Le clown
coquelicot
Le souffle léger du vent murmure un secret au cœur de la nuit silencieuse. Une mélodie court parmi les myriades d'étoiles, elle s'insinue, glisse, virevolte tel un serpent fabuleux. Sa gaieté envoûte, attire, entraîne les pas, l'esprit vers cette lumière qui perce les ténèbres. Un îlot de fête, de couleurs, de vie au milieu de nulle part. La foule joyeuse s'engouffre par la bouche béante du chapiteau. Le cirque offre son spectacle !
Tournent les animaux, tourbillonnent les robes scintillantes, s'envolent les colombes et les trapézistes. La magie bat son plein au rythme des cœurs à l'unisson. Le manège en folie entraîne tout le monde dans sa ronde enivrante. Les clowns éveillent les enfants, ouvrent les flots de rires qui déferlent le long des tribunes, coulent sur la piste et jaillissent vers la lune si pâle.
Un seul être ne semble pas participer. Comme un vagabond perdu qui observe par la fenêtre d'une auberge la fête qui s'y déroule, il suit de ses grands yeux tristes le spectacle. Pourtant son visage est souriant, ses habits aux couleurs vives attirent les regards, mais derrière son masque de clown son âme pleure, son cœur se meurt.
La fête touche à sa fin. La foule, des étoiles dans les yeux, écrase des larmes de joie, le clown les yeux brûlants, laisse les larmes de douleur s'enfuir. La vie s'éloigne, les lumières s'éteignent, il s'enfonce, seul, dans la nuit face à l'astre lunaire. Le pas lourd, les épaules basses il s'assoie sur un vieux tronc paisiblement allongé sur un tapis d'herbe humide. La tête rabattue sur son cœur blessé il laisse aller son chagrin. Les étoiles palpitent faiblement, attentives à son souffle vaporeux. Le vent froid le fait à peine frissonner. Il pense à son amie disparue. Si frêle et si belle. Il ouvre alors une petite boîte à musique, et subjugué par les notes métalliques, il lève son visage blanc vers celui des rêves. Au fil de la mélodie cristalline qui s'élève doucement comme une fumée d'encens vers les cieux, ses traits fatigués se détendent. Il la revoit encore tout de blanc vêtue, voler au-dessus de la piste. Si légère, si fine colombe, aux yeux doux, au sourire merveilleux. Lui, le vieux clown, elle la petite trapéziste, avaient lié amitié, donnant ainsi un peu de chaleur à leur vie solitaire.
Une larme glissa le long de sa vieille joue, se fraya un chemin sur ses rides,s'arrêta hésitante au bord de son menton tremblant, et scintillante s'écrasa sur la petite boîte. Dans les brumes du souvenir son amie se tourna vers lui, offrant son plus beau sourire. Elle lui donna son objet fétiche qu'elle tenait de sa mère défunte. Comme elle lui avait semblé bien petite cette boîte au creux de sa grande main fripée ! Elle ria un peu devant son regard humide d'émotion et lui déposa un baisé sur le front. S'il avait su il l'aurait retenue ce jour là. Un frisson le saisit dès les premières notes du piano, pourtant chaudes et rassurantes. Il leva les yeux sur elle si haut, haut qu'elle ressemblait à une colombe posée sur un mât. Sa petite main lui fit un signe d'au revoir, présage funeste. Elle se redressa belle comme un cygne et se lança dans le vide. Un, deux, trois tours de voltige. Plume légère et gracieuse s'envolant vers son destin. Savait-elle ? Une, deux, trois prouesses, l'élan trop court empêcha la petite main tendue d'attraper la corde salvatrice.
Son être trembla entièrement à la mémoire du bruit sourd, horrible... Figé, il n'osait croire à la cruelle réalité. L'oiseau blanc et plein de vie gisait, pauvre petit être endolori, recroquevillé, inerte. Il fut surpris de trouver sur son visage un sourire flottant sur ses lèvres, seul un froncement d'étonnement ou de résignation plissait ses fins sourcils. Il serait resté là, la serrant dans ses bras des heures durant, jusqu'à ce que le chagrin eut raison de son vieux cœur fatigué. Mais la mort, encore une fois l'oublia. Le regard vide, le corps mort, il se résigna à continuer le spectacle, à masquer sa douleur derrière le sourire peint béat et rouge, et les couleurs vives de son costume. Cela faisait un an jour pour jour, il savait qu'à présent il n'irait pas plus loin. Son énergie s'était envolée avec elle. Ce soir il attendait la délivrance, le regard tourné vers la lune. Il rêva de son amie venue le chercher. Toujours aussi belle dans son sourire, blanche et vaporeuse, elle le serra dans ses bras comme il l'avait fait auparavant. Il s'envola avec elle, le cœur plein de joie, l'âme en paix, vers les étoiles bleues. La petite musique ralentit sa course, puis s'arrêta haletante, hésitante sur la dernière note. L'aurore frileuse éclaira d'une pâle lueur la plaine, le soleil caressa le vieux corps endormi. Une perle scintillait encore au coin de l'œil, son visage était détendu et un sourire éclairait son maquillage. Il riait même avec son amie.