Le Calice d'Argent

Giovanni Portelli

Faustine 3 un extrait avant sa sortie le 31 octobre...

La matinale lui sert donc un café serré comme un nœud de vache dans un grand bol praline. Le mobile-home a une ménagère dépareillée, mais les bols, les tasses et les assiettes sont toutes issues du même lot. Elles pourraient presque recevoir des invités s'il n'y avait ce souci de place une fois tout le monde réuni dans la pièce de vie. Fifi la lance bientôt, comme à son habitude, inapte à se détendre dans le silence le plus complet :

– Tu as repéré des chelous ?

– Non mais la petite animatrice qu'on a vue hier au pot d'accueil, celle que tu voyais bien sur un tracteur avec une chemise à carreau ?

– Oui, la rougeaude aux yeux pincés, eh bien ?

– Elle tient à jour un véritable catalogue de cons, elle. Ce doit être son exutoire pour supporter le caractère gratiné de certains vacanciers.

– Ah ! On serait plus nombreux dans ce domaine s'il fallait débusquer des cons. Tu secoues un toboggan à la piscine, il en tombe dix.

– En tout cas, elle n'est pas farouche pour déboiser. Ça nous fait déjà une caméra low cost en service ici.

– Tiens, puisque tu en parles, la vidéosurveillance, tu sais qui la gère ?

– Le directeur apparemment, mais vues les antiquités, on ne reconnaîtrait même pas leur mascotte parmi les guests. Et je ne te parle même pas du câblage. Tu te souviens du tas de guirlandes qu'on démoulait du panier à décos chaque année, tellement compact qu'on tirait à la courte paille pour savoir qui allait écoper du démêlage ?

Peu désireuse d'attaquer la journée par une comparaison peu flatteuse avec l'état des cheveux de sa cadette, Iphigénie rebondit sur un tic de langage devenu agaçant :

– Les guests ? Tu te crois encore à Marne la Vallée ?

– Oui, déformation professionnelle, désolée.

Quelques temps auparavant, Faustine suivait en effet un stage de perfectionnement au sein d'un grand parc d'attraction pour améliorer sa pratique de l'anglais, largement inférieure aux attentes du professeur Martin. L'Angleterre présentait un vivier d'anecdotes proches de celles liées aux miroirs Cambusier. Il n'était pas exclu que certains demeurassent encore outre Manche, depuis la vente aux enchères qui dispersait la collection au milieu du XIXe siècle.

– Rien d'autre ?

– Je me suis mise un grand frisé dans la poche, tu le croirais sorti de Bollywood. Un nounours adorable, toujours souriant. Lui, il est davantage dans son élément. Mais comme il supervise tous les autres... animateurs et leurs activités, il reste un peu à l'écart et fréquente moins de monde que ses collègues.

– Donc tu n'as rien appris de plus sur l'incident qui justifie la mémorable nuit que je viens de passer.

Chasse d'eau, lavabo, étirements puis écroulement en règle sur le canapé. Fenêtres ouvertes, le courant d'air est le bienvenu après la chaleur moite subie une bonne partie de la nuit. La télé est restée allumée, en sourdine, pour capter le moindre parasite. Chaîne info, banalités énoncées sur le même ton que les pires drames. Un échange de regards. Faustine sourit toujours, taquine. Ébouriffée, Fifi grimace avant de tendre la main vers son bol fumant.

– Une tartine ?

– Pourquoi pas, tiens ? C'est un peu maigre pour un début, jeune fille. Je t'ai connue plus débrouillarde pour nous débusquer une piste.

– Mais j'ai une piste. Le préposé aux viennoiseries de la supérette, une vraie pipelette. Je lui parle escape game, il me répond centre-ville !

– Escape game ?

– Oui ces jeux de rôle à la mode où tu dois trouver en moins d'une heure des indices ou des codes cachés dans un décor aménagé, résoudre une énigme avant la fin du temps imparti.

– Oui, admettons, et après ?

– Le gars avait une tête de gamer, le bronzage haut débit. Je lui ai dit que je voulais créer une boutique de jeux de rôles, tout ça. Il aurait été banquier, je revenais avec un contrat et un financement ! Et là, il me parle des lugubres immeubles jumeaux et de l'hôtel délabré qu'on a repérés en remontant l'avenue principale.

– Un rapport quelconque avec notre agression ?

– Aucun, mais ça se creuse. Tu sais, l'agression, elle s'est noyée dans un flot de passages des pompiers. Soit le personnel a été briefé, soit tout le monde a fini par zapper. Les secours viennent quasiment tous les jours pour embarquer un nouveau blessé. Dent cassée, pied tordu, main écrasée, c'est un vrai figuier à andouilles, cette piscine.

– Oui, mais on n'est pas là pour une simple bousculade de mômes...

– Le truc, c'est que ça n'a pas fait tellement de vagues ici. La plupart des résidents viennent à la semaine. Il y a un turn-over de folie ici le samedi, à ce qu'il paraît. Et parmi le personnel, seule une poignée d'entre eux sait ce qui s'est vraiment passé cette nuit-là. Toi-même tu as lu les rapports des forces de l'ordre.

– Oui, et ces témoins, les as-tu rencontrés d'ailleurs ?

– Il y en a un qui bosse au bar, déjà, on va le capter rapidement. Un brun aux yeux bleus, Sylvain qu'il s'appelle.

– Et tu n'as rien vu d'autre, de moins habituel ?

– Il traîne toujours quelques coques qui doivent être à l'origine de la qualité merdique du réseau sans fil du secteur. Notre petit bouclier nous sera utile ici. Tu l'as nourri d'ailleurs ?

Les coques, comme les larves, ne sont guère plus que des parasites mineurs sur le plan vibratoire, tout juste bons à se greffer aux imprudents prompts à jouer les apprentis sorciers, pour les épuiser jusqu'à ce qu'une purification ou un jeûne salvateur ne les libèrent de ces indésirables. Naturellement dans certains cas, l'infestation persiste et on découvre que ledit parasite cache une menace plus sérieuse, auquel cas les médiums peuvent se montrer utiles à leurs contemporains. Toutefois, seule l'aînée s'expose encore aux autres plans vibratoires.

– Il y a de quoi faire avec ces endives, mais je pense qu'on devrait lui trouver des pommes fraîches, à la bestiole.

On considère depuis des centaines d'années que les familiers sont des êtres malsains, des démons doués de mimétisme animal pour tenir compagnie aux sorcières. Couramment, on soupçonne les chats, les hiboux et les chouettes, mais en vérité la plupart des animaux ont déjà une perception intrinsèque de ces fréquences que le commun des mortels ne soupçonne même plus. Parmi ces détecteurs naturels de manifestations vibratoires, les tortues de terre n'ont pas encore acquis leurs lettres de noblesse malgré leur qualité de garantir une discrétion absolue aux vivants capables de jouer les funambules sur d'autres plans. Au cours de l'Histoire, le folklore a largement surenchéri la réalité. On ne compte hélas plus le nombre d'amis des bêtes qui ont fini sur un bûcher sur la base de cette seule sympathie.

– N'oublie pas de renseigner le journal, il faut recenser tout ce qu'on découvre sur ce site. Une purification n'est peut-être pas indispensable, mais on laissera Martin ou Aria en juger.

Signaler ce texte