Il se retrouva là, debout au milieu du bus, une main sur la barre et l'autre le long du corps à ne pas comprendre ce qu'il venait de se passer. Lorsqu'il reprit ses esprits, il remarqua une femme d'une soixantaine d'année assise un peu plus loin le regarder d'un air sévère. Ne pouvant soutenir ce regard réprobateur, il baissa les yeux et alla s'asseoir à l'extrémité du bus, a présent quasiment vide.

Son regard rêveur observait la route défiler par la fenêtre du bus.

« Mais qui était donc cette fille au parfum de fleur de cerisier ? Je dois savoir ! »

[À suivre]

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