Le coup de l'ascenseur #1

madame-c

Elle déteste pourtant les ascenseurs...

Elle déteste les ascenseurs. Cela dit, ce matin, pour gravir les six étages qui la séparent de son entretien d'embauche, elle s'est dit que c'était sans doute la meilleure solution. Aucune envie de se présenter en sueur et échevelée, devant son éventuel futur patron.

Elle était restée longtemps devant sa penderie ce matin, rageant contre ses cuisses pas assez fuselées à son goût et contre ses petites boots noires à talons qu'elle n'avait pas encore dénichées, sans compter ce jean bien coupé dont elle rêve mais qui reste introuvable.

Bref, elle avait dû faire le tour de sa grade robe pendant un bon quart d'heure avant de se décider pour un style chic-décontracté, dans lequel elle se sentait peut-être un peu plus jolie que d'habitude, et surtout qui reflétait, pensait-elle, ce qu'elle aimait le plus en elle.

C'est donc en jeans, boots camel, t-shirt blanc boutonné sur le devant et petite veste noire doublée d'un imprimé bohême, mêlant orange, turquoise et blanc cassé, qu'elle se présente devant cet ascenseur, un peu angoissée.

Il est un peu plus tôt que l'heure habituelle d'arrivée au bureau. Elle est donc seule dans le hall. Elle appuie sur le bouton d'appel, après avoir pris une grande respiration. Au bout de quelques secondes, les portes s'ouvrent sur un ascenseur vide. Elle entre donc. Elle lit tout de suite que l'appareil peut supporter jusqu'à 250 kilos de charge : ça devrait aller ! Elle repère le bouton d'appel d'urgence. Sur  l'un des côtés, un grand miroir : elle y jette un œil, et le reflet de la jeune femme qu'elle y voit lui plaît bien. Cela la rassure un peu. Il correspond en tout cas à l'image qu'elle souhaite renvoyer d'elle-même : jeune femme discrète (mais pas trop quand même),  avec cette pointe d'originalité qui fait la différence. L'anxiété semble tomber un peu.

Perdue dans ses pensées, elle ne remarque pas la porte en train de se refermer mais une voix la fait sursauter. Celle d'un homme qui lui demande de bloquer les portes. Juste le temps de réagir, et l'homme réussit à se glisser dans l'appareil. Il entre et la remercie chaleureusement. Elle  aussi, a envie de le remercier. Ne pas être seule pour gravir ces six étages (une éternité donc…), va finir de l'apaiser, pense-t-elle. Cela dit, elle ne va pas commencer à étaler ces états d'âme à un inconnu : il risquerait à son tour d'avoir peur ! Elle reste donc silencieuse et décide de consacrer son temps à faire dans sa tête le portrait de cet homme (elle sait qu'il lui faut avoir l'esprit occupé pour maîtriser sa claustrophobie).

Elle lui donne la quarantaine un peu dépassée. 1 mètres 80 environ, costume bleu marine coupé slim sur chemise blanche dont le détail des boutons de couleur fait toute la différence. C'est bête, mais ce petit détail d'originalité, le rend sympathique. Brun aux tempes un peu grisonnantes, il est bel homme juste ce qu'il faut. Occupé à regarder son portable, ses yeux légèrement rieurs ajoutent à son charme. Elle n'arrive pas à le cataloguer dans un type de poste précis. Comme toujours, son esprit se met à vagabonder, à la recherche d'un signe qu'elle pourrait interpréter. Pourquoi leurs chemins se croisent-ils ce matin d'entretien d'embauche ? Enfin un entretien  après des mois de vaines démarches….

Elle en est de là de ses divagations, quand un bruit métallique stoppe ses pensées. A peine le temps de penser au pire que les lumières s'éteignent et que le bloc de secours s'allume. Elle tente de repousser cette vague de panique, qui, elle le sait, va bientôt la submerger. Ne pas paniquer, ne pas paniquer, ne pas se laisser submerger. Ses divagations à propos de son compagnon de voyage ont détourné son attention de ces exercices de respiration profonde appris grâce à la sophrologie et qui lui ont «  sauvé la vie » plus d'une fois !  Déjà les gouttes de sueurs  viennent humidifier ses paupières. Elle pense à ses séances de sophrologie, tente de faire venir en elle le mot de calme dont elle se sert pour apaiser ses peurs, passer un cap difficile, apprivoiser une émotion. Rien à faire : il ne vient pas. Elle ne peut réfréner un petit cri. 

«  Tout va bien Mademoiselle ? » l'interroge son compagnon de galère. Elle entend sa question en sourdine, comme s'il était loin.

« Non, pas vraiment, je suis claustrophobe » réussit-elle à lui répondre dans un souffle. L'homme se rapproche d'elle, tente quelques paroles rassurantes, qui parlent de peu de temps, de solution à trouver, d'anecdote rocambolesque que l'un et l'autre pourraient raconter ce soir. Ces paroles lui arrivent par bribes, son esprit est ailleurs, emporté par la vague de panique. Elle a chaud, tellement chaud, elle croit s'évanouir. Elle ôte sa veste dans un geste mécanique. Elle se sent de plus en plus mal. Elle sent qu'elle perd pieds. Incapable de rien faire, de rien penser, de rien contrôler… elle qui déteste tant l'idée de perdre la maîtrise des choses. Elle entend de très loin l'homme lui dire que  finalement cela risque de prendre un  moment, qu'il s'agit d'une panne générale, qu'il faut attendre, qu'on doit le rappeler sur son portable.

«  J'ai chaud, lui dit-elle, j'ai tellement chaud ! ». Gentiment, il se sert de son dossier pour lui faire éventail. Elle le regarde, comme si elle reprenait soudainement conscience de sa présence. Une autre vague de chaleur l'envahit brutalement, différentes des précédentes. Elle croit mourir. Les boutons de son t-shirt l'agressent comme un foulard rêche et trop serré. Elle aperçoit dans un brouillard son reflet dans la glace de l'ascenseur. Son t-shirt déboutonné laisse apparaître le haut de son soutien-gorge. D'habitude si pudique, elle ne prend même pas la peine de remettre de l'ordre dans sa tenue. Elle a juste chaud, tellement chaud, quand soudain tout vacille.

To be continued…
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