Le Cogneur

My Martin

Ruines

Bruits de guerre

André Breton conseille à Picasso (58 ans) d'envoyer en vacances, Maya -4 ans, née en septembre 1935- et sa mère Marie-Thérèse Walter (30 ans), en Charente-Maritime



Picasso : l'épanouissement des bébés passe par des séjours en Bretagne

les jeunes enfants, côte Atlantique

les préadolescents, côte Basque

Picasso veut le meilleur climat pour Maya. Royan est prisé par les Parisiens et en zone sûre



10 juillet 1939. Voyage dans l'Hispano-Suiza, installation dans la villa « Gerbier De Jonc », louée par Picasso

Maya joue sur le sable, monte sur un âne, assiste à un spectacle en plein air …

1940. Maya à vélo. Sa roue se coince dans les rails du tramway, chute. Picasso et ses amis rient. Maya en larmes



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Installé en France depuis 1904, Picasso est marqué par le bombardement de Guernica, le 26 avril 1937, lors de la Guerre d'Espagne



1er septembre 1939, à minuit. 7 rue des Grands Augustins, Paris (6e)

Ancien local occupé par Jean-Louis Barrault, entre 1934 et 1936, le « Grenier à Barrault ». Là Jean-Louis Barrault a créé sa première compagnie de théâtre et accueilli les réunions du mouvement antifasciste Contre-Attaque, fondé par Georges Bataille

Amie de Bataille, Dora Maar a signalé à son amant Picasso, l'appartement libre



Picasso quitte Paris dans son Hispano-Suiza type H6B, conduite par Marcel Boudin (chauffeur de 1931 à 1951). Il emmène avec lui Dora Maar (39 ans), une photographe qu'il a rencontrée sur un plateau de cinéma en 1935, avec son lévrier afghan Kasbek

son secrétaire Jaime Sabartés (58 ans) -poète catalan- et sa compagne, amie d'enfance, Mercedes Iglesias

Au lever du jour, il atteint Saintes. Le 2 septembre 1939 à sept heures du matin, Royan. Océan argenté sous le soleil. Calme, bonheur, sécurité



3 septembre 1939. Agression de la Pologne, la Grande-Bretagne puis la France déclarent la guerre à l'Allemagne



Affiches. Depuis le 25 août 1939, la ville est interdite aux étrangers. Picasso repart à Paris pour obtenir les autorisations nécessaires. Par un ami, directeur-adjoint de la Sûreté Nationale



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Picasso dispose de deux lieux de vie et d'un atelier

Chaque soir, il loge au premier étage de la Villa Gerbier de Jonc, avec Marie-Thérèse et Maya. La villa se situe à l'angle des boulevards Albert Ier et Franck Lamy, non loin des abattoirs (quartier saint-Pierre)

Premier espace de travail, rez-de-chaussée, fenêtre à droite



Il loue une chambre à l'Hôtel du Tigre (hommage à Clemenceau) -"de le Tigre", dit Picasso. Pour Dora Maar

Maya. "Dora Maar est recluse dans la gueule du Tigre"

Chambre sombre, à cause du feuillage des arbres devant les fenêtres. N° 14, Boulevard Clemenceau



Janvier-août 1940. Il contacte une agence immobilière et prend à bail un atelier indépendant dans la villa Les Voiliers, annexe mitoyenne d'un ancien hôtel. Andrée Rolland, La propriétaire, a spécifié ne pas vouloir un locataire d'origine étrangère mais lorsque Picasso se présente -elle l'admire-, elle accepte

Atelier lumineux au dernier étage, 46 Boulevard Thiers, juste au-dessus du port



Il achète toutes les toiles disponibles

A l'hôtel des ventes "le cimetière des souvenirs domestiques", il acquiert un fauteuil qu'il représente sur ses toiles. Un minuscule chevalet, inutilisable. En appui, il se sert du dossier d'une chaise, il travaille accroupi. A la mi-mars 1940, il ramène de Paris, un vrai chevalet



Picasso s'adapte mal à la lumière éclatante de l'atelier des Voiliers. Il contemple le soleil couchant sur les palaces et les hôtels de la Grande Conche, les allées et venues du bac, le phare

Pendant son séjour d'un an à Royan, entrecoupé de plusieurs allers-retours à Paris au printemps 1940, Picasso réalise huit cahiers de dessins. Édité en 1948, le « Carnet de Royan ». Œuvres faites à Royan du 30 mai au 22 août 1940. La fin du carnet est composée d'études crées à Paris et datées du 19 février 1942

Au printemps 1940, lors d'un voyage de deux mois à Paris : « je m'emmerde loin de Royan ». Il peint Les Soles. Les Anguilles de mer. L'Araignée de mer



3 avril 1940. Picasso dépose une demande officielle de naturalisation française. Il fournit les documents et témoignages nécessaires. Le 25 mai 1940, un refus lui est notifié. A la suite d'un rapport des Renseignements Généraux (surveillance depuis son arrivée en France en 1904, relations avec anarchistes espagnols, affaire du vol des statuettes ibériques du Louvre en 1911 Picasso / Apollinaire / Géry Pieret, secrétaire d'Apollinaire)



17 mai 1940. Retour à Royan. L'exode, la débâcle

La beauté, dit-il à Sabartés ? Avenue des Tilleuls, une pauvre femme en loques. Près de l'avenue Albert Ier, l'enseigne d'un plombier, en métal gris bleuté, brouillée par le temps, la pluie, la poussière

Près de l'hôtel du Tigre, les abattoirs lui inspirent des têtes de moutons écorchées, qu'il achète pour nourrir Kasbek

Nature morte au crâne de mouton - Royan, 6 octobre 1939

Trois crânes de mouton - Royan, 17 octobre 1939. Rouge vif sang, les crânes entassés en charnier

Des chevaux réquisitionnés par l'armée allemande, conduits à l'abattoir

8 janvier 1940. Un éboueur vide les ordures urbaines dans une charrette (gouache)

Portraits de Maya. Marie-Thérèse

1939. Portrait de Sabartés, en costume de Grand d'Espagne du XVI° siècle. Collerette et chapeau à plume, visage déformé, nez d'un côté, lunettes de l'autre



31 décembre 1939. Dora Maar, portrait en pied, explosion, stries

Juin 1940. "Femme nue se peignant". Terrifiant. La tête déstructurée de Dora Maar. Ou "baigneuse assise au bord de la mer", dans une cellule sombre. Dans l'atelier des Voiliers, Dora photographie Picasso devant le tableau

Picasso frappe Dora. Au sol, inconsciente



Une année, septembre 1939 – août 1940. 752 œuvres : croquis, dessins, encres, gouaches, huiles



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Les Voiliers. L'atelier offre une vue sur le port. Premier plan, le Café des Bains. Devanture arrondie, balustrade en fer forgé, hautes fenêtres, stores à rayures, enseigne en lettres bâton

Promenade avec Maya, sa princesse. Chocolats chauds



15 août 1940. Journée sinistre. La nuit précédente, une sentinelle allemande est tuée à l'Hôtel du Golf. Propagande, dénonciations. Des otages du conseil municipal sont arrêtés

Picasso peint Le Café des Bains. La nuit, pour occulter les lumières, selon les instructions de la défense passive, les fenêtres sont passées au bleu. Le port et son phare. Le square Augustin Botton et la plage. Personne dehors. Promenades désertes



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Picasso apprécie la ville-plage pour les vacances, l'insouciance, le bonheur. Loin de la guerre. Villas Belle Époque, Modern Style, byzantines, néo-médiévales. L'ombre des pins, la pinède le long de la Grande Conche. Les propriétaires des villas sont absents. Massifs d'hortensias

La gare routière. Poussière, broussailles. Les étals du marché. Picasso contemple les traces laissées par les marchands, après leur départ. Une boutique de brocanteur -"l'exposition"-, dans une ruelle près du marché

Il achète

des sièges qui lui servent de palettes

des nécessaires de couture pour ses couleurs

des pots pour ses pinceaux

un plateau de porcelaine pour la gouache et l'aquarelle

Le matin, Picasso déambule en sandales sur les promenades, avec son ami Sabartés. Du boulevard Albert Ier, jusqu'au port. Il écoute le communiqué militaire diffusé par le haut-parleur de la radio du Café Régent. Il boit de l'eau d'Evian

il n'aime pas devant le port, le monument à Eugène Pelletan (homme politique, ancien maire). De dos, à distance, douteux, semble statufié urinant. Picasso s'habitue, le monument fait partie du décor



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Deux maîtresses

Marie-Thérèse, la blonde aux yeux bleus. Humiliations, troubles jeux

Dora, la brune

Dora Maar, l'égérie des Surréalistes, fréquente Jacqueline Lamba, la femme d'André Breton, réfugiée à Royan. Jacqueline ressemble à Marie-Thérèse, elle a une fille du même âge que Maya, Aube -née en décembre 1935

Dora et Marie-Thérèse apprennent leur mutuelle présence à Royan. Sabartés se tait. Picasso attise la rivalité entre les deux femmes



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Armistice du 22 juin 1940. Domination nazie

23 juin 1940. Sous les fenêtres de Picasso défilent les soldats de la 44ème division de la Wehrmacht. Les officiers occupent l'Hôtel de Paris, juste à côté des Voiliers

L'occupant établit son administration dans la commune. Lois xénophobes contre les étrangers indésirables



15 août 1940. Une balle traverse l'appartement du deuxième étage des Voiliers, sous la chambre de Picasso. L'incident attire l'attention des autorités sur l'artiste étranger



Lors de la récente guerre d'Espagne, le peintre espagnol a soutenu le camp républicain contre Franco et ses alliés nazis. Il a dénoncé la barbarie perpétrée à Guernica

Lundi 26 avril 1937. Bombardement de Guernica, attaque aérienne réalisée en territoire républicain. Sur la ville basque espagnole de Guernica, par 44 avions de la Légion Condor allemande nazie et 13 avions de l'Aviation Légionnaire italienne fasciste. En appui du coup d'État nationaliste du général Franco, contre le gouvernement de la Seconde République espagnole

26 avril 1937–juin 1937. Tableau "Guernica", conservé aux États-Unis pendant la dictature franquiste. Dora Maar photographie Picasso au travail



Suspicion des édiles xénophobes de la mairie. Ils n'admirent pas l'artiste anarchiste, décadent, scandaleux. Un génie de la peinture ? Un fumiste

23 août 1940. Dans la rue, un officier allemand interpelle Picasso, pour lui demander quelle est la race de Kazbek

Picasso est superstitieux. 24 août 1940. Il démonte ses chevalets et vide l'atelier des Voiliers

25 Août 1940. Picasso quitte Royan. Retour à Paris, au Grenier -7, rue des Grands Augustins



1942. Picasso résilie le bail des Voiliers



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Septembre 1944. Les Allemands s'enferment dans la Poche de Royan. La ville et ses environs sont occupés par l'ennemi, comme La Rochelle et la Pointe de Grave. Les alliés préparent l'attaque de ces réduits allemands et demandent des opérations de soutien aérien

4 janvier 1945. L'état-major britannique du Bomber Command décide d'envoyer les bombardiers sur Royan, cible non prioritaire. "Détruire une ville solidement défendue par l'ennemi et occupée par des troupes allemandes seulement"

Nuit du 4 au 5 janvier 1945. Une escadre aérienne alliée (Anglais et Canadiens de la Royal Air Force) de 347 bombardiers de type Lancaster largue sur la ville de Royan, éclairée au moyen de fusées,

1 600 tonnes de bombes ordinaires, dont 285 énormes bombes de 2 tonnes et 14 tonnes de bombes incendiaires. Deux vagues. En moins d'une heure, le souffle anéantit le cœur de ville. L'ennemi ne compte que 47 victimes. Aucun ouvrage militaire allemand n'est atteint

« Hormis quelques pans de mur, il ne reste de la ville qu'un tas de pierres recouvert de neige »



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