Le chemin d'une rivière de larmes

[Nero] Black Word

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Dans un appartement modeste, une famille dînait dans un salon en parlant de choses et d'autres. De tout et rien. Mais une chaise était restée vide autour de la table.

Dans sa chambre, plongée dans une obscurité seulement perturbé par les lumières extérieures, recroquevillé sur son lit, un petit garçon pleurait. Etendu dans son lit, seul avec ses pensées, ruminant ses peurs et ses malheurs, la tête enfoncée dans son oreiller.

Quatre petits coups venant de derrière la porte, ainsi que la voix de sa mère, lui annoncèrent que son dîner l'attendait de l'autre côté et que tout le monde allait se coucher. Elle ajouta qu'elle espérait qu'il allait bien.

Les heures s'écoulèrent, la nuit engloba le paysage, et le petit garçon ne cessa de pleurer. Le sommeil allait finalement l'emporter dans le monde des songes quand une larme sortie de son oreiller. Difficilement, il la vit étirer ses deux petites jambes, sauter du lit, et courir jusqu'à disparaître sous la porte de sa chambre. Le lendemain, le petit garçon crut avoir fait un rêve étrange.

Après une journée qui lui parut pénible, il alla se coucher sans prendre le temps de dîner et pleura de nouveau sur son oreiller. Mais cette fois-ci, la nuit n'était pas encore tombée que deux petites larmes s'étaient levées pour reproduire ce que leur jumelle de la veille avait fait.

Le lendemain, le petit garçon y repensa jusqu'au soir et, s'allongeant rapidement dans son lit, et attendit. Fixant son oreiller avec intensité, il en oublia de pleurer. Mais rien ne se passa. Il patienta longuement, ne quittant pas la surface de soie des yeux, et il s'endormit finalement sans s'en rendre compte.

Gardant cela pour lui, se trouvant idiot d'avoir cru qu'une chose aussi stupide était possible, il se senti mal et retourna au plus tôt sous la protection de sa couverture. Pleurant toujours sur son triste sort.

Quand il se sentit bien fatigué, il remarqua, à la lumière de son réveil qui indiquait 2 heures du matin, que quatre petites larmes se levèrent et partir sans attendre par la porte, alors que le petit garçon s'endormit.

Toujours à scruter ce phénomène le soir suivant, le petit garçon fut surpris d'en remarquer cinq partir alors qu'il n'était que 21 heures.

La nuit suivant, ce furent six larmes qui s'en allèrent, juste avant minuit.

Cela faisait à présent une semaine que cette étrange phénomène se produisait. Cette fois-ci, le petit garçon resta assis sur son lit, face à l'oreiller, les bras croisés devant lui, et attendit.

Quand il vit sept petites larmes s'échapper du coussin, il bondit de son lit pour se tenir devant la porte, espérant les retenir. Mais les petits êtres le contournèrent sans mal et passèrent sous la porte. Le petit garçon s'apprêta à les suivre avant que l'hésitation et la peur ne le forcent à retourner se coucher.

Le lendemain, il s'endormit trop tôt pour apercevoir les huit larmes s'enfuirent. Mais la nuit suivante, le petit garçon était ben décidé à les retenir. Attendant leur passage, préparant ses mains au-dessus de l'oreiller.

Elles furent neuf à se présenter et, immédiatement, il chercha à les attraper. Mais toutes glissèrent comme de l'eau entre ses doigts et s'en allèrent à leur tour.

Le petit garçon était triste d'avoir échoué, pleurant encore en se pensant faible, minable et bon à rien. Dix petites larmes répétèrent les mêmes actions que leurs prédécesseurs. Les regardant s'éloigner à la lumière de la lune, les yeux rouges à cause de ses pleurs, il s'énerva et décida de la suivre.

Se levant d'un bond sans chercher à être discret, il ouvrit la porte de sa chambre et suivit les petites larmes. Marchant dans le couloir sans les perdre de vue, passant devant les chambres de sa famille, jusqu'à la porte d'entrée de l'appartement.

Levant la main pour empoigner la poignée, il se ravisa et retourna en courant dans son lit, pleurant de plus belle.

Le soir suivant, ce furent au tour de onze petite larmes. Le petit garçon les regarda partir avant de reprendre ses sanglots, se persuadant au fond de lui que toutes partaient de sa chambre à cause de lui. Peut-être parce qu'il était moche, peut-être parce qu'il était ennuyeux, ou pour d'autres raisons.

Dans son chagrin, il prêta à peine attention aux douze petites larmes qui s'éclipsèrent de son lit comme des oiseaux s'envolant de leur cage. Et le lendemain, au crépuscule, elles furent treize successeuses.

Quand le petit garçon les regarda férocement s'éloigner sur le plancher de sa chambre et décida, cette fois-ci, de les suivre. Traversant le couloir sans faire de bruit, il osa enfin ouvrir la porte d'entrée quand celle-ci se présenta devant lui.

De l'autre côté, le petit garçon vit les petites gouttes aller dans la cage d'escalier. Il hésita un instant, mais dans son élan, il enfila ses chaussures et s'élança à leur poursuite. Dévalant les marches jusqu'à les rattraper, le petit garçon arriva sur le trottoir de la rue, découvrant une nuit sombre, froide et peu rassurante.

Transi d'inquiétude, il s'apprêta à remonter jusqu'à sa chambre à toute allure, mais son regard vit les petites consœurs d'eau s'éloigner sur le bord de la route. Finalement, sans les quitter des yeux, il les suivit.

Le petit garçon rassembla tout son courage. Il resta sourd aux bruits et surtout aux gens qui l'entouraient, ne se demandant pas si leurs rires venaient de lui, si leurs chuchotements le concernaient, s'accrochant du regard aux larmes en gardant la tête baissée.

Le temps s'écoula, les petites larmes poursuivirent leur route, et le petit garçon sentit l'étreinte de la fatigue s'emparer de lui. Se demandant où il se dirigeait ainsi, il leva les yeux sur un lever de soleil qui le surprit, avant que ce sentiment ne laisse place à un petit sourire. Les couleurs rouges et jaunes, entourées  par le ciel qui s'éclaircirait, étaient magnifique. Le petit garçon fut par la suite surpris de sourire.

Toujours en suivant les petits êtres aquatiques, il prit une grande bouffée d'air et remarqua que la journée semblait plus belle. La faim, la soif et la fatigue ne pouvant l'arrêter.

 

Le petit garçon remarqua derrière lui, un autre petit garçon aux cheveux blonds. La tête baissée, les yeux fatigués, suivant onze petites larmes. Il lui fit signe jusqu'à ce qu'il lève la tête dans sa direction et lui montra le soleil. Ses yeux s'illuminèrent à cette vue et ils se mirent à marcher avec plus d'entrain.

Sur le trottoir d'en face, le petit garçon vit une petite fille aux cheveux roux à la mine triste et derrière elle, une adolescente très maigre en train d'avaler des cachets. Il leur fit également des signes énergiques, voulant leur montrer les belles couleurs du ciel, mais aucune des deux ne prêtèrent attention à lui.

Le petit garçon prit alors une canette vide qui traînait sur le sol et la lança à leurs pieds. Toutes deux sursautèrent avant de le voir agiter les bras, semblant imiter un jongleur équilibriste en pleine chute. Mais ce fut le petit blond, venu à ses côtés, qui leur montra le soleil. Elles sourirent à leur tour.

Ils furent ainsi quatre à marcher dans la même direction, suivant avec un certain entrain le chemin des larmes vagabondes.

A un carrefour tout proche, un vieil homme vêtu d'un pull rouge regardait le petit garçon en souriant gentiment, sans pouvoir dissimuler une certaine fatigue. Arrivé à sa hauteur, le petit garçon lui demanda s'il prenait la même route qu'eux. Il lui répondit que ses larmes étaient allées trop vite pour lui, que ses jambes ne le permettaient plus de marcher à une allure suffisante.

Voyant que le vieil homme se faisait déjà distancer par leur célérité, le petit garçon entreprit d'attraper ses propres larmes dans ses mains, non sans difficulté.

Les petits sosies d'eau ne cessaient de sauter hors de ses paumes, déterminés à avancer sans plus de patience, ce qui poussa le petit garçon à faire des gestes maladroits pour les garder. Mais il vit que le petit blond et la petite rousse tentaient d'en faire de même avec leurs larmes. Quant à l'adolescente, elle s'éloignait déjà à l'horizon.

Leurs efforts permirent au vieil homme de les suivre sur un long trajet, même si ce dernier demanda aux trois enfants de ne pas se donner tant de peine pour lui, mais malgré toute leur bonne volonté les larmes finirent par leur échapper.

Les trois enfants soupirèrent de déception alors que le vieil homme s'excusait de les avoir fait ainsi attendre, au point d'en perdre leurs petits guides aquatiques. Marchant ensemble dans la dernière direction empruntée par les larmes, espérant avoir un indice concernant la route à suivre et guettant tout signe pouvant les aider en ce sens.

Après une bonne heure à voguer dans l'océan du hasard, le vieil homme acheta quatre croissants et les apporta aux enfants affamés. Ensemble ils s'assirent dans un parc le temps de prendre ce petit petit-déjeuner. Ils purent observer les gens qui commençaient à fourmiller dans les rues.

Peu se parlèrent entre eux, la plupart se rendaient au travail ou à l'école. Mais rien ne vint brusquer le calme du matin, mis à part des hurlements de klaxon de conducteurs emportés par la colère.

Commençant à retourner sur leurs pas, le quatuor croisa par hasard une femme d'une quarantaine d'années habillée d'un T-shirt sur le quel était écrit "Skynet" en gris métallique. Ce qui attira leur attention, était qu'elle suivait dix-sept petites larmes, mais personne autour d'elle ne le remarquait.

Immédiatement ils l'abordèrent, la suppliant de les laisser suivre les larmes à ses côtés, en les ralentissant pour permettre au vieil homme de les accompagner, bien que ce dernier insista pour qu'ils ne l'attendent pas, il ne fut pas écouté. La dame fut surprise, mais accepta en souriant.

Les trois se démenèrent dans leurs actions, pendant que le vieil homme fut aidé dans sa progression par la dame au T-shirt.

Au bout de plusieurs minutes, ils sortirent de la ville et furent rejoint par une jeune fille à la peau noire coiffée d'une natte. Puis par un homme aux long cheveux bruns, un adolescent enrobé et bien d'autres encore.

De plus en plus nombreuses, les larmes devinrent un petit ruisseau d'eau.

Dans ce rassemblement, le petit garçon se mit à demander aux autres si ils avaient vu le magnifique lever de soleil aujourd'hui. Certains répondirent que non, mais les plus souriants dirent oui.

L'eau, venant de nombreuses sources, traça son chemin le long d'une route avant de bifurquer par un autre chemin. Le petit garçon porta son regard aux paysages qui entouraient son groupe de marcheurs et se demanda pourquoi tout lui semblait plus beau aujourd'hui, sans vraiment chercher de réponse. Simplement en en profitant.

Sur le chemin, ils retrouvèrent l'adolescente qui les avait abandonnés derrière elle plus tôt dans la journée. Assise sur un rocher, une main sur son visage, l'autre tenant une tablette de cachets entamée. Le petit garçon vint à sa rencontre et lui demanda pourquoi elle était partie.

L'adolescente mit une dizaine de secondes avant de lever les yeux en larmes sur lui. Pour toute réponse, elle lui dit qu'elle ne savait pas. Qu'elle n'avait aucune raison de continuer, ou de partir, donnant ainsi l'impression d'être perdue en elle-même.

Le petit garçon se rapprocha et la serra dans ses bras, à la grande surprise de l'adolescente. Il lui prit ensuite la main, l'invitant à les suivre jusqu'au bout du chemin. Avec un petit sourire, elle se releva. Tout deux rattrapèrent le groupe qui avait prit une légère avance pendant leur discussion.

Le petit ruisseau gagnait en ampleur au fur et à mesure où le groupe s'agrandissait.

Le petit garçon s'était retrouvé avec une centaine de personnes, et dans ce rassemblement, les conversations s'engagèrent. Principalement sur les raisons de chacun d'avoir pleuré assez pour faire grandir le ruisseau.

Certains disaient que la vie était trop dur pour eux, qu'ils n'étaient pas heureux dans leur travail et que personne ne les comprenait. Ils n'arrivaient pas à réaliser leurs rêves et avaient l'impression d'avoir perdu leurs vies.

D'autres étaient tristes à cause de la perte d'un proche malheureusement mort ou qui les avaient quittés, parfois sans même donner de raison ou de signe avant-coureur.

L'adolescente donna pour raison qu'elle se sentait mal dans sa peau, qu'elle était moche et que tout le monde se moquait d'elle dans son dos. Le petit garçon aux cheveux blonds déclara que son père avait quitté la famille avant sa naissance et que les autres enfants se moquaient de lui pour cette raison. La femme au T-shirt "Skynet" avoua que son petit copain la maltraitait et qu'elle n'arrivait pas à se débarrasser de lui. Le vieil homme avoua avoir perdu sa femme un mois auparavant et que son absence l'attristait chaque jour. Quant à la petite fille aux cheveux roux, elle dit que ses parents passaient leur temps à se disputer, criant matin et soir comme des bêtes au point que leurs mots devenaient incompréhensibles.

En repensant à leurs malheurs, ils devinrent plus moroses, plus abattus. Mais l'adolescente pausa sa main sur l'épaule du vieil homme et lui sourit. Il se mit à sourire à son tour, venant ainsi de se rappeler que le bonheur n'avait pas disparu de ce monde.

En voyant cela, le petit garçon fit de même avec la femme au T-shirt et le petit blond. Il leur sourit, les encouragent à faire de même, et telle une épidémie, tous se partagèrent cette bonne humeur et ce plaisir de passer une belle journée.

Mais malgré cela, le petit garçon remarqua que quelques personnes avaient rebroussés chemin, les regardant s'éloigner au loin par la route qu'ils avaient empruntée. Quand il leur demanda la raison de cet abandon, le peu qui lui répondirent s'étaient convaincus que suivre ce ruisseau de larmes ne rimait à rien et qu'il valait mieux rentrer sans perdre plus de temps.

Le petit garçon les encouragea à ne pas perdre espoir, qu'entreprendre cette quête à l'allure insensée leur avait permis de bien commencer la journée et d'être heureux, mais la plupart n'écoutèrent pas ses paroles. Il fut triste pour eux et espéra que la prochaine fois ils suivraient le trajet jusqu'à la fin.

La journée continua, les heures s'écoulèrent sous le passage du soleil, et le groupe, qui n'avait cessé de grandir, commençait à fatiguer.

Une bonne partie d'entre eux voulait se reposer et la plupart commençait à avoir faim. Au milieu de la campagne ils purent s'assoir dans un champ, mais ils ne trouvèrent rien à manger. Durant ce moment de repos, le petit garçon vit que le ruisseau avait encore grandit, devenant une rivière.

Le petit blond, qui lui n'avait pas stoppé sa marche, était revenu avec 6 pommes entre les bras. Elles provenaient de pommiers sauvages à moins d'un kilomètre. Tous se levèrent, encouragés par la faim qui se faisait plaintive, et découvrirent les fameux pommiers.

Le repas en pleine nature fut animé par cette joie que chacun avait en assouvissant leur appétit, mais aussi par la chance qu'ils avaient eux de découvrir ses arbres fruitiers.

Ils reprirent la route tous ensemble, s'encourageant les uns les autres quand l'envie de partir se faisait ressentir, et le soir s'approcha rapidement. C'est à ce moment-là que le chemin de la rivière arriva à son terme en se jetant dans la mer.

Le groupe bien nombreux s'arrêta sur une plage déserte, arrivé au bout de son périple, et tous purent admirer la beauté du coucher du soleil, disparaissant à l'horizon au-dessus de l'eau.

Le petit garçon repensa à la journée qu'il venait de vivre, aux personnes qu'il venait de rencontrer. Chacun, tout comme lui, avaient été tristes avant d'entreprendre cette étrange épopée, et maintenant ils étaient réunis ici pour admirer le paysage après avoir passé la journée à se partager de la joie. Il sourit encore en y repensant, alors que la nuit s'installait doucement sur le monde.

Enfin, vint le moment où ils durent rentrer cher eux. Tous reprirent la route au creux de la nuit.

Le petit garçon, se dit que la fatigue avait du lui faire oublier le trajet du retour car il s'était réveillé dans son lit. Mais il se sentait toujours heureux d'avoir vécu une si belle aventure. Quand il entra dans le salon, sa famille fut surprise de le voir ainsi souriant après tout ce temps à être triste, mais ils étaient également heureux à leur tour.

Le petit garçon décida qu'aujourd'hui serait une belle journée, que les autres le seraient aussi, prenant plaisir à être heureux et à partager ce sentiment.

 

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