Afin de régler ses problèmes financiers, Joël Shakes va faire un casse pour pouvoir payer ses créanciers qui ne cessent de le harceler.
Chapitre premier
Il était là, tapi derrière un petit bosquet, à l'ombre des regards indiscrets et attendez patiemment le départ de Monsieur et Madame Phils. Ça faisait des semaines qu'il espérait que ce moment viendrait où il pourrait agir en toute tranquillité. Il avait appris dans un café, alors qu'il sirotait une bière accoudée au bar, que les Phils allaient s'absenter pour la soirée. C'est en fin de journée, après quelques bières supplémentaires, qu'il s'était décidé à passer à l'action.
Les Phils étaient des gens très riches n'hésitant pas un seul instant à le faire ressentir à leur entourage comme pour se mettre en valeur afin montrer à leurs voisins qu'ils en avaient les moyens, eux.
Ils n'étaient pas très appréciés dans leur quartier, car leurs façons d'agir exaspéraient ceux qui les côtoyaient. Surtout les Shakes, vivant dans un petit pavillon en face du leur et dont le chômage venait de frapper à leur porte.
Monsieur Phils était docteur en médecine et possédait une petite clinique à la sortie de la ville. Il était un homme court sur pattes qui se plaisait à rétorquer, lorsque l'on signifiait sa petite taille que la cause de son mètre soixante était due au poids de son cerveau qui l'empêchait de s'élever plus haut dans les airs. Les cheveux courts aux tempes grisonnantes, il était vêtu ce soir d'un costume ocre jaune qu'il était allé reprendre du pressing en début d'après-midi. Le col de sa chemise blanche était orné d'une cravate marron clair qui descendait le long de son torse et venait finir sa course sur un ventre rebondissant.
Il marchait d'un pas lourd vers le garage en s'essuyant de temps à autre son front ruisselant de sueur, avec le mouchoir blanc que sa femme avait pris soin de lui donner avant de sortir de la maison.
Sa femme était encore plus petite que lui, mais il ne fallait pas s'y fier. Les cheveux bruns et frisés, le regard noir et vif, elle avait une paire de lunettes en écaille qui venait se reposer sur son nez, lui donnant un air plus autoritaire que son mari.
Elle était directrice d'un lycée secondaire, non loin de leur villa et malgré ses 1,50 m, il ne fallait pas trop s'y frotter. Une vraie meneuse d'hommes comme on n'en avait jamais vu. Il fallait dire aussi que si quelqu'un avait le malheur de se mettre en travers de son chemin et hausser le ton, elle avait vite fait de le remettre à sa place. Depuis son plus jeune âge, elle n'avait jamais pour habitude de se laisser marcher sur les pieds et les années passant ne l'avaient pas radouci. Lorsqu'elle voulait dire quelque chose, elle n'y allait pas par quatre chemins, se sentant probablement plus élevée socialement que les autres.
Hors question pour elle de se laisser mener par le bout du nez, cela aurait été un signe de faiblesse. Elle ne frappait jamais, mais le ton de sa voix tranchante et glaciale servait de gifles pour les tympans les plus récalcitrants.
Elle était vêtue d'un manteau de fourrure en renard que son mari l'avait offert pour ses 40 ans. Elle en était très fière et le portait dès qu'une opportunité se présentait.
Ce soir, c'en était une puisqu'ils avaient été invités à passer une agréable soirée dans un grand théâtre de la ville par Monsieur le Maire et quelques personnes de la haute société.
Monsieur Phils venait d'actionner la télécommande de la porte du garage. Celle-ci s'ouvrit en glissant sourdement sur un des côtés du mur. Arrivant en fin de course, elle vint se cogner contre le butoir, faisant un léger petit bruit mat.
– Il faudra penser à changer le caoutchouc de la butée Max, elle commence à faire de plus en plus de bruit. Si ça continue, on va finir par entamer la peinture de la porte.
– Oui chéri, je téléphonerai demain matin à l'entreprise qui nous l'a posé afin qu'elle nous envoie quelqu'un pour la changer.
– Et tu ne peux rien faire en attendant ?
– Si, monter dans la voiture et aller au théâtre. À moins que tu veuilles que je me change et que je me mette en bleu pour commencer à bricoler afin de ne pas me salir.
– Non bien sûr, mais tu pourrais mettre un bout de chiffon ou autre chose pour amortir le choc.
– Ce n'est pas la peine, il reste encore cinq bons millimètres de matière dessus. Ça tiendra bien jusqu'à demain matin.
– Tu préfères attendre la catastrophe plutôt que de l'éviter à ce que je vois.
– Bon d'accord, expira-t-il, je vais mettre un bout de chiffon dessus. Ça te rassurera comme ça ?
– Oui, j'aime mieux.
Il prit un tissu posé sur un petit établi qui servait plutôt de décoration que d'outils de travail. Il repoussa un peu la porte à la main pour dégager la butée, entoura celle-ci avec le chiffon et se retourna vers sa femme en se frottant les mains.
– Voilà qui est fait.
– Tu vois, ce n'était pas si difficile que ça et en plus ça ne t'a même pas pris plus de cinq minutes.
Il ne répondit pas à cette dernière remarque puisqu'il savait très bien qu'il n'aurait pas le dernier mot. Il se contenta d'actionner la télécommande qui lui servait de porte-clés, pour déverrouiller les portières de sa Mercedes blanche.
Ils montèrent à bord et il mit du contact. Le moteur se mit à tourner avec un ronronnement de mécanique étouffée. Il tenait beaucoup à sa voiture et à chaque fois qu'il avait un moment de libre, c'était pour venir la bichonner. Sa femme, elle, aurait préféré un modèle supérieur, mais pour une fois, elle dut se contenter des exigences de son mari.
Chaque mois, il l'emmenait au garage pour la faire réviser, même si aucune anomalie ne s'était manifestée. La moindre rayure ou poussière l'aurait rendu malade, ce qui n'aurait pas été des plus rassurants pour un docteur.
Les phares s'allumèrent, balayant de leur faisceau lumineux la petite allée de gravier rouge allant jusqu'au portail de la demeure. La voiture roula lentement, sortit du garage et vint stopper à 1 m du grand portail.
Max fit un appel de phares et un moteur invisible se fit entendre. Pendant que la porte du garage se refermait automatiquement, le portail s'ouvrit lentement, laissant apparaître la rue et les quelques véhicules qui circulaient.
Monsieur Phils passa la première et s'engagea avec prudence sur la chaussée, tandis que derrière lui, l'entrée de la demeure se referma tout aussi silencieusement qu'elle s'était ouverte.
Joël Shakes avait suivi le départ des époux Phils avec une attention toute particulière. Toujours accroupi derrière le bosquet, il attendit encore quelques minutes, en regardant autour de lui, espérant que les propriétaires ne feraient pas demi-tour en s'apercevant qu'ils auraient pu oublier quelque chose.
À ses côtés, il y avait un grand sac de toile avec à l'intérieur quelques outils qu'il avait soigneusement sélectionnés. Il était venu, comme on dit, pour faire un casse.
Depuis plusieurs mois qu'il était au chômage, il n'arrivait pas à refaire surface financièrement. D'autant plus qu'il avait acheté, il y a quelques années de cela, le petit pavillon en face des Phils à crédit. Il avait déjà payé 40 000 euros pour les frais de notaire et payait le reste de sa maison par mensualités, comme un loyer.
À l'époque de l'achat, il avait un emploi stable et très bien rémunéré à l'aéroport d'Orly. Comme son salaire était au-dessus de la moyenne, il avait réussi à obtenir un crédit total et il n'avait aucun problème pour verser ses mensualisations.
Aujourd'hui, ce n'était plus le cas. Ça faisait plus d'un an et demi qu'il était sans emploi suite à un licenciement économique. Vu la crise économique du pays, tous les corps de métiers étaient touchés par le phénomène et heureux était celui qui avait encore une place fixe. Les dépôts de bilan se succédaient à une vitesse inquiétante et le peu d'offres d'emploi qu'il avait trouvés en feuilletant des journaux spécialisés, en profiter pour baisser les salaires au maximum. Vous êtes trop gourmand, lui répondait-on lorsqu'on lui demandait ses prétentions. Pourquoi prendrais-je un ouvrier si cher alors qu'il y en a plein d'autres qui ne demandent qu'à être embauchés pour une paie beaucoup plus faible. Combien de fois avait-il entendu cette phrase ? Ils ne les comptaient plus.
Tout allait mal pour lui et pour couronner sa peine, il avait acheté un salon en cuir, il y a deux ans de cela. Deux mois avant de se retrouver à la porte. Un salon qui avait semblé plaire à l'huissier venu la semaine dernière en compagnie d'un commissaire de police, pour faire l'inventaire de son mobilier. S'il ne paie pas sa dette au plus vite, il pouvait dire adieu à tout ce qu'il avait créé, c'est-à-dire son espace vital, son foyer.
Le chômage, les huissiers et même sa femme qui lui reprochait de ne pas être assez assidue à la recherche d'un emploi, lui monter à la tête. Il était à bout et même son couple commencé à battre de l'aile. Puisqu'il n'arrivait pas à gagner de l'argent honnêtement, il ne lui restait plus qu'un pas à faire pour passer de l'autre côté de la barrière. Et ce pas, il venait de le faire en entrant en douce dans le jardin des Phils.
Il avait profité de l'inattention de Monsieur Phils pour s'introduire derrière ce bosquet qui, pendant que la Mercedes roulait lentement sur le gravier de l'allée, lorsqu'il était revenu de sa clinique. Ça faisait maintenant de bonnes heures qu'il était là, assis sur la pelouse, à attendre que les Phils daignent enfin quitter leur pavillon. La femme de ménage était partie depuis bien longtemps et il commençait à trouver le temps long. Il soupira de soulagement lorsqu'il les vit sortir de la maison.
Joël Shakes était un homme d'un mètre quatre vingts et plutôt mince qu'épais. Il portait un jean délavé ainsi qu'une paire de baskets et sur le dos, un blouson de cuir noir. À 33 ans, marié sans enfant, il était d'ordinaire un homme calme et plutôt souriant. Il avait le visage fin où quelques rides venaient se creuser à la commissure des yeux. Son regard marron et ses cheveux bruns ondulés lui donnaient un certain charme.
Il avait dit à sa femme qu'il partait à la recherche d'un emploi et qu'il rentrerait probablement tard dans la nuit. Théoriquement, il devait aller dîner dans la soirée avec un ancien collègue de travail dans un restaurant de la ville voisine. Il ne voulait pas qu'elle s'inquiète pour son retard. Patricia, malgré son caractère agréable et stable, avait le moral au plus bas et incertain. Il ne voulait pas lui créer plus de souci qu'elle en avait actuellement. Il aimait sa femme et aurait fait n'importe quoi pour la rendre heureuse.
Pratiquement, il était là, prêt à agir, à passer à l'action. Commettre un cambriolage chez les Phils, lui trottait dans la tête depuis plusieurs jours déjà. Ça va s'arranger, se disait-il, je vais retrouver un emploi et la vie va repartir de plus belle comme dans le temps. Jusqu'au jour où les huissiers ont commencé à débarquer chez lui. Ce fut le début de la fin. Il lui fallait trouver de l'argent et vite s'il ne voulait pas se retrouver en slip et en chaussettes.
Jadis, il occupait un emploi de manutentionnaire à l'aéroport d'Orly et tout semblait lui sourire jusqu'au jour où les licenciements commencèrent à se faire ressentir sur le personnel. Souriant et riant de bon cœur, on ne s'ennuie pas avec lui d'autant plus qu'il aimait raconter des blagues. Il était très apprécié par ses collègues de travail, puisqu'ils trouvaient en lui un très bon collègue, prêt à mettre la main à la tâche pour aider un compagnon. On ne se gênait pas pour l'inviter dans les soirées entre amis. Mais on a beau être grand et plaire, cela ne mettait pas de la soupe dans les assiettes pour autant.
Et la soupe, elle était là, derrière la façade crème du pavillon des Phils. Le tout était d'oser, d'y aller, de foncer et il osa. Il se redressa, ramassa son sac et marcha à pas feutrés jusqu'à la porte d'entrée de la maison. Il posa sa main sur la poignée et la baissa comme s'il espérait que la porte vint à s'ouvrir.
C'était la première fois qu'il commettait un délit de cette importance et son cœur battait la chamade dans sa cage thoracique. Comme il s'y attendait, la porte ne s'ouvrit pas et décida de faire le tour pour tenter de pénétrer à l'intérieur de la maison par l'arrière. Le jardin été magnifiquement décoré et il ne put s'empêcher d'avoir un air admiratif en passant à côté d'un parterre de fleurs.
– Ce n'est pas le moment de rêvasser, se dit-il, il faut que je me magne.
Il pressa le pas et s'engagea dans une petite allée qui longeait un des côtés de la maison. Lorsqu'il fut derrière, il fut surpris de voir une petite piscine. Les Phils n'en avaient jamais parlé, ce qui n'était pas du tout dans leur habitude. Peut-être craignaient-ils d'être trop envahis par les enfants du voisinage ou était-ce là leur petit jardin secret. Shakes continua son aventure et se retrouvera bientôt devant un volet en bois laqué.
Il posa la main dessus et tenta de l'ouvrir en tirant fermement. Celui-ci se mit à bouger un peu, mais pas suffisamment pour laisser passer un corps d'homme. Il était bien verrouillé de l'intérieur et se dit qu'il ne sera pas aisé de le décrocher. Mais il avait prévu cette éventualité et posa son sac sur le sol avant de faire glisser la fermeture éclair.
Il prit un petit pied-de-biche qu'il coinça dans le petit espace entre le mur et le volet. Il s'appuya du mieux qu'il put sur son outil, mais le volet était coriace. Il refit une seconde tentative en y mettant toute sa force et au bout d'un instant, il y eut un craquement.
Shakes, surprit par le bruit qu'il venait de faire, remballa son matériel à toute vitesse et il alla se cacher derrière une cabane en bois peint en vert qui devait servir de cabine de déshabillage pour aller se baigner.
Le cœur battant à son maximum, le souffle court et rapide, il avait les yeux écarquillés et s'attendait à voir arriver quelqu'un. Il resta planqué quelques instants, la peur au ventre, prêt à détaler comme un lapin devant un chasseur.
Il se calma enfin et ressortit de sa cachette avec prudence. Il s'avança précautionneusement vers le volet dont on apercevait un fragment de bois éclaté. Tout en marchant, il jeta un œil de temps en temps sur les alentours, l'oreille aux aguets.
Il reposa son sac sur le sol, sortit à nouveau son outil et se remit au travail. Il empoigna sa pince, regarda à droite puis à gauche et prit son courage à deux mains. Puis d'un seul coup, il s'appuya dessus et dans un craquement final, le volet céda sous la pression.
Il rangea son matériel et courut se mettre à l'abri des regards, derrière la cabane en prenant soin de repousser de volet. Il attendit un peu et retourna à la charge. Il l'ouvrit complètement et se mit à fouiller dans son sac. Il en sortit un rouleau de scotch industriel et s'empressa d'appliquer quelques bandes sur l'un des carreaux. Il ramassa une pierre sur le sol et d'un coup violent, il tapa contre la vitre. Celle-ci se brisa et tomba sur le carrelage à l'intérieur de la villa en faisant un bruit légèrement étouffé. Il avait vu cette scène dans un film policier à la télévision, mais n'avait jamais au eu l'occasion de l'essayer auparavant. Il eut un sourire de satisfaction en voyant le travail accompli.
Il resta malgré tout aux aguets et hésita un cours lap de temps avant d'aller plus loin. Sa conscience lui jouait des tours. Il n'aimerait certainement pas qu'on vienne de chez lui pour casser son volet et son carreau et ensuite venir fouiner dans ses affaires. Il se ressaisit vite fait en se disant que c'était un cas d'extrême urgence et que la vie de son mobilier en dépendait.
La maison semblait dormir, plongée dans l'obscurité. Il passa son bras par l'ouverture, tâtonna le montant de la fenêtre, attrapa la poignée et entreprit de la déverrouiller. Lorsque ce fut fait, il la poussa sans faire le moindre bruit, passa une jambe à l'intérieur en faisant attention à ne pas marcher sur les débris de verre, puis la deuxième.
Maintenant, plus question de reculer. Il était déjà allé beaucoup trop loin. Il fut soudain envahi par une certaine assurance, une maîtrise de soi qui l'étonna. Mais il n'épilogua pas sur ce sujet, il avait autre chose en tête de bien plus important pour le moment.
Dans la pénombre, il chercha dans sa poche une petite lampe stylo qu'il avait juste acheté pour l'occasion. Un petit clic se fit entendre et la lumière jaillit. Il balaya la pièce furtivement afin de savoir où il était.
Il ne savait pas exactement ce qu'il venait chercher, mais pour lui, tout ce qui avait de la valeur était le bienvenu. Il était dans une chambre qui sentait bon la lavande. Il y avait un lit au milieu d'un pan de mur et en face une armoire en chêne massif. Il l'aurait bien embarqué, mais son sac était bien trop petit et ses bras pas assez forts pour soulever ce meuble.
Il ouvrit les portes, fouilla à l'intérieur, mais ne découvrit que les draps, des couvertures et d'autres lingeries sans importance. Probablement la chambre d'amis, songea-t-il. Il se retourna et vit une petite table de chevet. Il tira le terroir et ne trouva qu'une boîte de Kleenex neuve qu'il jeta sur le lit. Il ouvrit la petite porte du bas, mais hélas, il n'y avait rien. La chasse au trésor commençait mal.
N'ayant rien trouvé d'intéressant dans cette première pièce, il s'approcha de la porte, posa la main sur la poignée qui ressemblait à une tête de signe et sortit. Il se retrouvait maintenant dans un couloir étroit dont la moquette épaisse étouffait ses pas. Les murs étaient tapissés d'un papier clair, parsemé de petites fleurs bleues et roses. Il vit au plafond, un lustre avec des dorures et des petites flammes de verre qui pendaient au bout de chaînettes. Cela n'avait peut-être pas de grande valeur, mais comme il l'attirait, il s'entreprit à chercher une chaise ou un tabouret pour pouvoir le décrocher. S'il n'y avait rien d'intéressant dans ce pavillon, il aurait au moins ça à se mettre de côté afin de le revendre.