Le coquillage ensorcelé

Fée Des Mots

Océane courait sur le sable. Le soleil se levait, le matin était frais mais la journée promettait d'être   ensoleillée. La jeune femme venait d'obtenir les résultats de ses examens en école d'infirmière : elle était admise en troisième année. Afin de se reposer quelques jours avant de commencer quelques stages en clinique pendant la période estivale, elle avait investi l'appartement de sa grand-­mère, situé en bord de mer, sur la Côte d'Opale.
         La jeune fille avait pris l'habitude de courir chaque matin pour maintenir sa forme mais aussi parce qu'elle considérait cet effort physique comme un excellent remède contre le stress qu'elle avait accumulé au cours de ces derniers mois. Seule sur la plage, Océane sentait avec plaisir ses pieds s'enfoncer dans le sable. Elle avait noué sa longue chevelure auburn en une natte se balançant dans son dos au rythme de ses foulées. Ses yeux émeraude perçaient la brume matinale comme pour lui
montrer le chemin.
         Tandis qu'elle courait la jeune femme ne pensait à rien, ou plutôt, focalisait ses pensées sur sa respiration régulière. Alors qu'elle était sur le point de faire demi­tour et reprendre sa course, Océane trébucha sur un objet dur qu'elle n'avait pas remarqué, enfoui dans le sable. Elle s'arrêta un instant pour masser sa cheville endolorie et s'accroupit pour chercher ce qui avait pu la ralentir. C'est alors  qu'elle découvrit un énorme coquillage rond et dur. La jeune femme ramassa l'objet et le tourna en tout sens. Jamais elle n'avait vu un tel coquillage. Instinctivement elle le porta à son
oreille. Des sensations étranges l'envahirent. Elle entendait le ressac de la mer, le bruit des vagues éclatantes de lumière se jetant sur le sable en un millier d'étincelles sublimes. Océane ferma les yeux, s'abandonnant à ses sens en éveil, et comme   prise d'une soudaine nostalgie, elle laissa vagabonder son esprit par delà les mers et les océans. Elle s'imagina sur une île sans civilisation, où la Nature serait intacte, non souillée par l'Homme, où les senteurs exotiques se mêleraient à l'odeur de la mer pour éclater en un parfum suprême et entêtant, voluptueux et gourmand.
         Bien difficilement, la jeune femme revint dans la dure réalité, bouleversée par   cette multitude de sensations. D'humeur joyeuse, elle décida de cesser sa remise en forme et retourna à l'appartement, emportant le coquillage avec elle. Sur le chemin du retour, Océane chantonnait, heureuse, souriant à la vie et au destin.
         A peine arrivée chez elle, Océane décida de prendre une douche et, sans savoir exactement pourquoi, elle emmena avec elle le coquillage qu'elle posa sur le rebord, près de son shampooing et de son savon. L'eau bouillante sortait à jet régulier et relaxait le corps de la jeune femme. Soudainement, une sensation de plénitude s'empara d'elle, un bien­-être extraordinaire, une paix immense comme si elle se trouvait hors du temps. Océane se mit à chanter : sa voix claire et haute monta dans la salle de bains, et plus les sons s'entremêlaient, plus l'amplitude augmentait. La jeune femme saisit  le coquillage, ferma les yeux et le porta de nouveau à son oreille.
         Son esprit fut transporté dans les fonds sous­marins. Elle se vit nager au milieu des poissons multicolores venant la frôler tendrement, comme pour la saluer avec affection. Un hippocampe s'approcha d'Océane et lui murmura à l'oreille quelques secrets ou légendes oubliés dans une langue inconnue mais que la jeune femme pouvait comprendre. Une étoile se glissa dans ses cheveux brillants et des huîtres s'ouvrirent pour laisser échapper leurs perles de nacre qui s'assemblèrent autour de son cou. Une pieuvre offrit ses tentacules, Océane tendit ses bras et elles se mirent à
tournoyer, dansant sous les flots, au rythme des coquillages se claquant les uns contre les autres.
         La musique émise  par le coquillage diminua  progressivement et disparut,   emportant les images avec elle. Toujours gaie et détendue, Océane sortit de sa douche, se vêtit rapidement et passa la matinée sur le balcon, tournant les pages d'un livre qu'elle ne lisait pas vraiment, encore sous l'emprise de la magie des émotions ressenties plus tôt. Après un repas léger, la jeune femme décida de profiter de cette belle journée pour faire une petite sieste sur la plage, au soleil. Elle enfila son maillot de bain, fourra les indispensables serviette de plage, lunettes et ambre solaire dans sa besace et prit la direction de la mer.
         Océane s'étendit sur le sable, laissant les rayons du soleil caresser et hâler sa peau délicate. Elle sombrait doucement dans le sommeil lorsqu'elle entendit brusquement le son du coquillage, bien que celui­-ci fut resté sous la douche. La jeune femme s'éveilla totalement et, sur une impulsion soudaine, elle se leva et courut vers la mer.
         L'eau était tiède. Elle se jeta dans une vague. Une exquise sensation de bien­être se répandit en elle. Elle plongea de nouveau et resta quelques minutes sous l'eau, puis elle reprit sa respiration et retourna dans les fonds, toujours plus longtemps, toujours plus profondément. Tout à coup, elle fut éblouie par une lumière très intense. Elle sentit que ses jambes s'unissaient pour ne faire plus qu'une, puis cet unique membre se transforma progressivement pour former une queue de poisson.
Elle se rendit alors compte qu'elle pouvait respirer sous l'eau. Elle était devenue une sirène...
         Océane nagea au milieu des poissons tournant autour d'elle comme pour lui souhaiter la bienvenue. Les habitants aquatiques semblaient avoir retrouvé une amie. Les coquillages s'ouvraient et se refermaient pour la saluer comme on ferait une révérence, les étoiles sautillaient de joie. La jeune femme avait l'impression d'être rentrée chez elle, enfin ! Heureuse, elle se mit à chanter pour exprimer sa félicité.   Elle se sentait possédée par la paix et le bonheur, par la joie et la soif de liberté, moteurs de son exploration des fonds sous-­marins.
         C'est alors qu'elle les vit : des jeunes femmes et des jeunes hommes avec une queue à la place de leurs jambes, comme elle. Ils étaient des centaines, tous réunis, la regardant le sourire aux lèvres. Océane les observa stupéfaite mais un homme en particulier attira son attention : il portait de longs cheveux blancs qui contrastaient avec sa peau hâlée et son regard de jais. L'homme se détacha du groupe et s'approcha de la jeune femme, lui tendant la main. Elle accepta l'invitation, confiante,
et le suivit dans les visites des curiosités aquatiques. Ils nagèrent ainsi ensemble durant des heures, puis, rejoignant les autres qui regardaient le couple avec bienveillance, Océane et son ami se mirent à chanter et danser ensemble. Un   regard, un sourire suffisaient. Nul besoin de mots, ils se comprenaient au travers des échanges de tendresse, œillades affectueuses et douces caresses . Tandis que l'homme posait légèrement ses lèvres sur celles d'Océane, elle fut de nouveau éblouie par une forte lumière.
         Tout était calme. La jeune femme était allongée et se sentait lasse. Son estomac se serrait en crampes douloureuses, elle éprouvait de violentes nausées et une migraine la torturait. Elle ignorait où elle se trouvait et ce qui lui arrivait. Par un immense effort, elle réussit à soulever ses paupières : sa vision était trouble mais elle   pouvait apercevoir une jeune femme vêtue de blanc. Celle­-ci s'approcha et lui dit :
« Bonjour, Mademoiselle. Vous voici enfin revenue parmi nous. Nous avons une très peur de vous perdre.
     – Où suis­-je ? murmura Océane
     – Vous vous trouvez à l'hôpital Sainte­ Marie.
     – Mais... Pourquoi ? Que m'est­-il arrivé ? demanda la jeune fille
     – Vous ne vous le rappelez pas ? Vous dormiez sur le sable et vous avez été surprise par la marée qui monte très rapidement par ici. Des personnes ont essayé de vous prévenir mais vous ne vous réveilliez pas. Malheureusement ils croyaient que vous les aviez entendus alors ils sont partis. Vous avez failli vous noyer et ce n'est que de justesse que vous avez été sauvée. Comment vous sentez­-vous ? l'interrogea l'infirmière
     – Très fatiguée, répondit Océane du bout des lèvres
     – Alors reposez­-vous, vous en avez besoin. S'il vous fallait quelque chose, n'hésitez  pas à m'appeler en appuyant sur ce bouton et j'arriverai. »
        Quelques jours plus tard, Océane sortit de l'hôpital et retourna à son appartement. Elle se souvenait parfaitement de son rêve, celui qu'elle avait fait alors qu'elle dormait sur la plage. La jeune femme chercha le coquillage qu'elle considérait à l'origine de ses premières   illusions. Elle le retrouva à l'emplacement même où elle l'avait abandonné avant de partir, sous la douche.
        Elle le prit délicatement, comme un trésor détenant un immense pouvoir. Elle l'examina longuement avant de le porter de nouveau à son oreille et ferma les yeux, répétant ainsi les mêmes gestes. Elle avait besoin de savoir, besoin d'être sûre que ce n'était qu'un rêve ou de comprendre la magie de cette création issue de la mer. Elle attendit, attendit mais n'entendit plus rien.
        Il était temps pour Océane de rentrer chez elle : ses vacances étaient terminées et elle était attendue pour un stage en clinique maternité. Elle emporta dans ses bagages le fameux coquillage, l'emballant précautionneusement comme s'il s'agissait d'une relique d'un monde passé échoué sur une plage du présent. Elle conserva en elle la nostalgie de ces instants de plénitude, avec le secret espoir qu'un jour, peut­être...

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