Le Crépuscule des Demi-Dieux

Dominique Capo

Troisième partie

Les personnages n'ont peut-être pas suivi Jean de la Rochette après que celui-ci les ai définitivement quitté sur le pas de la porte de la Patte Folle. Ils n'ont peut-être pas non plus guetté les trois inconnus durant toute la nuit aux abords de la clairière à la grosse roche en forme de visage triste et allongé. Dans tous ces cas, où qu'ils se trouvent en fin de soirée, ils voient un homme se précipiter sur la place centrale de Moissac aux Puys. Ils le reconnaissent rapidement comme étant le valet de la jeune femme qui a passé la nuit précédente à la Patte Folle avec ses gardes du corps. Quand ils le voient, ils se rendent très vite compte que celui-ci à les habits déchiquetés, que son corps est recouvert de sang, et qu'il tient des propos plus ou moins incohérents. Il hurle en effet qu'il s'est fait attaqué avec deux de ses compagnons, tandis qu'il se trouvait sur la route de Moissac aux Puys. Il enchaîne en expliquant que ses agresseurs étaient trois hommes diaboliques accompagnés de trois diables malfaisants. Il raconte qu'il est le seul à avoir pu échapper au traquenard que ceux-ci ont tendu à son groupe. Et il détaille de quelle manière ses deux compagnons ont été emmenés dans les profondeurs de la forêt pour y être dévorés.

A ces mots, plusieurs villageois présents et ayant entendu ce récit, décident de se rendre sur place pour savoir ce qu'il s'y est exactement passé. Et si les personnages ne se sont pas portés volontaires pour cette expédition nocturne, ces villageois leur demanderont de les accompagner. Ils leur tendent alors des torches et des armes de fortune – faux, piques, fourches -, et leur demandent de les suivre. Ils demandent également au valet de les suivre. Il accepte, mais est terrorisé.

De fait, une foule composée d'une vingtaine de personnes grimpe sur des destriers. Ils les cravachent, les font galoper à vive allure pour arriver au plus vite sur les lieux de l'attaque. Les personnages se trouvent avec eux, et tout comme leurs compagnons, ils font stopper leurs chevaux à proximité de l'endroit que le valet leur indique. Tout le monde commence alors à fouiller les alentours. Y apparaissent en effet des traces de combat, des traces de sang maculant le sol, ainsi que des traces de pas s'enfonçant dans les fourrés et les profondeurs de la forêt.

Bien sur, les personnages peuvent donc décider de suivre les traces de pas qui semblent assez récentes. Par contre, aucun villageois ne veut les suivre ; ils sont trop effrayés par le carnage qu'ils ont sous les yeux. Ils décident d'ailleurs immédiatement qu'il et préférable de revenir ici le lendemain matin, accompagnés de la milice de Moissac. Ils sont certains qu'avec elle, ils pourront très facilement retrouver les meurtriers de ces hommes. Et, au bout de quelques minutes d'observation superficielle des lieux, ils remontent tous à cheval, et reprennent le chemin du village.

De fait, si malgré cela, les personnages s'enfoncent davantage dans les fourrés laissant apparaître les empreintes des agresseurs des hommes de main, ils distinguent très vite un petit sentier. Ils le longent durant quelques dizaines de mètres. Ils distinguent peu à peu la colline boisée et l'ouverture caverneuse située à la base de cette dernière. Et, une fois qu'ils se trouvent à moins d'une dizaine de mètres d'elles, ils se rendent compte que des reflets de torches se discernent au détour du corridor qui constitue son entrée. C'est d'ailleurs au moment où les personnages sont en train d'observer l'ouverture – plus ou moins discrètement – qu'ils se font attaquer. Des formes sombres surgissent de nulle part, et avant qu'ils n'aient pu faire le moindre geste pour se défendre ou pour se protéger, ils sont assommés, bâillonnés et ligotés.

De fait, lorsque les personnages reprennent leurs esprits, ils se trouvent dans une caverne au sol parsemé de stalagmites et au plafond constellé de stalactites. A plusieurs endroits, de grosses roches jadis tombées du plafond sont disséminées su le sol. Les personnages sont attachés à l'un de ces amoncellements de roches ; ils sont toujours ligotés et bâillonnés. A coté d'eux se trouvent deux des gardes du corps de la jeune femme ayant passé la nuit précédente à la Patte Folle : ceux-ci sont également ficelés et bâillonnés ; ils sont évanouis, leurs vêtements ne sont plus que des loques, et des traces sanglantes recouvrent leurs membres et leurs torses. Enfin, un peu plus loin de là, ils peuvent apercevoir Jean de la Rochette en compagnie de sept individus. Ils parlent à voix basse entre eux ; leur conversation est vive. Et certains d'entre eux jettent de temps en temps de coups d'œil en direction des personnages, pour voir si tout va bien.

La seule chose que les personnages peuvent comprendre de la conversation se déroulant à quelques mètres d'eux, c'est que les individus accompagnant Jean de la Rochette se nomment : Mahaubert, Norbert Lalisse, Barnabé Jacquafleur, Stephan de Hautecour, Lionel du Gué, et François.


Dans tous les cas de figure, à l'issue d'une bonne demi-heure de discussion, Stephan de Hautecour, Lionel du Gué, et François s'approchent de l'endroit où se trouvent les personnages et leurs deux compagnons d'infortune. Ils traînent les deux hommes évanouis jusque dans un coin isolé de la grotte. Ils y laissent choir les soldats inconscients. Soudain, ils se précipitent sur eux, les traits de leurs visages tendus, les yeux révulsés. Pendant un instant au cours de cet étrange spectacle, les cris de douleur et les hurlements de terreur des deux hommes se répercutent sur les murs de la salle, sans que cela n'effraient ni ne surprennent Jean de la Rochette et ses autres compagnons. Puis, une fois qu'ils semblent avoir terminé leur ouvrage de mort, Stephan Hautecour, Lionel du Gué et François reviennent vers leurs amis, comme si rien ne s'était passé.

En jetant un coup d'œil en direction des deux soldats, les personnages peuvent alors se rendre compte que ceux-ci sont décédés, que leurs corps ont été déchiquetés, qu'ils ont été vidés de leur sang ; car de nombreuses flaques rougeâtres les entourent, et ils ont pris un teint blanc fantomatique.

Peu après, Jean de la Rochette sort une carte de la région de l'une de ses nombreuses besaces. Il la pose sur le sol, tandis que le reste de ses compagnons se met à examiner celle-ci avec attention. Il montre un itinéraire, et discute avec eux du chemin qu'ils vont devoir emprunter au cours des jours qui viennent. Il insiste sur le fait – et tous ses compagnons sont d'accord avec lui – qu'ils doivent parvenir à Montauban dans les plus brefs délais. Il continue en disant que leur destination finale est, bien sur, la cité de Toulouse. Il poursuit en détaillant leur parcours, c'est-à-dire : Castelsarrazin, Montauban, et, enfin, Toulouse.

Le reste de la nuit s'écoule ensuite tranquillement. Jean de la Rochette et ses amis discutent longuement ensemble. Parfois, l'un d'eux vient voir les personnages pour vérifier si leurs liens sont bien attachés, pour leur donner à boire. Jean de la Rochette, Mahaubert, Norbert Lalisse et Barnabé Jacquafleur s'assoupissent un moment. Mais, soudain, alors que l'aube pointe à l'horizon et que les premiers rayons du soleil se discernent sur les parois les plus extérieures du corridor menant à la caverne proprement dite, des bruits se font entendre dans la forêt. Des bruits de pas nombreux s'y répercutent, et se rapprochent très vite de leur refuge. Bientôt, des torches apparaissent au loin. Mahaubert s'enfonce un instant dans le tunnel pour voir de quoi il retourne. Il revient précipitamment, affolé, et dit qu'une troupe de villageois en armes, accompagnées de membres de la milice locale, encerclent la colline boisée et l'ouverture caverneuse qui s'y dessine. Le temps qu'il ait décrit ce qu'il a vu, et que le groupe ait commencé à délibérer sur ce qu'il convient de faire, ils entendent des bruits de pas à l'intérieur du corridor. Deux villageois armés de fourches et tenant une torche à la main, apparaissent sur le pas de la caverne proprement dite. Ils sont terrorisés. Jean de la Rochette dit alors à ses compagnons qu'il va aller leur parler ; et il les rejoint rapidement, un sourire amical sur le visage, et les mains bien en en vue en signe d'amitié.

De fait, Jean de la Rochette explique aux villageois que ses amis et lui ne sont qu'un simple groupe de voyageurs ayant passé la nuit dans la caverne. Il dit qu'ils étaient sur le point de repartir et de poursuivre leur route en direction de Montauban. Il dit également que lui et ses amis se sont donné rendez vous à cet endroit, et que c'est pour cette raison que lui, Jean de la Rochette, est resté à Moissac aux Puys durant quelques jours, en attendant que ses compagnons atteignent leur lieu de regroupement. Mais, bientôt, l'un des deux villageois le coupe dans son explication, et explique à son tour que les habitants du village ont rencontré un homme qui dit qu'il s'est fait attaqué la nuit précédente par les membres du groupe de Jean de la Rochette. Il insiste en évoquant aussi l'attaque des deux hommes de main de la jeune femme ayant logé à la Patte Folle deux jours plus tôt ; et dont leur témoin dit que ces derniers se sont fait égorgé, puis, vider de leur sang, par son groupe. Aussitôt, Jean de la Rochette réfute ses accusations en disant que les villageois n'ont aucune preuve de ce qu'ils avancent. Mais, au moment où celui-ci tente d'expliquer que lui et ses amis ne sont pour rien dans cette affaire, l'un des deux villageois tourne la tète vers le fond de la caverne. Il y aperçoit les personnages ligotés à un rocher, ainsi que les cadavres ensanglantés des deux hommes de main. Il les montre à son voisin, qui les voit à son tour, qui se met à hurler d'effroi. Et les deux villageois reculent précipitamment, avant que Jean de la Rochette n'ait pu prononcer le moindre mot, ou ait pu faire le moindre geste dans leur direction. Et ils disparaissent dans le corridor, vers l'extérieur de la caverne, en poussant des hurlements de terreur.

De fait, aussitôt, un grand bruit de pas précipités se fait entendre, venant de l'extérieur de la caverne. S'y joignent des cris de haine et de rage. Au même moment, Jean de la Rochette et ses compagnons se précipitent sur les personnages, enlèvent leurs baillons, les mettent debout. Stephan de Hautecour empoigne l'un d'eux par le col de son habit, les traits figés par la rage et la peur. Il déclare que s'ils désirent rester en vie, ils ont intérêt à l'aider, lui et son groupe, à s'échapper de cet endroit. Il leur dit qu'ils doivent les guider à l'intérieur des tunnels qui s'enfoncent dans les profondeurs de la colline. Il leur promet de leur laisser la vie sauve s'ils les aident, mais que dans le cas contraire, il les tue immédiatement. Puis, sans laisser le temps aux personnages de réagir, Stephan de Hautecour et ses amis poussent les personnages devant eux, tout en jetant des coups d'œil terrorisés vers le tunnel débouchant vers la forêt : les premiers villageois, piques en avant, y apparaissent déjà. Stephan de Hautecour amène alors les personnages vers le mur opposé de la grotte, là où se discerne l'entrée d'un autre corridor. Dans l'intervalle, les villageois se sont arrêtés sur le seuil de la caverne, et observent les fuyards s'éloigner ; leur regard est à la fois haineux et effrayé. Ils voient les fugitifs commencer à s'enfoncer dans le tunnel opposé, ne sachant pas de quelle manière réagir : tenter de rattraper les fuyards, ou pas. Jusqu'à ce que l'un de ces derniers fasse craquer une brindille sous son pied, précipitant les événements. Les villageois se lancent alors en effet à leur poursuite dans le corridor qu'ils viennent d'emprunter.

Voici l'itinéraire qu'empruntent les personnages et leurs compagnons d'infortune, à l'intérieur des souterrains situés sous la colline : corridor, croisement, grotte encombrée de détritus divers, corridor avec passage en pente, nouveau croisement, corridor aux murs recouverts de moisissures multicolores et dont le sol laisse bientôt suinter un filet d'eau jaunâtre à l'odeur nauséabonde, grotte avec en son centre les restes d'un ancien feu. Trois nouveaux passages partent de cette caverne : nouveau corridor en partie bloqué par une meute de rats arrivant dans le sens inverse que les personnages et leurs compagnons. Suite de ce corridor, croisement, nouveau passage dont le sol devient de plus en plus pentue au fur et à mesure de leur progression à l'intérieur de celui-ci. Les personnages et leurs compagnons sont bientôt obligés d'escalader ses murs afin de poursuivre leur cheminement. Le tunnel se transforme progressivement en boyau ascendant constellé de corniches plus ou moins grandes, dont les murs laissent apparaître de nombreuses fissures et de nombreux restes d'éboulements. Le boyau se termine à proximité d'une corniche un peu plus large que les précédentes qui ouvre sur un vide insondable. En effet, ses parois longent un trou béant dont les murs disparaissent au loin dans les ténèbres, quelle que soit la direction dont on les suit du regard. De fait, en l'empruntant, cette corniche a bientôt les parois constellées de moisissures multicolores et poisseuses. Puis, elle se termine brutalement au bout d'une vingtaine de mètres ; comme si elle s'était effondrée il y a longtemps. Et, à deux mètres de là, contre la paroi, s'ouvre un nouveau boyau d'un mètre de large. Il n'y a aucune autre issue.

Le second boyau s'enfonce sinueusement au cœur de la paroi. Ses murs sont suintants d'eau jaunâtre, et glissent dangereusement de plus en plus verticalement au fur et à mesure de la progression des personnages et de leurs compagnons. Il se termine en se réunissant à un autre corridor, à peu près horizontal celui-ci bien qu'également extrêmement sinueux, à moitié inondé par les eaux mouvementées et torrentielles d'une rivière souterraine. Des rochers acérés en surgissent d'ailleurs régulièrement ici ou là. Au bout de près de 500 mètres à tenter de suivre la rivière, celle-ci sort de son corridor caverneux et débouche en plein cœur de la forêt ; d'ailleurs, ses eaux redeviennent beaucoup plus calmes. Les personnages et leurs compagnons d'infortune peuvent en sortir. Mais, malgré l'obscurité ambiante des arbres de la forêt, ils s'aperçoivent très vite que le jour est levé, et qu'ils doivent se protéger de la lumière du soleil. Heureusement, à quelques mètres de la berge de la rivière, se trouve les ruines d'une vieille cabane de bois, où ils peuvent se sécher, se reposer, et attendre la tombée de la nuit.


Durant cette course à travers les tunnels situés sous cette colline caverneuse, les villageois continuent à traquer les personnages et leurs compagnons jusqu'à ce que le couloir se transforme en boyau ascendant qui aboutit à la première série de corniches ouvrant sur le vide. Puis, les villageois voyant les fugitifs leur échapper en se glissant à l'intérieur de ce boyau, ils les harcèlent en leur tirant dessus à l'aide de leurs fusils et de leurs mousquets ; ils leur lancent quelques pierres, avant d'abandonner et de rebrousser chemin, tout en jetant un dernier regard haineux et amer dans leur direction.

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