Le collège d'Aracinda
vasa
Ce collège autrefois devait être joli. Mais maintenant il est vieux et délabré. Il projette sur la forêt une ombre lugubre. Pourtant, quand on se rapproche, la végétation qui l'a envahi lui donne un air raffiné. Des fleurs fauves et violettes poussent dans ce qui devait être la cours. D'autres, mauves, bleues ou rouges font comme un arc-en-ciel qui sort par les fenêtres sans vitres. Du lierre tapisse la façade. Au rez-de-chaussée, quelques arbustes solitaires semblent aider les vieux murs à tenir debout. C'est une véritable cité pour les oiseaux, les souris et les insectes. Ces petites bêtes se partagent une merveille naturelle, nichée au coeur de la forêt d'Aracinda. Un lieu insoupçonnable, perdu dans un immense paradis végétal de plus de cinquante-deux kilomètres carrés. Avec mes parents nous avons l'habitude d'y pique-niquer dès les beaux jours.
C'était un beau week-end de mai, ensoleillé. Maman avait soigneusement préparé le panier. Elle y avait mis la nappe à carreaux rouges et blancs, celle qui a une grosse tache au milieu parce que j'avais renversé la thermos de café, la dernière fois. Dans un grand saladier nous avions fait une salade composée. J'avais coupé les tomates et le concombre et maman cuit les oeufs durs. On avait rajouté du riz et du thon. Elle avait l'air délicieux. Pour le dessert, on était sensés partir à la chasse aux fraises des bois, que la forêt et le printemps nous offraient.
J'étais enchantée de venir avec papa et maman. Pendant qu'ils installaient la nappe, je me suis un peu éloignée. Quand je suis revenue, ils avaient mystérieusement disparus.
Ils s'étaient volatilisés. Comme ça ! Croyant à une blague je les ai cherchés derrière chaque arbre, derrière chaque rocher à ma portée. Je les ai appelés : « papa, maman, c'est pas drôle ! » Aucune réponse, à part le pépiement d'un oiseau. Seule, perdue, j'ai eu envie de pleurer. Mais je ne pouvais pas rester là, comme ça, au milieu des bois. J'ai déambulé quelques temps, puis j'ai vu un arbre au tronc biscornu. Ses branches crochues étaient toutes sèches. Il avait l'air mort, mais pourtant il dégageait un certain charme. En m'approchant, je vis une petite étoile gravée sur son tronc. Par curiosité, je l'ai effleurée du bout du doigt. Je me suis, comme par magie, sentie hâlée par un tourbillon étoilé et je me suis retrouvée ici dans cet ancien collège, plongée dans la nuit. Je n'ai que huit ans mais je sais que je ne pourrais survivre longtemps dans ce milieu hostile. J'ai besoin d'eau et de nourriture, mais il n'y en n'a pas. Je consulte ma montre : vingt-trois heures quarante cinq. Je m'assois sur un rocher plat ; puis je regarde l'heure défiler. Vingt-trois heures cinquante. Vingt-trois heures cinquante cinq. Minuit. A minuit et demi, je m'assoupie. La faim me réveille au petit matin. Je décide enfin de me lever dans l'espoir fou de trouver de quoi boire et manger. Je pénètre dans le bâtiment en quête d'une source abandonnée. Je pense apercevoir un tableau d'école parmi le lierre et les ronces. Je m'avance, je slalome entre les buissons, les bureaux et les pierres tombées du ciel pour le voir de plus près.
Peut-être y lirais-je un message qui m'aidera, quelques mots tracés à la craie par une main secourable. Je suis déçue, il est banal et vierge. Je passe à la pièce suivante.
Même tableau. En rebroussant chemin, un éclat lumineux retient mon attention. On devine un petit canif qui luit au soleil. Enchevêtré dans une masse impressionnante de lierre, je livre un combat sans pitié pour l'atteindre. Hourra ! Je l'ai enfin. Je l'examine un moment et le mets dans ma poche.
Au bout d'un moment, je fini par trouver une flaque d'eau. Il faudra m'en contenter.
Je bois dans mes mains cet élixir de vie, bien qu'il ait une couleur brunâtre. Je continue ma visite, quand je remarque une étoile gravée sur un mur délavé. C'est la même inscription que celle qui m'a amené ici. Peut-être que, si je la touche, je retrouverai Papa et Maman… Je pèse le pour et le contre. Finalement, je n'ai rien à perdre, je prends une grande inspiration, ferme les yeux et touche la seule chose qui pourrait me rendre mes parents. Mes yeux s'ouvrent et je me retrouve… Au même endroit. Après avoir visité les moindres recoins, j'ai toujours aussi faim. Je sors du collège espérant trouver, dans la forêt, de quoi l'apaiser. Deux points rouges brillent dans l'ombre d'un buisson. On dirait les deux rubis qui scintillent sur le diadème de mon déguisement de princesse. Je me rapproche, hypnotisée.
Un loup ! Il se jette sur moi.
« Coupez ! Super Sandra, on va faire venir ta doublure, tu te débrouilles à merveille. »
Heureuse, je quitte mon costume et je redeviens moi-même. Mes deux grandes soeurs, Léa et Amandine, ma mère et mon petit frère Quentin m'attendent à la sortie des studios. Je pense que je ne m'habituerais jamais à l'absence de la personne la plus chère à mon coeur, mon père, mort il y a maintenant presque deux ans. Bien que mes deux grandes soeurs nous parlent souvent de lui, à Quentin et à moi, mes souvenirs sont flous.
On rentre à la maison. Mes soeurs se réjouissent pour moi. Je me rappelle de la dame qui m'a demandé à la sortie de l'école si je voulais faire du cinéma. Ma mère avait donné son accord sans se faire prier. Quentin était un peu jaloux au début, mais il a fini par s'y habituer. Je nous vois déjà, tous les cinq, au cinéma, le soir de la première, assis les uns à côtés des autres, à me regarder sur grand écran. En attendant ce grand moment, je leur lis le scénario pour la dixième fois, pour me remémorer les scènes.
Finalement l'héroïne se fabrique une cabane en bois, se débrouille très bien dans cette nature sauvage.
Ça y est mon aventure du cinéma est terminée. C'est fini ! Nous avons tourné la dernière scène hier. J'ai hâte maintenant de retourner à l'école !
Papa, c'est à toi que je dédicace ce film et si, de là où tu es, tu peux me voir, j'espère que tu seras fier de moi. Je t'ai réservé une place, dans mon coeur, le soir de la première. Je sais que tu y seras.