Le crime était presque parfait

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Un choc. C’est ce qu’il ressentait à la vision de cette feuille de papier. « Nous vous invitons à notre traditionnelle assemblée générale qui comme à l’accoutumée se clôturera par un vin d’honneur ». Jean-Michel Lajoie était journaliste. Il exerçait sa noble profession pour un quotidien régional très apprécié par les seniors de la ville de Barbasouille. Lajoie était plutôt du genre modeste. Quand il n’écrivait pas d’articles remarquables sur les galettes des rois, il faisait partie des petites mains laborieuses chargées de corriger les articles de ses confrères. Cette vie taciturne lui convenait très bien. Du moins, était-ce l’impression qu’il donnait à ses collègues. Ne disait-on pas de lui qu’il était un « béni oui oui » que tout les sujets l’intéressaient du moment que le chef choisissait de les lui donner. Il n’en était rien. Après 39 ans passées à corriger les fautes d’orthographe de ses voisins scribouillards orgueilleux, sa décision était prise. Il allait en finir.

Suicide. Le méfait qu’il s’apprêtait à commettre avait tout d’une fin. En terminer avec ce métier de secrétaire de rédaction devenu invivable. En finir avec cette occupation ennuyeuse et chronophage. Il se coiffa de son plus beau chapeau et quitta la rédaction, en direction du local du club des ainés.

Quinze minutes s’écoulèrent durant son absence de la rédaction, quand Jean-Michel Lajoie réapparut sur le seuil de la porte. Ses yeux ne montraient absolument pas qu’il s’apprêtait à commettre l’irréparable. Il commença alors la rédaction de son article. « Pire qu’un pistolet, l’article de la mort » pensa Jean-Michel.

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Le coup de jeune du club des aînés

Récemment l’assemblée générale du club des ainés de Barbasouille s’est tenue à la salle municipale Joël-Duvignoux. Bonne ambiance malgré le décès du regretté Dominique Moyen. Le président a d’abord commencé comme à l’accoutumée à lire le rapport moral qui était satisfaisant puis il s’est lancé dans la lecture du rapport financier, très bon lui aussi. Les ainés sont très satisfaits de la sortie au lac de la Victe et du Téléthon qui a permis de récolter beaucoup d’argent. Après cela le président passait la parole à son voisin en la personne de monsieur Duranton. Monsieur Duranton se montrait lui aussi très heureux de la dernière année écoulée, regrettant lui aussi la disparition de monsieur Bacsounov qui était l’ami de tous les Barbasouillais. Il en profitait pour remercier monsieur le maire représenté par Monsieur Joseph Miton et saluait par la même occasion le député et le conseiller général du canton qui auraient aimé venir mais n’ont malheureusement pas pu faire le déplacement
2011 dans la continuité
2010 s’étant très bien déroulé, le président a souhaité que 2011 se déroule de la même façon : « j’espère que 2011 se déroulera bien » a-t-il indiqué. Et la prochaine sortie à la fête de la truffe et du vin devrait contribuer à faire de 2011 un succès. Le président a toutefois regretté la baisse de la subvention décidée par la municipalité. « Tu sais Joseph, que 5 euros représente une somme considérable pour nous. Cinq euros c’est une bouteille de Ricard en moins en Andorre, j’espère que tu reviendras sur ta décision. » La soirée s’est clôturée par le traditionnel vin d’honneur, dans la bonne humeur et la convivialité.

Jean-Michel Lajoie

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L’irréparable était commis. Jean-Michel avait beau lire et relire, il ne pouvait pas écrire plus mal. Il ne restait qu’à attendre sa lettre de licenciement pour faute professionnelle. Son chef ne pourrait clairement pas laisser passer cela. C’était au pire un entretien, au mieux la fin des ennuis et un départ en beauté. Il valida son propre article (être secrétaire de rédaction avait au moins cet avantage) et rentra chez lui.

La nuit avait été courte. Jean-Michel Lajoie se demandait bien si son stratagème allait fonctionner. Il n’allait pas attendre bien longtemps. Dès son arrivée au journal le lendemain matin, son chef le convoqua dans son bureau.
Il était du genre débonnaire et écrivait très peu. Les mauvaises langues disaient que s’il n’écrivait pas, c’était probablement parce qu’il n’était pas très doué pour la chose. « J’ai lu ton papier sur l’assemblée générale du club des ainés Jean-Michel. C’est franchement épatant. Proche du lecteur, bien informé. Je vais te dire quelque chosé que tu gardes pour toi. Je vais avoir des responsabilités au siège. Ma place se libère et je t’appuierai. On a besoin de talents comme toi dans ce journal. »
Et c’est ainsi que Jean-Michel Lajoie secrétaire de rédaction taciturne de Barbasouille fut promu chef d’agence dans un journal où la discrétion et le copinage étaient avant tout synonymes de promotion.

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