le charme est accompli
My Martin
Australie Sud-Est
Territoire du clan Krowathunkooloong de la nation Gunai
Au cours des années 1800, beaucoup de Gunai se sont très tôt opposés à l'arrivée des Européens ; nombreuses confrontations entre Européens et Gunai
La grotte de Cloggs
Située sur une falaise le long de la Snowy River, un abri sous roche
1er juillet 2024. Nature Human Behaviour, revue mensuelle
Les travaux de recherche ont été menés conjointement
par des chercheurs de l'université Monash (agglomération de Melbourne), en Australie
et des représentants du peuple des Gunaikurnai. Gunaikurnai Land and Waters Aboriginal Corporation (GLaWAC)
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Sol sec. Sédiments légèrement alcalins
Les vestiges d'un rituel aborigène
Des petits foyers de feu
deux bâtons de bois (murrawun), partiellement brûlés, vieux de onze mille et douze mille ans
selon des datations au radiocarbone. La fin du dernier âge glaciaire (-115 000 à -11 700 ans)
Des branches de Casuarina cunninghamiana (arbre à feuilles persistantes, en forme de fines aiguilles vert-grisâtre), originaire d'Australie
afin d'être plantés verticalement dans le feu, les extrémités des bâtons ont été taillées
depuis toujours, utilisées lors des rites
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19e siècle. Alfred William Howitt (1830 - Bairnsdale, Australie, 1908), anthropologue australien, spécialiste des cultures aborigènes
Jamais publiées, certaines de ses notes sont conservées au South Australian Museum (Australie-Méridionale, Adélaïde)
Afin de pouvoir les consulter, Russell Mullet, responsable de l'association GLaWAC, a dû âprement négocier
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Chaque groupe du clan Gunaikurnai avait sa propre grotte
chaque grotte avait un chaman (mulla-mullung)
Il pouvait
guérir
mais aussi, invoquer le mal
Le mulla-mullung était tout à la fois, recherché et craint
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Le mulla-mullung attache des cheveux ou un morceau de vêtement du malade à l'extrémité du bâton, enduit de graisse humaine ou animale (kangourou)
Le bâton est planté au centre du feu
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Université Monash. Pr Bruno David, archéologue
La convergence des preuves archéologiques et des récits ethnographiques démontrent la persistance des traditions aborigènes
Transmission orale continue pendant douze mille ans
cinq cents générations
de l'âge de pierre (-20 000 ans), à la période de la colonisation britannique (1788-1901)
Les plus anciens artefacts en bois, jamais découverts en Australie
Le plus ancien rite culturel connu, pratiqué dans la continuité
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Chambéry. Université Savoie Mont Blanc. Laboratoire mnvironnement dynamique et territoires de la montagne (Edytem)
Jean-Jacques Delannoy, géomorphologue
Grâce à une puissante tradition orale, l'Australie a gardé la mémoire des peuples premiers
Dans nos sociétés, avec le passage à l'écrit, est survenu un changement de la mémoire
Le sens des gestes a été perdu
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Australie Sud-Est
État de Victoria Sud-Est. Région Est de Gippsland
contreforts des Alpes australiennes
près de la rivière Snowy
à proximité de la ville de Buchan
Cloggs Cave
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Années 1970. Des fouilles (sans représentants des aborigènes). Mise au jour des restes de kangourous géants, que les premiers humains occupants de la grotte auraient chassés
Russel Mullett, responsable de GLaWAC
L'approche de la recherche et le rapport qui en a résulté, comportaient des informations ou des interprétations erronées
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2020. Avec la participation de la communauté aborigène locale, nouvelles fouilles
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La caverne, jusqu'à douze mètres sous la surface. Elle préserve un vaste héritage de la culture aborigène
Selon des recherches antérieures, l'activité humaine remonterait à 25 000 ans (-65 000 ans, premiers humains en Australie ; venus à pied, depuis la Papouasie-Nouvelle-Guinée au nord, alors que le niveau de la mer était bien plus bas)
-6 000 ans. Une partie de la grotte s'effondre en gouffre
Des objets d'époques différentes sont juxtaposés
Le Pr Bruno David et son équipe se concentrent sur une partie de la grotte restée intacte lors de l'effondrement
Une cheminée, de la taille d'une main. Des roches calcaires
Un bâton de Casuarina de quarante centimètres de long, légèrement brûlé, émerge
Plus court, inséré dans un foyer, un second bâton
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19e siècle. Alfred Howitt, géologue et ethnographe du gouvernement
Le mulla-mullung attache sur un bâton taillé avec soin, des éléments personnels de la victime
Morceaux de vêtements, cheveux, restes alimentaires
Il enduit l'ensemble de graisse humaine ou animale, afin que le feu soit entretenu, au cours du rituel
Des pierres, des brindilles. Le bâton est placé au centre d'un feu
Le mulla-mullung chante le nom de la personne
le bâton se consume
tombe
le charme est accompli
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Dès l'aube du 19e siècle, la colonisation discrimine les aborigènes et leur culture
Le rituel de guérison spécifique semble avoir décliné, voire disparu
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Magali Jenny, ethnologue romande, spécialisée en ethnomédecine
Les informations qui circulent grâce à la tradition orale, peuvent se perdre, mais restent souvent très précises
La mémoire est différente. L'oralité suit une certaine évolution de la société, les rituels sont adaptés
Par rapport à un rituel, l'écrit donne bien plus de précisions
En revanche, lorsque l'écrit disparaît, la mémoire risque fort de se perdre
La plupart des secrets sont des formules
Certains secrets utilisent des branches, des racines. Une corde
Les éléments sont brûlés. Enterrés
Ils ne sont pas là pour perdurer ; ou ne se trouvent pas dans des conditions idéales, pour perdurer