Le Château des Grenouilles vertes
saghey
Louis est un garçon de treize ans. Pour des raisons professionnelles ses parents ont décidés d’emménager dans la ville natale de sa mère à Reims. Louis s’est installé chez son oncle au cours des grandes vacances, laissant ainsi ses parents gérer tranquillement leur déménagement.
Il avait dû quitter ses amis, son école, les rues de sa petite enfance. Cette pensée le rendit morose. Bien sûr, ils s’étaient promis de s’écrire, voire de se téléphoner.... Mais il ne passerait plus jamais devant la boulangerie de mademoiselle Vanessa qui, en échange d’un bonjour ou d’un sourire, lui proposait un croissant ou un pain au chocolat. Il savait que ses amis l’oublieraient comme il allait les oublier, avec le temps. Son oncle, comprenant ce qu’il pouvait ressentir, vint à lui parler de ce qu’il pouvait faire ici. Connaissant la passion de Louis pour les romans de cape et d’épée, les histoires de chevaliers, il lui fit part de l’histoire d’Achille Ier, roi d’Araucanie.
Ce roi vivait à Reims, avait une couronne d’acier, un château…et son oncle prit l’initiative de l’inscrire à une chasse aux trésors organisée dans le parc du château le weekend suivant.
Une chasse aux trésors ! La seule idée de partir avec son sac à dos et d’explorer des ruines mit Louis en joie. La veille de cette grande aventure, c’est d’un sommeil calme et serein qu’il s’endormit.
En se réveillant, Louis fut surpris de ne pas trouver son oncle attablé comme à son habitude dans la cuisine avec sa tasse de café dans les mains et son journal posé devant lui. Il trouva juste un mot à côté de son bol de céréales : « Mon p’tit Louis, j’ai dû m’absenter tôt ce matin pour une urgence à l’hôpital. Je viendrai te rejoindre dès que j’aurai fini d’opérer ce patient. Je t’ai laissé les indications pour te rendre ce matin au château ainsi qu’une petite collation si je devais tarder. Quoi qu’il en soit, je te rejoindrai sur place. Prends bien soin de toi, ton oncle qui t’aime. »
Une fois le petit-déjeuner ingurgité et un rapide passage par la salle de bain, Louis vérifia son sac à dos : son plan de la ville, sa boussole, son couteau suisse, son lance-pierre, sa lampe torche, ses jumelles et son calepin ne le quittaient jamais. Au moment de partir, il se souvint de l’en-cas posé sur la table de la cuisine et sortit. Ce n’est qu’une fois dehors que Louis lut les directives de son oncle, qui le laissèrent perplexe.
Il était écrit :
« Suis le Dieu de la Lumière et traverse le pont qui mène à la Roseraie, point d’arrivée. » Une énigme à résoudre, quelle joie ! Louis prit le plan : le Dieu de la Lumière faisait référence au boulevard Dieu-Lumière et en suivant cette route il arriverait au Pont Fléchambault menant directement à la rue de la Roseraie. Victoire !
Le trajet dura environ une demi-heure. Quand Louis arriva devant les grilles du château, les cloches d’une église proche retentirent.
La grille de l’entrée d’honneur faisait face au canal de la Marne. De part et d’autre de la grille, un mur en maçonnerie formait un demi-cercle. De ce que Louis pouvait entrevoir, il y avait une allée plantée de deux rangées d’arbres d’alignement. Le château n’était pas visible. À la gauche de la grille, se trouvait une porte de service où il put voir une cloche en fonte surplombée d’une grenouille. Il tendit la main, prit la ficelle et tira vigoureusement dessus. Il ne fut qu’à moitié étonné d’entendre un croassement répondre aux tintements de la cloche. Puis, bientôt, un chant de grenouilles qui sembla venir de tous les côtés !
— Vous allez finir par vous taire, vous autres ? Ce n’est pas fini tout ce raffut ? Au ton de la voix, Louis commençait à regretter d’avoir déclenché la cloche. Mais, le fait le plus curieux, c’est que la cacophonie cessa presque immédiatement. Une ouverture se fit au centre de la porte en bois et la voix lui demanda :
— C’est pourquoi ?
— Euh… je viens de la part de mon oncle, au sujet du trésor.
— Tais-toi donc ! Ne parle pas de cela ici, les murs ont des oreilles, ton oncle ne t’a pas appris cela ?
Louis hésita entre l’envie de rire et celle de répliquer, mais après tout, cela faisait partie du jeu et il serait intéressant de faire comme si.
— Veuillez m’excuser Madame, ce n’était pas mon intention, je n’ai pas voulu…
— Bon, bon, ça va, entre. Attends-moi là que je vienne te chercher.
La vieille femme le laissa attendre, dans ce qui ressemblait à une cour tandis qu’elle s’en allait d’un pas claudiquant jusqu’à une demeure avec de grandes fenêtres, pas moins de quatre tourelles et un clocher - sûrement celui de tout à l’heure qui sonna dix heures.
En y regardant de plus près, Louis vit que tout le long de la bâtisse étaient sculptées des grenouilles de toutes formes. Au bout de l’allée d’arbres, il distingua une partie du jardin avec des topiaires qui, elles aussi avaient l’apparence de batraciens. Le lieu donnait une impression de fouillis organisé.
La curiosité de Louis était à son paroxysme : il lui tardait de commencer l’exploration de la propriété. Il était tellement pris dans ses pensées qu’il ne vit pas la vieille femme s’approcher de lui.
— Suis-moi, j’ai prévenu Sa Majesté le roi, il t’attend.
D’après la robe ancienne et décolorée recouverte d’un tablier de cette femme, certainement une domestique, la chasse au trésor se doublait d’un jeu de rôles !
Pas un mur des couloirs que traversa Louis n’avait échappé à l’accrochage intempestif de tableaux alternant grenouilles et portraits de famille, à tel point que si on les observait du coin de l’œil on aurait pu y voir une filiation. Louis se mit à rire. C’est alors qu’il se demanda pour la première fois à quoi Achille avait bien pu ressembler.
La vieille femme s’arrêta devant la porte au fond du couloir et frappa à la porte. Elle ne s’attarda pas. « Tu peux entrer, le roi t’attend à l’intérieur. » Puis elle reprit le chemin inverse.
Derrière le bureau, s’élevait un portrait de plein pied où figurait un homme de taille moyenne et bien en chair, affublé d’une moustache à faire pâlir d’envie le détective Hercule Poirot né de la plume d’Agatha Christie. Tout dans sa bonhomie rappelait le bon vivant, son costume était paré d’une myriade de décorations. En détournant les yeux du portrait, Louis vit l’exacte réplique du tableau, mais en vrai ! Tranquillement assis dans sa méridienne, le bonhomme étudiait Louis du regard et mit un certain temps avant de prendre la parole.
— Alors, tu es là pour mon trésor n’est-ce pas ? As-tu une quelconque idée de ce qu’il te faut chercher ?
— Pas vraiment, je pensais que vous alliez pouvoir m’aider, Votre Majesté…
Un rire tonitruant déchira l’air et Louis crut un instant que l’homme devant lui allait s’étouffer ! Il toussota puis essuya une larme au coin de l’œil avant de reprendre son calme et finir par dire :
— Tel que tu me vois, il me manque quelque chose qui m’est cher. Vu ton jeune âge, je ne sais pas si la tâche ne sera pas trop lourde à porter…
— Cela n’a jamais empêché de faire preuve de bravoure et d’habileté, Sire.
— Je te prendrai au mot : je te propose une énigme. Si tu arrives à la résoudre, alors je t’exposerai mon problème. Tu es prêt ? Il n’y en a qu’un seul dans une minute, et il y en a deux dans une heure. Mais il n’y en a aucun dans un jour. Qu’est-ce ?
Louis sortit son calepin, prit son stylo et se mit à écrire l’énigme.
— Mais bien sûr, c’est le E !
— Toutes mes félicitations, mon garçon ! Je dois admettre que tu es perspicace !
— J’adore les énigmes, c’est pour ça que je suis venu aujourd’hui participer à la chasse au trésor.
— Je m’en réjouis ! Sais-tu ce qui m’a été lâchement dérobé ?
Sans même attendre la réponse de Louis, il reprit :
— Ma couronne ! Ma couronne d’acier s’est volatilisée ! Disparue ! Envolée ! Impossible de savoir où ! As-tu une idée ?
Le ventre de Louis gargouilla d’une telle intensité que l’enfant rougit.
— Je vous prie de m’excuser, Votre Majesté ! La matinée a été longue, puis-je ? Il montra dans son sac à dos l’en-cas préparé par son oncle. Le roi acquiesça en souriant et Louis sortit les biscuits roses.
— Par ma moustache ! Les biscuits ! Mais où avais-je la tête ? Disant cela, il sortit précipitamment de la pièce laissant Louis seul pour revenir quelques instants plus tard avec sa couronne dans les mains.
— Tu es la providence mon enfant ! La couronne, bredouilla-t-il, ma couronne, je ne te remercierai jamais assez ! Merci, merci ! Mais au fait quel est ton nom ?
Louis mis un certain temps avant de répondre :
— Euh… Louis… mais…
— Alors, merci mon p’tit Louis…
— Mais je ne comprends pas bien. Quel rapport entre mes gâteaux et votre couronne ?
— C'est-à-dire que… mon épouse, Dona Maria, surveille mon alimentation de près… Comment dire ? Pour être plus libre de mes mouvements, je l’ai tout simplement posée sur le garde-manger. Car quand ma couronne tombe, elle fait un sacré bruit et ma dame saurait que je suis allé voler des biscuits…
Louis fut quelque peu décontenancé par sa réponse.
— C’était donc ça la chasse au trésor à laquelle mon oncle m’a inscrit ?
— Que veux-tu dire, petit ?
— Eh bien, il était question d’une chasse au trésor dans le parc du château et là, il semble qu’il y ait une erreur. Vous êtes censé jouer le roi d’Araucanie, non ?
— Censé jouer? Je suis Achille 1er, roi d’Araucanie, cette couronne l’atteste ! Ferais-tu partie de mes opposants ?
— Pas du tout, Sire !
Cet homme tenait à suivre son rôle jusqu’au bout. Louis en fit de même.
— Oubliez mes paroles, Sire, je me suis mal fait comprendre.
— Laissons cela ! Tu as retrouvé ma couronne, n’en parlons plus.
— Que dois-je faire maintenant ?
Au même moment, on frappa à la porte. Sans même attendre de réponse, une femme en robe sombre et au chignon tressé entra. Le roi se mit à bredouiller un « Chère Dona Maria, ma bien-aimée ». L’intéressée haussa les épaules.
— Je peux savoir ce que vous faisiez du côté des cuisines, j’ai entendu des pas tout à l’heure, interrogea-t-elle en scrutant le bureau dans l’espoir d’y trouver la preuve d’un quelconque méfait.
— Ces biscuits n’étaient pas pour moi, mais pour notre invité Louis qui a retrouvé ma chère couronne d’acier, que j’avais oubliée sur… euh, un banc dans le parc !
Elle se tourna vers Louis qui lui montra les biscuits qu’il était en train de dévorer. Le roi sourit à son épouse, triomphant.
Calmée, la dame s’assit sur la méridienne.
— Si j’ai bien compris, nous vous devons toute notre gratitude et vous méritez une récompense ? N’est-ce pas Achille ? Que pouvons-nous offrir à ce jeune homme ?
— Justement, j’y réfléchissais ma douce. Je pense lui remettre notre plus haute distinction.
Dona Maria avança vers son mari, et d’un geste, décrocha une des médailles accrochées sur la veste de celui-ci et se tourna vers Louis.
— Pour service rendu au roi du royaume d’Araucanie, vous voici maintenant Chevalier de la Constellation du Sud.
Tout comme le roi, Louis ne sut ni quoi dire ni quoi faire : la scène avait duré à peine quelques minutes. Le garçon tenait dans ses mains une médaille, formée d’une croix blanche entourée de feuilles de laurier au-dessus desquelles était représentée la couronne d’acier.
— C’est pour moi ? demanda-t-il, émerveillé.
— Tout service rendu à la couronne mérite distinction, expliqua Dona Maria.
— Merci, merci beaucoup ! J’y ferai attention, comme à un trésor ! Je range cette médaille immédiatement dans mon sac.
Dona Maria sourit. On frappa de nouveau à la porte. La vieille femme de tout à l’heure entra.
— Un monsieur attend ce petit garçon aux portes du château. Et elle quitta la pièce.
— Ce doit être mon oncle, il devait me rejoindre ici.
— Pars à sa rencontre. Vous nous retrouverez ici.
— Je reviens tout de suite !
Arrivé à la grille du château, Louis trouva son oncle adossé au mur. Il paressait épuisé de sa garde.
— Te voilà ! Désolé de ne pas être venu plus tôt, l’intervention a été longue !
— Viens, je dois absolument te présenter au roi et à la reine !
— Qu’est ce que tu me racontes ?
— Ben enfin, le roi d’Araucanie et sa femme…
— Mais mon p’tit Louis, le roi vivait ici au XIXe siècle. Le château n’est plus habité depuis si longtemps !
— Mais non, viens, Tonton !
Après avoir franchi la porte du château, Louis se mit à crier. Quelque chose s’était passé. Au-dessus de la descente d’escalier trônait un immense tableau entouré d’un cordon rouge interdisant tout accès. Cette peinture représentait un homme et une femme dans leurs vêtements de monarques. Bizarre, cette œuvre d’art n’était pas là tout à l’heure…
— Je ne comprends pas, Tonton… Allons les chercher dans leur petit salon !
Louis courut dans les escaliers jusqu’au couloir aux portraits puis s’arrêta devant la porte de tout à l’heure. Son oncle le rejoignit. Ensemble, ils découvrirent une pièce vide de tout meuble à l’exception d’une méridienne.
Louis semblait abattu. Son oncle mit sa main sur son épaule :
— Rentrons, nous pourrons en discuter.
Arrivé à la maison, Louis demanda à aller dans sa chambre.
— Je me demande si je n’ai pas tout imaginé !
Soudain, le jeune garçon se mit à fouiller dans son sac à dos. Sa main se referma sur la médaille.
— Ce n’était pas un rêve ! Je ne délire pas !
Il se mit à l’observer. Il vit apparaitre sous ses yeux une inscription qui n’était pas présente auparavant :
— « Vita ardentis ».
— Ҫa ressemble à du latin, « vita » veut dire vie et « ardentis »… mais que suis-je bête ! C’est le roi d’Araucanie, donc c’est de l’espagnol !
— Vie ardente…
À peine avait t’il prononcé ces mots qu’il entendit la voix d’Achille :
— Ceci mon p’tit Louis est la devise de mon peuple, elle signifie avant tout que ta vie sera ce que tu décide d’en faire. N’abandonne jamais. Si tu t’en donnes les moyens tes projets aboutiront. Moi-même, je n’ai pas pu délivrer complètement mon peuple cependant mon acharnement a fait qu’encore aujourd’hui nous existons. Le fait que tu ne m’oublieras pas, participe à la mémoire de mon peuple et cela vaut bien une médaille !
Louis réfléchit longuement à ses mots et se sentit revigoré. Il prit une feuille et un stylo posé sur son bureau et de sa plus belle écriture marqua : « Achille Ier, roi d’Araucanie, né à Reims… »