Le contrôleur

Eléonore Gros

Je suis contrôleur dans un bus parisien. Voilà mon métier, ma vie. Parlons-en de ma vie ! Elle est triste et sans grands intérêts. Tout est gris dans ma vie. Rien n’est drôle, rien n’est joyeux. Je regarde à longueur de journée les gens qui eux, sont heureux. Je m’ennuie dans ma vie, je m’ennuie dans mon travail. Je vous le dis, tout est morose, tout est terne. Les gens qui rentrent dans le bus eux, sont joyeux. Ils rient et parlent. Moi je ne parle et ne ris jamais. J’envie ces gens. Parfois je pose mes yeux sur une personne et je m’imagine à sa place. Un matin je suis cette vieille dame au chapeau démodé, un midi je suis ce jeune homme pressé, un après midi je suis cette petite fille aux doigts potelés, une soirée je suis cette femme aux chaussures rouges.

Je vois toujours les mêmes personnes et elles ne font jamais attention à moi. Personne ne me dit bonjour. Ni au revoir d’ailleurs. De toute façon je n’aime pas les gens. Quel paradoxe allez-vous me dire. Ce à quoi je vous réponds que je n’ai pas le choix. C’est depuis la fin du vingtième siècle que cela est comme cela. Pour mes frères et mes sœurs, idem. Nous n’avons pas le choix. Point. Alors voilà, je côtoie des gens tout les jours, bien que je ne les aime pas beaucoup.

Pour dire vrai, je les jalouse. Pourquoi suis-je sur terre sans les mêmes chances qu’eux ? Pourquoi suis-je moins beau ? Pourquoi suis-je moins intéressent ? Pourquoi ? J’ai comme l’impression que je ne suis qu’un contrôleur. Que je ne sais faire que cela. Je ne sais que dire « oui, votre entrée dans le bus est acceptée », « non, vous ne pouvez pas monter, votre titre de transport est périmé » Si je n’aime pas les gens c’est uniquement parce qu’ils m’ignorent, je leur en veux terriblement. En prime, lorsque je leur refuse l’accès au bus, ils s’énervent sur moi, me crient des injures. Cela me rend triste. Puis, la tristesse laisse place à la colère. Je ne les aime pas. Ils sont tous pareil ! Lunatique d’un jour à l’autre. Mal poli. Mais voilà, moi aussi j’aimerais être mal poli, être exécrable quand je le veux. Et au lieu de cela, je dis d’un ton monotone, et cela même aux gens qui m’importunent, « oui, votre entrée dans le bus est acceptée », « Non, vous ne pouvez pas monter, votre titre de transport est périmé » Je me laisse marcher sur les pieds. Je fais profil bas alors qu’à l’intérieure de moi, le volcan est en éruption. Aussi peu de gratitude !

Je me demande si mes frères et sœurs acceptent ce genre de choses eux aussi, je me demande si ils souffrent, tout comme moi. Il faut dire que depuis mon « enfance » je ne les ai pas revus. Oh, ils ne me manquent pas vraiment, non. De toute façon, je n’ai pas de souvenirs propres à mon « enfance ». Je n’ai même aucuns souvenirs. Si, j’ai un souvenir ! La fumée. La fumée qui sort encore chaude des machines de l’usine. Mais de quelle usine suis-je entrain de parler allez-vous me demander. Je vous réponds alors, l’usine où je suis né. Je m’appel Valibus. Je suis un contrôleur automatique très performant du vingt et unième siècle. Je capte le son. Je capte aussi l’image grâce à une rotation de 380°. Je peux émettre une alerte aux secours en cas de problème majeur. Je suis performant vous dis-je ! Performant pour les autres qui n’en sont pas reconnaissants.  

  • Il est vrai que le pauvre Winston Smith est pris dans l'engrenage du contrôle de la pensé et c'est bien triste, parce que la société décrite dans le roman de Mr. Orwell, n'est pas si éloignée de la notre. Différente, mais sur certains points similaire.

    · Il y a presque 14 ans ·
    Dsc00034 orig

    Eléonore Gros

  • Zut j'ai oublié de finir ma phrase "hypertechnologie qui contrôle tout" comme big brother dans 1984 de George Orwell.
    Et oui c'est comme la pollution, triste monde ...

    · Il y a presque 14 ans ·
    Camus orig

    laltiste

  • Merci :)
    Oui, je pense comme toi... Nous sommmes presque nés avec des ordinateurs dans les mains. Et nos enfants boufferont de l'informatique.

    · Il y a presque 14 ans ·
    Dsc00034 orig

    Eléonore Gros

  • J'adore la chute ! Ta personnification est géniale. L'hypertechnologie, ça me fait penser à une société futuriste.

    · Il y a presque 14 ans ·
    Camus orig

    laltiste

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