Le chant des bouteilles

Stéphane Antonini

Boire pour oublier, c'est un peu con, parce que souvent, tu oublies ce que tu voulais oublier, et tu te rappelles de trucs que t'avais oubliés, alors du coup tu bois encore pour oublier vraiment ce que tu avais déjà oublié sans trop boire.

Et demain, tu auras toujours dans la tête ce que tu voulais oublier au départ.

Le chant des bouteilles est enivrant, c'est comme de vieilles sirènes défraîchies, mal fagotées, un peu garces mais quand même attirantes, qui chantent faux de façon presque trop juste, qui ont ce charme de la peau ravagée et de l'âme consumée par les abus, les échecs, les drames, les souffrances.

Les bouteilles, elles te chantent des hymnes à la joie éphémère, elles te chantent des jolis moments disparus dès l'aube, elles te cassent les oreilles même, alors tu vides les bouteilles pour qu'elles cessent de chanter, qu'elles soient vides et sans son, juste du verre vide, et elles ne chantent plus, elles se taisent, mais elles sont quand même allées au bout de leur chanson, et toi t'as écouté sagement et t'as goûté à leurs notes et t'as perdu ton temps, ton argent et ta raison et ta fierté, mais c'est pour ça qu'elles chantent, pour te faire perdre, pour égayer tes regrets et te faire croire que la vie, c'est une mélodie qui est faite de notes alcoolisées et de vapeurs dégueulasses, que le temps c'est juste des bouteilles qui chantent et que ton existence c'est juste une partition gribouillée par un ivrogne dont tu perpétues la mémoire tous les soirs en dansant sur le chant des bouteilles.

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