Le chaman saigne du nez

My Martin

La griffe du diable

Le désert du Kalahari est une vaste plaine aride d'Afrique australe. Il s'étend sur la majeure partie du Botswana, vers 1 300 m d'altitude, entre les fleuves Orange et Zambèze. La cuvette du Kalahari est recouverte de dépôts sédimentaires horizontaux datant du Crétacé au Quaternaire, gréseux ou sableux

Au Sud, des dunes rouges aux rivières fossiles

Au Nord et à l'Ouest, des marécages saumâtres, plus ou moins asséchés -bassin de l'Okavango, Makarikari  

Steppes, semi-désert. La végétation dominante est une formation de taillis à buissons épineux (thornveld)

Dans le Nord (pluies), les régions portent des baobabs

Riches gisements de manganèse, la majorité des réserves mondiales connues. L'utilisation du manganèse est à 90 % métallurgique. Additif d'alliage, il confère à l'acier une dureté accrue et améliore ses propriétés mécaniques


En tant que désert intérieur, le Kalahari existe depuis la période du Crétacé -135 à 65 millions d'années. Il a connu des périodes de plus fortes humidité et aridité -champs de dunes fossiles

Lors d'une période de fortes précipitations, dans le Nord du Botswana, la dépression de Makgadikgadi s'est formée. L'ancien lac couvrait 60 000 kilomètres carrés -la taille du lac Victoria. Les lits de rivières fossiles qui collectent périodiquement l'eau de pluie, datent de ces périodes


*


Sud de l'Afrique. Botswana et Namibie. Les Bushmen San. Peau claire, petite taille (un mètre cinquante, en moyenne), fins yeux en oblique

Nomades chasseurs-cueilleurs. Les San sont les plus anciens occupants de l'Afrique australe depuis le Paléolithique -40 000 ans. Jusqu'à il y a 2 000 ans, seuls êtres humains en Namibie


A toutes les époques, les San sont pourchassés      

par les colons néerlandais, Boers (pionniers blancs d'Afrique du Sud) et Huguenots (composante de l'identité du peuple des Afrikaners)

par les colons britanniques   1885-1966

par les tribus sud-africaines -éleveurs Khoïkhoï et peuples Bantou


Les San se réfugient au centre du pays, dans les montagnes du Drakensberg et dans le désert du Kalahari, entre l'Afrique du Sud, le Botswana et la Namibie

90 000 chasseurs-cueilleurs. Botswana (50 000 San). Namibie (27 000). Afrique du Sud (4 500). Zimbabwe (2 500). Angola (1 500) …


La plus ancienne culture connue au monde, la « civilisation de l'arc ». Arcs longs et fins

Ni chef, ni droit à la propriété. Le bétail appartient à tous. La société s'organise autour de la chasse et de la cueillette  

Les femmes collectent les baies et les racines  

Les hommes récoltent le miel. A l'aide de flèches empoisonnées, ils chassent antilopes et girafes

Dans le nord du désert du Kalahari, le poison utilisé pour les flèches provient de la larve et de la pupe (entre la larve et l'imago, au cours de la métamorphose) d'un coléoptère -l'allure d'une coccinelle. Chrysomèle, genre Diamphidia. Il est appliqué sur la flèche. Soit par pression du contenu de la larve, mélangé avec la sève de plantes en guise de colle, directement sur la flèche. Soit par mélange d'une poudre fabriquée à partir de la larve sèche, avec du jus de plantes, appliqué à l'extrémité de la flèche

La toxine agit lentement. Les animaux survivent 4 à 5 jours, avant de succomber

Avec une pierre taillée, les San équarrissent le gibier      


Au cours des cinquante dernières années, les San se sont sédentarisés. Ils cultivent du sorgho, élèvent des chèvres ou des poules  


*


Langues dites khoïsan (Afrique Sud). La langue des San comporte des sons articulés et des clics -légers claquements de langue. Ce type de son est utilisé comme phonème consonantique

La langue à clics est menacée. Pour démocratiser son apprentissage, un système d'écriture est créé


*


L'art rupestre des San est un « témoignage unique, qui met en exergue le mode de vie et les croyances de ce peuple »


Afrique du Sud. Chaîne de montagne au Sud de Johannesburg, parc du Maloti-Drakensberg (Afrique du Sud / Lesotho). 665 sites d'art rupestre, 35 000 dessins  

Réserve de Giant's Castle, site à ciel ouvert. 500 peintures, anciennes de 800 ans

Gorges de Ndedema. Chemins de Cathedral Peak

Au Nord du Cap (capitale de l'Afrique du Sud), le Cederberg. Bushmans Kloof. 130 sites -certains datent de plus de 10 000 ans


Johannesburg. Université de Witwatersrand. James David Lewis-Williams, né en 1934. Département d'Archéologie. « Les peintures vont de simples monochromes aux polychromes complexes avec estompe, l'apogée de l'art rupestre de l'Afrique du Sud. Les gravures ont été réalisées par trois techniques. Piquetage, incision, raclage »

J.D. Lewis-Williams. Ces peintures et gravures sont liées aux rites chamaniques. Elles représentent les visions du chaman pendant la transe


Hommes, animaux, êtres hybrides, signes géométriques, mains en négatif, …


Les animaux de la savane -hippopotame, zèbre, girafe, rhinocéros, autruche, babouin, serpent, antilope

Université du Cap (Afrique du Sud). Pieter Jolly, département d'Archéologie. « Les animaux peints par les San ne représentent pas une simple liste du gibier comestible, présent dans la région. Le critère utilisé pour déterminer quels animaux vont être peints, n'est lié ni à la prééminence des animaux dans l'écosystème sud-africain, ni au régime alimentaire des San »


L'éland, le lien avec les esprits. L'éland du Cap, ruminant, famille des Bovidés. La plus grande antilope d'Afrique tient une place prédominante -ne pas confondre avec l'élan / orignal d'Amérique du Nord, un cervidé  

« Les études ethnographiques montrent que le symbolisme de l'éland imprègne presque tous les aspects de la vie religieuse de nombreux groupes San. Cette antilope joue un rôle important au cours des rites de puberté des jeunes filles San. Le premier animal créé par Kaggen (ou Cagn), la divinité malicieuse des San / Xam du Cap-Nord et des San / Maloti du Lesotho »


Le chaman entre en contact avec le monde des esprits. Agir sur le cours de la vie, guérir les maladies, contrôler les animaux, faire venir la pluie, prédire l'avenir, …

Son corps est saisi de tremblements. Danse. Penché en avant jusqu'à la taille, parfois appuyé sur des bâtons, les bras en arrière, ou prêt à s'effondrer. Il saigne du nez, …

Le chaman dessine ses visions. Les hommes au corps allongé. Les êtres hybrides aux sabots d'éland. Les félins aux jambes humaines, …

Museum de Toulouse. "Les humains hybrides sont des chamans en cours de transformation dans le monde des esprits. La transformation vise à acquérir le pouvoir supra-naturel logé dans les animaux"

 

Les San peignent leur société, leur histoire. Les fresques représentent les batailles

contre les peuples Bantou Xhosa et Zoulou aux boucliers ovales

contre les colons Boers et les Britanniques, sur leurs chevaux


Réalisées plus tardivement aux XIXe et XXe siècles, certaines peintures sont attribuées aux autochtones d'expression Bantou


*


Années 1960. Orapa, centre-est du Botswana. Découverte d'un gisement de diamant


1961. Les limites de la réserve sont tracées par le colonisateur britannique

Réserve naturelle du Kalahari central (Central Kalahari Game Reserve CKGR). Créée pour offrir aux San un espace où pratiquer la chasse dans le respect des traditions. La réserve est fermée au public jusque dans les années 1980 à 1990

Plus vaste territoire protégé du continent africain. Le parc (52 800 km² -la superficie de la Croatie) constitue le cœur du Kalahari. Le bassin s'étend de l'Afrique du Sud, à la République démocratique du Congo -1,2 million de km² -deux fois la France

Safaris -éléphants, antilopes, mangoustes, hyènes, léopards


*


1997, 2002, 2005. Les expulsions forcées des San se déroulent en trois vagues. Selon le gouvernement du Botswana, le mode de vie des agriculteurs sédentaires San, autrefois fondé sur la cueillette et la chasse à l'arc, est incompatible avec la protection de la vie sauvage dans la réserve. Interdiction de creuser pour accéder à l'eau


Début des années 2000. Le mensuel The Ecologist et l'ONG britannique Survival International (défense des peuples autochtones) dénoncent l'augmentation du nombre de concessions de diamants dans la réserve naturelle du Kalahari central, à l'origine de l'expulsion des San


2002. Financés par Survival International. Les San demandent réparation au gouvernement. Avocat britannique Gordon Bennett. Le procès le plus long et coûteux, de l'histoire du Botswana


2004. Survival International accuse le Botswana de procéder à un "nettoyage ethnique"


13 décembre 2006. La Haute Cour de Justice juge l'expulsion « illégale et anticonstitutionnelle ». Les San ont le droit de retourner librement sur leur territoire ancestral -sans leur bétail. Ils ont le droit de pratiquer librement la chasse et la cueillette. Ils n'ont pas à demander d'autorisation pour entrer dans la réserve

Certains San restent à l'extérieur de la réserve, dans les nouveaux villages où leurs enfants sont scolarisés


2007. Campagne de The Ecologist et de Survival International. La compagnie Debswana (leader du marché des diamants bruts De Beers, détenu par le gouvernement de Gaborone, la capitale du Botswana) cesse son exploration à Gope -Kakahari central, 255 km Sud-Est de Gaborone

La société assure qu'elle ne souhaitait pas déplacer les communautés locales, mais leur offrir des emplois


2011. Les San ont le droit de forer de nouveaux puits dans la réserve. Kalahari central, l'ONG américaine Vox United entreprend de creuser des puits  


Depuis 2013, l'avocat britannique des San, Gordon Bennett, est frappé d'interdiction d'entrée au Botswana


2014. Le gisement de Gope est cédé à la société Gem Diamonds. Elle obtient une licence d'exploitation et ouvre la mine

2014. La chasse est interdite au Botswana. Une injustice pour les San, auparavant autorisés à vivre et à chasser dans la réserve naturelle CKGR

Survival International. "Les San risquent d'être arrêtés, frappés et torturés par la police paramilitaire qui les accuse de braconnage. Tandis que les chasseurs de trophées sont privilégiés"

Les huttes des San sont démantelées. Surpris en train de chasser pour nourrir leurs familles, les San sont arrêtés, battus, torturés


Survival International. Pour les chasser de leurs terres, le Botswana persécute les San

« Aujourd'hui, le gouvernement affirme que seul un nombre réduit de San, nommés dans les documents de justice, ont le droit de rentrer chez eux »

Un système comparable aux lois de « laissez-passer », en vigueur à l'époque de l'apartheid (1948-1991), en Afrique du Sud

« Le gouvernement force maintenant les enfants et proches des personnes vivant dans la réserve, à demander un permis pour entrer dans la réserve et leur rendre visite. A défaut, ils encourent sept ans de prison »

Survival International appelle au boycott international du Botswana -tourisme, diamants. Tant que le gouvernement ne garantit pas les droits des San


*


Années 2000. A l'extérieur de la réserve CKGR, le gouvernement crée trois camps de relocalisation pour les San. Mouroirs. Villages neufs, comparables aux communes rurales du Botswana. Écoles, bâtiments administratifs. Pas d'électricité. Pénurie d'eau. Manque d'emplois

Chaque mois, le gouvernement distribue les rations de nourriture. Désœuvrement, mélancolie. Dépression, alcoolisme

« Je ne fais rien de mes journées »

« Quand on chassait encore, on n'avait pas besoin d'acheter quoi que ce soit. L'argent, on ne savait même pas ce que c'était »


*


Dans la réserve CKGR, les San préparent du bois pour le feu. Ils déterrent les tubercules de la griffe du diable -une plante médicinale, séchée au soleil puis mise en vente

La griffe du diable -Harpagophytum procumbens, harpon végétal- est efficace dans le traitement des maladies rhumatismales, notamment l'arthrose. Griffe du diable, car ses griffes se fixent dans les parties molles des sabots du bétail et contribuent à la propagation des maladies dans les troupeaux. La Namibie, le Botswana, l'Afrique du Sud sont les principaux pays producteurs


Les San sont employés dans les lodges de luxe de la réserve CKGR. Jardiniers. Les guides présentent aux touristes le mode de vie traditionnel des San

village de Gugamma (CKGR). Onthusitse Tshotlego. « Ils nous incitent à faire des mises en scène factices qui ne sont pas fidèles à nos pratiques »  

Onthusitse a le même rêve que son père, ouvrir son lodge. Le premier lodge du Kalahari tenu par un San


Onthusitse veille à ce que ses quarante chèvres ne se fassent pas dévorer par les chacals

Le jeune homme parle des élands et des autruches. « Nos ancêtres fabriquaient des outils avec les os des pattes d'autruches. Ils utilisaient les coquilles de leurs œufs comme récipients. Les élands étaient précieux à cause de la graisse qui entoure leur cœur. Mêlée à des racines écrasées, elle constituait une lotion dont nos ancêtres se recouvraient le corps, pour ne pas avoir froid. Ces animaux ont permis aux San de survivre dans le désert. »


Une partie de l'année, Motswakgakala et sa femme vivent dans leur village natal de Metsiamanong (CKGR)

Motswakgakala Gaoberekurep, quatre enfants. "Je connais parfaitement mon environnement. Je sais quels animaux et quelles plantes je peux trouver à tel ou tel endroit. Quand on avait encore le droit de chasser, ce savoir m'aidait bien."

Hutte ronde de branchages. Motswakgakala possède une carte d'identité. Date de naissance XX/XX/1957

Sa femme fait la vaisselle avec une éponge, elle tapote les cendres du feu de bois, frotte les tasses puis les accroche pour sécher aux branches d'un arbre

Certains soirs, Motswakgakala éloigne les lions qui viennent roder à proximité du feu. La nuit résonne la musique des étoiles


Mai à août, hiver austral. L'air est sec en journée. Températures clémentes autour de 15 °C. La nuit tombe à dix-huit heures trente. Les nuits sont glaciales

Novembre à mars. Pluies et chaleur. Les San font des réserves d'eau de pluie

A la saison sèche (mai à octobre), les San se désaltèrent avec les melons d'eau. Le melon tsamma -citron melon (Citrullus lanatus). Source d'eau et de nourriture majeure, pour les San dans le désert

Tswana -langue de l'ethnie majoritaire du Botswana. Le district où se trouve le désert du Kalahari, Kgalagadi signifie « terre de la soif »


Pourquoi vivre dans la réserve et non dans les trois villes nouvelles, bâties à l'extérieur par le gouvernement ?  

Joginah. "Parce que c'est la terre de nos ancêtres"

16 ans, enceinte. "Ici, en brousse, on travaille". "Je n'aime pas être ici, il y a des sorcières et des esprits"  

Joginah est l'une des rares San qui parle anglais. L'école lui manque, malgré les discriminations


Rebecca, chef du village par intérim. Vivre dans le Kalahari permet de trouver de tout, sans dépenser un Pula [monnaie du Botswana] et d'être au calme.

"A Ghanzi ["capitale" du Kalahari], il y a de la bagarre et de la boisson, tandis qu'ici, il n'y a pas de bruit"


D'kar, Kalahari central. Bastion de la résistance San

Molapo, au cœur de la réserve CKGR. L'un des fiefs du mouvement de libération Bushmen


Jadis la nuit autour du feu. Se parer. Danser  

Flèches de chasse. Tabliers de peau brodés de perles. Grelots de pied en cocons de papillon de nuit emplis de graines. Coiffes en peau. Colliers en perles d'écaille d'œufs d'autruche    


*


D'après le tableau d'indice de démocratie, le régime du Botswana (2,4 millions d'habitants) se rapproche le plus en Afrique, d'une démocratie complète. Système multi-partite, depuis l'Indépendance (30 septembre 1966), dominé par le Parti démocratique du Botswana

Structurés politiquement, les San sont absents des instances représentatives du Botswana

Le Botswana connaît un fort taux de croissance. Il extrait le quart des diamants vendus dans le monde


Frontière nord du Botswana avec la Namibie. Le chasseur de trophée professionnel Leon Kachelhoffer paye 50 000 dollars / 46 000 euros. Il abat le plus grand éléphant Tusker du pays. Défenses -tusks- exceptionnellement longues. En Afrique, subsiste une quarantaine d'éléphants Tusker



Signaler ce texte