le démon des samedis pluvieux
andorfee
Le mariage! L'aventure d'une vie
Nos héros en feront l'expérience avec beaucoup d'humour dans "le démons des samedis pluvieux".
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Le démon des samedi pluvieux.
(journal intime d'une future mariée, ou pas)
Pour éviter tout faux espoirs, je me suis faite avoir comme toutes les autres, je fais juste semblant d'y avoir résisté au moins mentalement. Enfin bon je me plains, bien que je sois une victime consentante.
I . Chez le tailleur
Il est l'heure. Dans un mois jour pour jour, heure pour heure, je ne serai plus moi je serai sienne, entière jusqu'à en oublier ma particule. Pourtant j'aimais bien mon nom libre, il donnait des ailes à mon prénom si platonique. Ma particule est le seul truc que j'ai hérité de mes ancêtres bourgeois, insatisfaits d’être non exceptionnels je suppose, tout comme moi. Alors oui, c'est pas facile d'abandonner tout jusqu'à son nom pour l'homme de sa vie.
J'ai pris la fameuse décision de me marier il y a bientôt un an et pourtant les questions chaque matin reviennent me chercher. Vraiment chaque matin comme si elles avaient peur de me perdre, alors elles me hantent, je suis leur victime assignée. Ou alors c'est un rituel chez mes questions, pas de petit café matinal pour elles, sans moi dedans en train de me prendre la tête. Elles s'accrochent à mon esprit comme au dernier des petit fours d'une garden party de pauvre boulimique. Et j'avoue que moi aussi j'ai peur qu'elles me manquent, je me poserais sûrement deux fois moins de questions sur notre couple, une fois la corde au cou. L’acquis, la victoire sans combat. Peut être vais-je me rattraper avec des questions sur moi. Oui c'est sûr je vais me rattraper et je vais lui pourrir la vie avec elles. Je lui demanderai tout les jours s'il m'aime, si je suis la plus belle, et surtout si j'ai grossi. Je l'aime bien celle-ci, c'est la question piège par excellence.
Toutes ces questions seraient une douce vengeance de prise sur ma prison dorée, enfin plaquée d'or. Et même s'il n'y a pas eu beaucoup d'hivers entre nous ce n'est pas non plus l'été. Et bien sûr, plus j'avance et plus je veux avoir chaud. La brûlure d'une passion virulente, d'un amour sans queue ni tête. Sans n'avoir d'autres choix que d'aimer. C'est ce qui me fait rêver en ce moment. Je mange de la glace allégée devant des séries allemandes l’après midi, mélange d’aspartame et d'onde télévisuelle, c'est peut-être générateur de cancer du cœur. En tout cas je suis parasitée par les mots : destin, passion, idéal.
Pour m’embêter, ou me rendre encore plus bête, quelques déceptions viennent me mordre les certitudes. La critique de l'homme à son apogée, je suis venue chez le tailleur avec ma sœur. C'est elle qui taille mon homme. J'essaye les gants blancs. Ils sont fort blancs ces gants, peut être que je les porte pour cacher mes mains souillées.
J’hésite à les brûler avec leurs mensonges, je ne suis pas pure et blanche. Mais la vieille y tient à ma pureté, et c'est elle qui paye le mariage. Alors vu que je lui ai déjà volé son fils, comme elle me le rappelle si souvent, j'essaye de ne pas lui voler sa belle fille faussement parfaite. La tendresse sirupeuse d'une belle mère, irremplaçable! Et je souris devant l'immense glace, de toutes mes dents appareillées. Encore deux semaines à porter cette horreur juste pour lui faire plaisir. Pas faire plaisir à l'Homme, lui râle de ne pas avoir ses gâteries, non, toujours à la toute vieille. « Femme parfaite, sourire parfait » me scande t-elle. Je n'ai jamais vraiment su sourire alors je ne sais pas vraiment être parfaite. Puis un appareil dentaire à mon âge, autant mettre un tuteur sur un lierre fou. En plus de l'appareil désuet, la robe me fait l'air d'une enfant qui joue à la grande dans la chambre de sa mère, je retrouve mes dix ans. J'essaye les chaussures que la vendeuse me tend, c'est au moins dix pointures au dessus de la mienne. Ou peut-être la vendeuse avait-elle lu dans mes pensées et voulait-elle parfaire mon côté petite fille. Enfin bon, je me souris de bon cœur cette fois-ci, je pense à son regard lorsqu'il me verra. Et dans la glace de mes rêves ma foi, je n'ai pas vu arriver la vengeance du reflet réel, et je me suis étalée de tout mon long en bas de la demi estrade où j'étais juchée. Les quatre fers en l'air, j'ai très vite compris pourquoi les mariées sont affublées de leurs talons vernis. Comme si en pleine fuite de l'éternel, on prenait dix minutes pour enlever la petite boucle de la chaussure gauche, puis dix minutes encore pour se relever avec la meringue autour, de la chute qui aura suivi le déchaussage. Il faut des chaussures en état de marche pour s'enfuir.
Tu ne dois pas penser à l'impossibilité de fuir avant la noce, tu ne dois pas penser tout court. C'est pour ça que tu as une, voir des demoiselles d'honneurs, ainsi tu ne comprends pas avant l'instant ultime qu'il est impossible de se débrouiller seule déguisée en mariée. La robe, les gants et les chaussures se plaisent à t'apprendre que tu n'es déjà plus qu'une moitié de quelqu'un, que toute seule tu es médiocre. J'ai la tête en bas de l'estrade, je me suis faite mal aux cheveux puis je suis grosse, enfin ça c'est la robe surtout. Et voilà qu'il me revient en tête, encore.
Et si même avec ça j'arrive à l'oublier, lui l'homme, il y a toujours l'énorme bague à mon doigt. Elle me jette des éclairs de tendresse dans les yeux et finalité heureuse, je ne suis plus seule et j'en suis heureuse. Enfin heureuse, surtout quand t'y penses parce que sur le coup t'es énervée pour tout et rien. Parce que le rêve ce n'est pas la réalité, et tes hormones de femelle t'ont fait imaginer ton mariage idéal un bon milliard de fois. Le mariage parfait s'est pas évanoui seul, tout les petits à côté aussi ont pris leurs bagages. Il a mal fait sa demande, il a sûrement pas posé le bon genou par terre, même si toi aussi t'es pas super sûre du doigt où va la bague trop petite, t'es persuadée que lui se plante. T'iras regarder discrètement sur le net quand t'auras fini de pleurer et qu'il aura fini de remercier les dieux à sa façon de ne pas lui avoir infligé la pire honte de sa vie.
Ça aussi c'est sûr c'est un piège, genre d'une mère qui n'arrivait pas à se débarrasser de son Tanguy, ou d'un pote qui en avait marre du colloc' qui tapait à la porte de sa chambre pendant ses extases colorantes pour coussin. Enfin c'est un complot. Imaginons : le mec tu l'aimes bien. Il est cool, il porte tes petits neveux, nerveux et morveux sur ses épaules pull Cachemire sans rager. Il te fait l'amour même pendant la coupe du monde. Enfin le mec bien mais pas le meilleur non plus. Il a quand même oublié l'anniversaire de ta sœur pile la même année où toi aussi tu l'avais oublié. Ce mec là pose son genou, que tu trouves trop usé d'ailleurs, à terre devant toi. T'es un peu piégée sur le coup. Parce que d'un côté tu l'as à la bonne et d'un autre, il ne sait même pas faire une déclaration originale. Si tu lui dis non, tu peux même pas compter sur le cadeau de st Valentin de cette année, rien, nada ! Puis t'as pas envie de lui foutre la honte, t'es déjà assez mal à l'aise à sa place, pour lui en rajouter. Peut être même mesquinement a-t-il mis tous les atouts de son côté : il t'a fait sa demande dans un grand restaurant, tout le monde applaudit déjà. Ou plus vicieux, il a demandé ta main à ton père d'abord, paternel cynique qui t'a allègrement vendue corps et âme pour un digestif en fin de repas. Il n'y a plus d'amour valable.
Je suis sûre qu'il y a eu des mariées comme ça, genre «ouais bof, mais n'oublie pas que tu vieillis ma grande et que bientôt la seule personne qui posera le genoux à terre devant toi ce sera pour te mettre tes chaussures » La peur de la vieille fille mangée par son chat après sa mort, ça aussi c'est le genre d'histoire des villes qui a été inventé par un père à la fille trop dépensière. Ça vous dit quelque chose j’espère, cette femme morte vieille fille, terriblement seule (insistez sur le terriblement seule), et son chat devenu nécrophage parce qu'on la découverte trois semaines après la mort. Si vous ne connaissez pas cette histoire, soit vous habitez la campagne, soit votre père est honnête. Enfin le mien de père aurait bien eu l'imagination et l'influence suffisantes pour créer le conte de toute pièce, mais le lapidez pas toute suite ! Il est pas assez vieux pour être à l'origine d'une histoire aussi ancestrale.
Oui parce que ça dure depuis un bout de temps ce complot. Je pense que ça a dû tomber juste après que la femme ait été dotée pour servir d'esclave dans sa belle famille, juste après l'époque où elle était tirée et par les cheveux et par tous les hommes de la grotte de Lascaux. Puis de toute façon quand ce n'est pas ta famille qui te pousse à te marier parce qu’elle trouve ça instable pour tes futurs gosses, ce sont les copines déjà mariées qui te trouvent pas mature. Douces jalouses. Moi je pense surtout qu'elles ont peur que tu leur piques leurs mecs. Qui dit célibataire à notre âge dit forcément soit working girl qui a des plans culs partout sur le globe, soit Marie couche-toi-là. Enfin bon, j'en ai eu du monde sur le dos, à l'instant où il a posé son genou à terre. J'ai peut-être eu toutes ses pensées d'un coup, toute ses pressions en une fois, de quoi être saoule. Sauf que sur le coup, il n'y a eu que lui, qu'il a été le plus beau, que j'en ai oublié qu'il ronfle toutes les nuits, qu'il en a oublié mes vergetures. Alors oui c'est merveilleux l'amour, oui c'est l’illusionniste parfait. Il y a l'ombre et la lumière, mais je l'ai déjà dit t'as la bague et elle t'aveugle. Cette satanée bague souvent imaginée jamais égalée. Tu la pensais chère, tu évites d'ouvrir les yeux quand tu passes à Leclerc de peur de tomber sur elle dans la vitrine. Tu la pensais plus belle que toutes les autres, tu pensais qu'elle serait tout toi, elle est surtout tout ce qu'il pense de toi, d’ailleurs il a mauvais goût. Mais ce qu'elle représente, en cet instant en tout cas n'a pas changé dans ta tête depuis que tu as lu Cendrillon. La bague c'est vivre heureux pour toujours. Sans bague tu meurs conne et seule. Alors ne leurs dîtes pas toujours non, à ces mecs moyens bof, pensez à la malédiction du méchant chat mangeur de femme célibataire.
Et ne fuyez pas en voiture, la voiture c'est tout un piège aussi.
Dans la voiture
En rentrant, me revoilà à me prendre le chou pour ça, entre deux ronds points, je tourne les phrases dans ma tête. Surtout quand je suis seule dans la voiture, les mauvaises chansons à l'eau de rose de la radio m'attaquent. Elles doivent être complices des questions emmerdantes, parce qu’elles m'y ramènent toujours. J'ai beau essayer de me concentrer sur ma conduite, inlassablement je me débats encore avec mes incertitudes.
J'aime à penser que le temps des essayages est fini. Que maintenant je n'aurai plus jamais envie de m'enfiler d'autres vêtements, qu'il est et qu'il restera mon homme costume pour toujours. Qu'il n'aura pas envie d'une voisine, d'une cousine, d'autres costumes que le mien. Ou plutôt que je lui resterai moi, fidèle pour toujours. Les plus jolies robes que j'ai passées dans ma vie, comme les plus beaux hommes, m'ont toujours lassées au final. Et sans cesse j'ai pris ces relations pour des essayages et des remises en rayon. Des locations plus que des achats. Sûrement qu'il sait que je lutte, sûrement qu'il m'aime aussi parce que j'essaye du plus fort de mon être. Mais il m'aime surtout parce que j'y arrive. Admettons que je cesse d'essayer, d'y arriver à être fidèle pendant une demi heure, que toutes les autres demi heures de notre vie j'y suis arrivée. La balance sera automatiquement injuste et elle considérera tous les autres essais concluants comme des tromperies ratées.
Puis la fidélité est une question tabou. Un matin il me demandera si j'ai toujours été fidèle, devrais-je lui dire à ce moment là que j'ai mille fois rêvé de coucher avec un autre. Et pour simplifier les choses, la limite de la fidélité est pour chacun d'entre nous différente. Tiens, si demain matin au réveil je lui demande ce que veut dire pour lui la fidélité, je serais automatiquement soupçonnée d'avoir soit trompé, soit de ne plus avoir confiance en lui. J'aurais alors cette folle envie de lui mentir. Parfois je pense qu'il devrait avoir honte de me pousser à lui mentir par sa fermeture d'esprit. Ça ne peut être que de sa faute. La société, tiens oui elle, la société angoissée et paranoïaque nous oblige à couper toutes discussions dites tabou. Moi je dirais que c'est lui qui est fermé d'esprit et lui me dirait que je n'ai pas de morale, alors d'avance je plaide la présomption d'innocence. Je n'ai pas dépassé les limites qu'il n'a jamais fixé, je le jure. Et merde j'ai grillé un stop.
Et ces phrases encore me reviennent, les prédictions me retapent l'esprit. Certaines de mes amies m'ont mise en garde contre le syndrome de l'installation et du laisser aller. Admettons que je me traîne en pyjama du vendredi 17 heures au lundi 7 heures et trente cinq minutes, le contrat de sex appeal d'antan passé tacitement entre nous se romprait automatiquement, elles en sont sûres.
Je me dois de ne pas aguicher son frère, mais il faut que ses amis l'envient d'avoir une femme qui prenne soin d'elle. Être sexy mais pas trop, être jolie mais pas vulgaire, être salope de nuit, être sage de jour.
Être sa vitrine n'est pas toujours facile. Même lorsque je m'imagine vieille à ses côtés, je me vois lutter contre le temps pour être plus jolie que la voisine et faire mieux à bouffer qu'elle. Par contre, inversement, je ne devrais pas lui demander de muscler ses bras trop maigres et son ventre quadragénaire, puisqu'il descendra la poubelle et taillera mon rosier, les deux en ronchonnant évidemment. La route est trop longue, il n'y a pas assez de virages pour avoir besoin de plus de concentration.
Quand je pars au boulot, cette voiture qui attrape le froid de la fainéantise à peine sortie du garage, me traîne nonchalamment vers l'abattoir. Où je croiserai les mêmes moutons, dans les mêmes bureaux de la mairie décrépie, là où à l'entrée traîne les bancs de notre mariage. Et j'aurai le droit aux mêmes phrases des collègues de boulot, surtout de celles que j'ai pas invitées, je suis sûre que l'une d'entre elles mettrait une robe noire. Elles me demandent tous les jours si c'est pour bientôt, je feins tous les jours de ne pas y penser. Au pire si mon mariage semble fabriqué à la dernière minute j'aurais déjà mes excuses. On n'a pas le temps à la mairie pour prévoir son propre mariage, on a trop d'acte de mariage des autres à signer. Puis y'a le café de neuf heures, et celui qui va avec la clope de dix heures. Celui qui vient après la pause repas, et celui qui accompagne l'avant départ de 16h30. Si je meurs d'intoxication au café, la mairie devra payer une pension à mon mari.
Peut-être qu'il a déjà pensé à ça. Peut-être se marie-t-il avec moi pour mon compte en banque en suisse. Ah non, c'est lui le fils de riche de la famille.
On n'achète pas un homme pour son physique, pas toujours. On ne se marie pas non plus pour le voir vomir ses poumons devant la télévision à soixante dix ans. On ne pense pas à tout ça. Mais quand ce sera là devant nos yeux binoclards, et qu'on n'aura plus la force de lever ses quatre-vingt kilos de cellulite pour aller draguer le vieux d'à côté, celui qui marche encore, on y pensera à ce moment là. Je regretterais d'avoir promis qu'à vie je cacherai au monde l'envie d'autres corps, d'autre sueurs, d'autres pannes «exceptionnelles» que les siennes.
Parfois je rêve de tomber en panne, de crever un pneu sur un nid de poule. Parce que je sais que lui répare un nid d'une autre poule. Une jolie poule, avec le ventre plat , de celles qui se nourrissent avec des graines bio, les dindes. Alors je l’appelle, parce que j'ai oublié la route pour allez au pharmacien du coin, ou chez le coiffeur qu'il ne connaît pas. Non, mon homme il me connaît moi, alors il fait durer la conversation au téléphone, je raccroche, je suis rassurée. Au pire j'ai pris un PV pour avoir téléphoné au volant. Lui il a ses poules, moi je me tape les poulets.
Les hommes promettent devant dieu de vous mentir à vie, pour vous rendre heureuse. Les hommes vous promettent fidélité pour l'éternité, certains maris bourrés et d'autres même pas, seront déjà en train de culbuter la robe noire du troisième rang le jour même du mariage. On ne met pas de noir à un mariage, c'est bien trop sexy, ça excite trop le mari. Il risque de se barrer, ça serait de la faute à la dame en robe, la garce, sûrement une collègue du boulot, l'incruste. Lui n'a pas de talons, il n'a pas de meringue, il peut courir. Lui a le droit de se barrer, lui, il reste libre. Toi tu dis tes vœux en imaginant lui torcher le cul jusqu'à ce que la mort vous sépare. Lui, il sait qu'il aura la crise de la quarantaine. Même si tu l’épouses après quarante ans, il aura celle de la cinquantaine, pour excuser de cracher sur ses vœux. Alors parfois, comme m'interdisent mes copines médium ou presque, j'ai envie de me balader en pyjama, voir pire si je l'ai encore, le pyjama de sa mère, pour devancer ses envies de tromperies avant le mariage. Ou même pour me pré-venger de la tromperie qu'il fera dans tous les cas. Évitons les frais de divorces inutiles.
Je ne suis pas une teigne, je ne suis presque plus une enfant, j'ai testé l'homme sur beaucoup beaucoup de chose.
Et pourtant me voilà angoissée sujette à mes humeurs, avec ça je colle bien à l'image typique de la femme de presque trente ans qui se tâte encore entre ses deux facettes féminines. Le mariage me tape sur les nerfs à moi aussi. Et lui il prend ça à la cool, il est content, il a passé le plus dur, il a refermé le piège sur moi. Maintenant il n'a plus qu'à m'aimer, et à tailler les rosiers. Je devrais ne plus quitter cette voiture, rouler, rouler encore, fuir avant de me retrouver face à ces rosiers que je vois tous les jours, que je verrai toujours, qui vont m'enterrer j'en suis sûre.
Et non je rentre de chez la styliste, pas assez de monnaie pour faire le tour du monde. Et on a toujours une forêt vierge à la place des rosiers du pays des merveilles. Mais bon, il a préparé à manger, un chouette repas, pas le meilleur mais c'est tout lui ça.
III. A table.
Je m'installe, plus ou moins tranquillement, j'arrive pas à m'ôter l'envie de lui raconter la gamelle sur l'estrade de la styliste. C'est toujours comme ça quand je rentre et qu'il est là. J'ai envie de tout lui dire, tout en bloc et en désordre. Avant je le faisais comme ça me venait. Mais il comprenait pas toujours, ça cassait l'effet comique des choses alors maintenant j'ai pris l'habitude. J'attends que l’excitation se calme, je pèse mes mots. J'écoute son charabia à lui, souvent des histoires du boulot. Aujourd'hui il me raconte encore l'apprenti. L'apprenti c'est son cache misère à lui. La plupart du temps, les conneries, c'est mon fiancé qui les fait, mais c'est l'apprenti qui prend, en tout cas quand il me raconte. Comme ça il peut en rire aussi, puis je me fous pas trop de sa gueule.
Je crois qu'il pense que je suis supérieure à lui, ou que du moins, il ne me mérite pas. Du coup parfois je me rends compte de ce qu'il me cache ou des efforts qu'il fait pour que j'aime ses travers. C'est mignon, c'est tendre et plein d'amour mais ça ne va pas durer longtemps. Comme ce soir, si le dîner est prêt c'est parce qu’il a loupé son rendez vous chez son tailleur à lui. Du coup il me passe de la crème avant de me le dire. On passe un bon repas, il me fait rire avec l’apprenti, mais dans ma tête je sais bien qu'il va prendre un air penaud dans peu de temps, et m'avouer sa bêtise comme un enfant à sa mère. Le styliste m'a appelé évidemment, et j'ai déjà un autre rendez vous pour lui, mais je le laisse faire son petit jeu. Peut-être, sûrement même, j'aime qu'il se sente ridicule. Ça jette un voile sur ma débilité à moi. Ça y est, il commence. Étonnement aujourd'hui il a eu énormément de problèmes avec des clients, et l'apprenti, ah l'apprenti, il a fait plein de conneries, tellement qu'il en a oublié d'aller à son rendez-vous. Je lui glisse que son prochain rendez vous c'est la semaine prochaine. Il me sourit, il doit croire que j'avais prévu qu'il louperai celui ci. Il a son air de chien battu, je me sens cloche de l'avoir laissé trouver ses excuses. Puis ça me passe, je lui raconte la gamelle, il rit. Il est beau. On finit le repas sur un ton joyeux, il me rappelle qu'il m'aime, j'ai même pas le temps de l'oublier avec la bague et le reste. Mais il ne le sait pas, alors il est un peu fier de me dire qu'il m'aime, c'est un peu son cadeau de fin de repas. Sa cerise.
C'est pas toujours comme ça. Il y a des repas avec et des repas sans. Les repas sans on s'embrouille pour des rosiers pas taillés, les repas avec on imagine qu'on pourrait transformer les rosiers en immense champs pour faire l'amour dedans. On croit que les voisins ne nous verraient pas. Et on fait l'amour comme s'ils nous voyaient, comme pour leur donner des cours. Des fois les embrouilles sont encore plus ridicules, c'est des histoires de ménage qui en finissent par des histoires d'héritage de famille, que mon père doit être pareil, que sa mère a dû trop le couver. Les soirs moyens, il trouve une faille dans mon argumentation et je suis fatiguée de ma journée alors ça finit sur un « t'as raison » et on va se coucher. On fait l'amour pas torride, l'amour du « je te fais pas la gueule », ça nous va à tous les deux. On s’endort pas fâchés et demain on pourra faire comme hier, on aura pas besoin de marquer notre territoire et d'enterrer la hache de guerre.
Il y a aussi les repas de famille, les fameux. Les siens d'abord, sa famille rien qu'à lui, parce que j'ai pas envie d'y mettre un doigt, une once de moi, un bout de ma chair. Sa famille à lui c'est ma contre-famille. S'il y avait deux opposés sur cette Terre, ils se retrouveraient à notre table de banquet de mariage. Et bien sûr la sienne c'est le mal, et la mienne c'est le bien. Sinon pas de logique, plus de sang qui coule dans les veines, on remballe tout, fin de la dispute.
Son père s'il avait été flic, aurait enfermé le mien, sa mère si elle avait eu le temps, aurait tué la mienne. Son frère s'il pouvait s'offrir le cadeau de ses rêves sans vouloir le rendre au bout d'une semaine, il s'offrirait la tête de ma sœur sur un Rembrandt. Je vois bien mon père lancer des pavés sur les murs de la propriété des parents de mon homme, et ma sœur repeindre les meubles ikéa du frère. Je n'irais pas gagner un cents au loto du village de mes beaux-parents, qu'on m'y traîne par les cheveux. Il ne manifestera jamais pour la libération des cochons d'inde sans que je fasse du chantage au sexe. Ça c'est nos familles et avec ça faut faire à bouffer le matin, pas réveillée pas envie surtout, pour nourrir des gueules qu'on voudrait voir entre ouverte sur le sol. Puis faut pas faire un plat de pâte au beurre, ça fait pas repas de fête, comme si j'avais envie de faire la fête. Chez eux on fait la fête devant un discours politique à la télé, chez moi on fait le discours politique devant des plats froids parce qu’on a pas fini l'apéro à vingt deux heures.
Et encore parfois il y a pas vraiment le choix, parfois le dimanche matin ça sonne à la porte. La belle mère a des sacs de courses, moi j'ai des sacs sous les yeux. Elle fait ronfler un four qui dort depuis sa dernière venue, je réveille le ronfleur en criant gentiment qu'on ne l'a pas invitée. J'ai une grosse envie de la tuer, comme elle a tué mon rêve de grasse mat' et de câlins d’après midi. Il l’accueille en disant qu'il ne fallait pas. Je le fusille du regard, c'est la seule chose qui me reste a faire sans aller en taule.
Ma famille c'est un piège, t'en invites un, t'invites tout le monde en un. C'est un téléphone arabe sans erreur. Ils se ramènent avec leurs fonds de frigo, on finit la soirée avec un maigre fond de bar. On s'en fout, on s'aime ça passe. Chez lui si t'es pas d'accord, si tu fais pas d'effort,si tu ne te changes pas, si tu te plies pas à leurs envies, c'est que t'aimes pas suffisamment. Faut y aller, faut tenir le rythme, fermer tes oreilles aux critiques. Chez nous si tu fermes une oreille tu vas te prendre une vanne, tout le monde va rire, tu vas rater ton coup à boire. C'est pareil faut y aller réveillé quoi. Tous ces gens-là vont être à notre mariage, si ça finit pas en bataille rangée je vais au loto, promis.
Puis il y a le comble du bonheur, ses amis. Là-dessus il est impardonnable il les a choisi. Mal en plus, et l'apothéose c'est qu'il les garde. Je ne vais pas mettre tout le monde dans le même panier. Admettons que sur tous ses amis, je garde une brochette, les voir enfilés sur une broche d'acier, d'acier rouillé, loupé, tout le monde se vaccine pour le tétanos de nos jours... Disons que dans ma brochette il y aurait ses potes du foot. Ma brochette devient une barre de baby-foot. De vrais sportifs qui ont pris du bide, et qui n'ont plus de baskets dans leur armoire.
Ceux-là passent un samedi par semaine à la maison, les années de coupe du monde il y a trop de samedis dans une semaine. Ils vident mes bières, vident mon morale, vident mon homme de son cerveau. Ils ne feraient pas un tiers des performances des professionnels mais ils simulent pareils. Ils simulent leurs capacités à savoir dribbler, à savoir courir, à savoir faire des phrases de plus de trois mots. Et je me dois d’être là, je me dois de partager ses passions, il le faut. Puisque c'est la base d'un couple solide que d’être unis dans le bonheur désuet d'une exaltation partagée. Je n'ai plus envie d’être un couple solide du coup, j'ai envie d’être moi, d'envoyer promener ces sportifs du dimanche, laisser place à ma passion à moi : les démolir.
Et nous voilà sur le canapé, ensemble, collés, puant, ils ont la gentillesse de m'expliquer les règles, j'ai la méchanceté de les oublier. Un coup franc simulé c'est plus un coup franc, c'est un coup hypocrite. Hypocrite comme moi, qui par hasard trouve toujours une robe plus courte chaque semaine, parce que je n'ai pas oublié l'effet bénéfique des potes sur lui. Ces potes me trouvent jolie, il me trouve belle, ces potes me trouvent belle, je deviens la plus belle du monde à ses yeux. C'est presque arithmétique, exponentiel. Et me voilà à parader, innocemment entre la télévision et eux, dix fois par minute, rythme de croisière pour les bières. Je joue la femme parfaite, ils jouent leur rôle d'entremetteur, et mon homme joue le naïf. Je suis pourtant sûr qu'il me connaît suffisamment pour avoir vu clair dans mon jeu. Le football est un jeu d'hypocrite. Tout le monde le sait.
Pour me faire plaisir, il y a aussi les repas entre sex toys. Une fourchette, un couteau , un vibromasseur, mes copines adorent, c'est super tendance. Moi ça m'amuse de flirter avec un libertinage passif, lui ça l'amuse de flirter avec son imaginaire. Les hommes aiment les lesbiennes, les lesbiennes n'aiment pas les hommes, cherchez l'erreur ! Et voilà mes copines faussement courroucées de le voir lui à notre table, moi je sais que ça leur chatouille l’orgueil de faire les femmes libérées devant le seul mâle présent, aux abois, langue pendante, yeux écarquillés. Je n'en rajouterai pas sur ce qu'il se passe sous la table. En tous cas lorsqu'elles partent c'est mon quart d'heure de gloire, rien que pour ça , je les réinviterai. A vrai dire je les ai plutôt bien choisies les copines. Elles sont souvent remplies de défauts, quand ce n'est pas le physique c'est le psyché et parfois même je prends des stupides. Je me suis fabriquée le trône idéale dans la tête de mon homme grâce à elles. Au royaume des boudins, moi, grosse saucisse pas beaucoup mieux, je suis la reine.
Qui se ressemble s'assemble. Quand parfois elles ramènent leurs mâles, à des dîners plus convenables, c'est notre dîner de con. Lui et moi, complices amoureux, eux, tous moches, stupides et fous en pâture sur notre table. Offerts à nos yeux moqueurs, à nos plaisanteries seulement comprises de nous deux. On s'amuse comme des gosses. Ce sont les meilleurs des repas qu'on puisse faire pour la beauté de notre couple, milles fois meilleurs qu'un gastronomique en amoureux. On sort de là, on est fous l'un de l'autre pour toujours, et on les réinvitera quand on se sera disputés suffisamment tous les deux pour en avoir besoin..
Ça c'est le meilleur. Le pire, on va se marier pour ça aussi. Ce sont les repas en silence, les repas qu'il prend sur le canapé devant sa maîtresse en home cinéma, ceux que je prends dans la cuisine en écoutant une radio indépendante ou en téléphonant à Papa. Je mange pas quand ça ne parle pas autour de moi, alors je mets du bruit. Souvent il rentre dans la cuisine, comme pour aller chercher quelque chose à boire. Il lance un bonjour à papa , un commentaire sur les informations ou la radio et tacitement il fait le premier pas. Nous on fait pas l'amour pour se réconcilier, on boit un café sur le perron.
Le perron
Sur le perron tous les deux, on se moque des passants. Surtout des parents qui trimbalent leurs enfants dehors à 22 heures. On se dit que nous on fera mieux, qu'on sera la crème de la crème des parents. Que même les profs des gosses nous demanderont des conseils pour les autres parents. Et ça dérive en couple parfait, qui bien sûr ne divorcera pas. On est pas encore mariés mais on est sûrs qu'on ne divorcera pas. Puis il y a les petits vieux d'à côté, toujours amoureux, qui se tiennent tout tremblotants. On imagine ensemble que si on enlève l'un des deux, l'autre tombe à la renverse, comme trop habitué à être supporté. Il rit, de toutes ses dents bien droites, et je cache ma bouche ferraillée. Le mieux c'est quand le voisin passe devant la grille, il lui lance le fameux : « viens boire un café » et à ce moment là le perron a encore plus de charme. C'est le peloton d’exécution.
Parce que la femme du voisin c'est une mégère, mais pas la petite mégère, la grosse méchante que parfois même on se demande s'il reçoit pas des coups le voisin. Et lui il nous raconte tout. Depuis d'avant leur mariage, quand elle était la plus belle de sa boite. Elle devait être dactylo, c'est sexy une dactylo. Qu'elle prenait du temps pour lui préparer des bains moussants, qu'elle aimait les fleurs, que c'était pas encore des dépenses inutiles. Il nous raconte encore son mariage, sous la direction de sa belle mère, avec des teintes de roses déprimantes et un verre de vin par convive. Là souvent je regarde mon chéri, comme pour lui sourire, mais au fond de moi je le préviens. Le voisin nous dit que surtout malgré les gosses, malgré le mariage malgré tout, il faut que la femme garde son boulot, son jardin secret . Et là avec mon Homme on se sent vraiment les plus forts du monde, parce que tout ça nous on l'a prévu, on est pas bêtes. Les petites choses toute horribles des autres couples on les a décelées, sinon on se marierait pas, on est pas fous. Puis quand le voisin a fini son café, puisqu'il est jaloux évidemment il nous lance un « Vous verrez ça bientôt ». Et il part. Nous on crache sur son dos, avec son mauvais œil et sa jalousie, et on se promet qu'on lui fera ravaler ses paroles.
Notre perron c'est surtout la première marche de notre maison, notre maison à nous. Qu'on en finira jamais de bâtir, d'y faire des travaux, parce que c'est notre miroir. Si l'homme s’arrête de faire des travaux, c'est qu'il ne voudra plus de mieux pour nous. Qu'il enfermera ses projets, notre avenir en commun édulcoré, pour le laisser morne et gris livré à la monotonie . Alors j'aime ça le voir prendre ses blocs notes plein de peinture. Il aurait pu être architecte, si ça n'avait pas ressembler autant à un métier d'artiste pour ses parents. Et il dessine, me fait rêver, entre ses doigts, dans son imagination il y a toute notre vie. Toute la vie du bonhomme aussi, parce que la fausse chambre d'ami du deuxième, tou le monde sait que c'est la chambre du petit. Du petit qui viendra, on ne sait pas quand, quand on n'en voudra plus sûrement, il tiendra ça de sa grand mère. Je trouve parfois que ça fait grand quinze mètre carré de chambre pour un enfant. Je me cache le ventre où il voudrait y faire rentrer toute son équipe de foot personnel. J’aurais peut être pas la force de résister à sa folle envie de famille nombreuse. Même si je mets la déformation de mon corps d’athlète de sumo dans la balance. J'y arriverai pas, il est trop beau quand il rêve, peut être que mon fils tirera ça de lui. Avec un peu de chance tout le reste sera de moi.
J'y pense encore plus fort sur le perron, à ce mélange de lui et de moi, dans mes bras, tombé du ciel, naissance de vie à partir du néant. Pas vraiment du néant, disons plutôt de l'amour le plus fou du monde. D'une femme avec un cœur mi pierre mi ciment, d'un homme avec un cerveau mi rêve mi nuage. Tout ça dans un seul petit bonhomme, qui tiendra dans une main, qui prendra notre tête entière à l'adolescence avec ses problèmes. On ne pourrait pas en faire plusieurs, on ne pourrait pas donner aux autres autant d'amour qu'on lui donnera à lui. Il n'y a plus assez de place sur le monde pour en mettre plus.
Le perron c'est aussi les dernières marches qu'on aura à franchir pour notre départ. On a prévu une retraite d’égoïstes . A nous deux le monde, à nous deux les heures d'attente aux péages, aux frontières, aux toilettes des camping. On restera pas comme nos parents assis devant la pendule d'argent, à attendre que nos enfants ramènent les petits enfants, que l’infirmière viennent faire ses sales piqûres, qu'une grippe nous emporte. On mourra entre Lisbonne et Tokyo, entre un kangourou et un pingouin, entre un abandon volontaire de notre famille et un Noël sur quatre en leur compagnie. On sera des grands parents rock and roll. Je ne veux pas mourir avec les cheveux blancs, je ne veux pas le voir se bouffer des pilules bleus. Sacré perron qu'on se sera fatigués à finaliser pendant des années, et qu'on vendra pour un van Volkswagen des années 60 avec des fleurs fuchsia dessus.
Quand on est assis sur le perron, c'est comme si on était sur le toit du monde. On est les dieux, mais surtout on est à deux, à égalité. Il allume mes cigarettes, je ne regarde pas les rosiers de face. J'ai envie de me blottir dans le creux de ses bras, il a sûrement envie de moi. Et ça me suffit pour me trouver assez attirante pour l'attirer dans notre lit.
V. Le lit.
On avait rêvé d'un lit rond, avec une barre de strip-tease au cas où. Avec en tête de lit de quoi s'attacher les mains, avec en dessous des boites à malices, et tout autour des traces de nos ébats. On a rêvé, on a vu les prix, on a un matelas deux places à même le sol, du papier peint rose dépassé, en tête de lit des livres sur la psychologie de couples, un puzzle de six milles pièces pour horizon. Ça n'est pas très beau la réalité, ça donne envie de rêver en attendant. Et on attend. On attend que l'autre vienne se coucher, que l'autre se réveille, que l'autre propose le libertinage aussi. Patiemment, aussi gentille qu'une guillotine, la monotonie te frappe derrière la nuque. Elle t’assomme pas la garce, elle te garde bien consciente, bien prête à la subir tous les jours.
J'ai jamais envie de venir me coucher. J'angoisse toujours. Une nuit qui tombe c'est un jour plus près vers la date fatidique. Et je ne suis pas prête, j'ai peur, je ne veux plus me marier. Alors il me sert dans ses bras, il me berce comme une poupée. Ça frotte. Ça le fait bander, ça me fait rêver à un épilateur sans douleur.
Pour m'épiler tous les jours, il me faudrait une bonne raison, j'en ai déjà trouvé une. Je veux qu'on rentre dans les boites à la mode. Celles où il faut une mini jupe et un pass adulte. Dans ses boites-là, je danserai sur les estrades, dans ces boites-là , ils s'emboîtent tous et toutes. Il devrait partager avec aucune envie, mes envies à moi. Elles le regarderaient toutes c'est évident, elles seraient toutes plus jolies nues que moi habillée, mais il ne les verrait pas. Elles voudraient toucher à ma possession, j'aurais même plus la place de mettre ma main dans la sienne, mais j'aimerais ça. Il aurait même pas le temps de voir les femmes autour de lui qu'il serait déjà noyé de larmes de me voir excitée par un autre.
Mais la jalousie donne des ailes. Il n'arrive pas à me satisfaire moi, et il voudrait satisfaire une assemblée entière. Douce ironie que celle -ci. Lui qui s'endort à minuit, trouverait la force nécessaire pour me tromper toute une nuit, par vengeance. La gueule du réveil, les engueulades que ça me coûterai. J'ai trop à perdre dans le deal.
Sournoisement à côté de notre lit, j'ai créé la place béante. La chambre est minuscule, on se mange l'armoire pour aller sur le matelas mais à droite, de mon côté j'ai laissé la place pour le lit du petit. Pour les premiers temps, quand il ne pourra pas se séparer de sa mère parce qu'il aura peur qu'elle s’étouffe avec son doudou pendant la nuit. Sournoisement aussi quand mon homme parle du petit, il parle de sa chambre, de son lit, loin, loin très loin de mon trio abstinent.
Le matin j'attends qu'il se réveille, pour faire semblant de dormir et qu'il fasse le café, et si au passage il commence à ranger la cuisine, je fais encore mieux semblant de rien entendre. Le matin, les volets grincent en secret, ils ont trop peur que je m’énerve. La douche se fait brûlante pour les muscles endoloris, et le lit ne se fait pas tout seul. Pourtant quand je viens prendre mes affaires dans la penderie, miracle, le lit s'est fait au carré. Mon homme c'est un peu ma mère juive à moi. J'ai pas le temps de vouloir ramasser mon mouchoir, que le chevalier est déjà à mes pieds. Il est tellement serviable que souvent à vouloir tous les deux me servir un verre, la bouteille finit par terre. Chez nous les bouteilles ça coûte chèr.
Il y a les soirs où il rentre tard, et où le chemin du lit est un parcours semé d’embûches. Elles lui en veulent les embûches. Elles lui en veulent de rentrer tard, d'avoir trop bu, de s’être amusé sans moi. La porte s'acharne à grincer, ses chaussures italiennes se mettent à claquer le parquet, les coins de table veulent le faire jurer par tous les diables. Et moi je souris doucement, de la vengeance attendue. Il s'efforce de ne pas faire de bruit, je m'efforce d'attendre qu'il se soit pris tous les meubles avant de crier. C'est toujours à cette heure-ci qu'il rentre. Tous les hommes du monde rentrent à cette heure-ci. On ne sait pas qu'elle heure c'est. Mais c'est pas la bonne, ni pour l'homme, ni pour les voisins non sourds.
Quand on rentre bourrés tous les deux c'est mieux. Ça donne le même résultat, les voisins ne dorment plus, mais c'est pour des meubles mignons qui grincent. Je râle aussi mais pas pour les mêmes raisons, pas du même son.
Et dire qu'il faudrait que je rentre vierge dans l’église.
VI. Le mariage.
Je ne voulais pas d'un mariage version bourgeoisie danoise du milieu du siècle, je ne voulais pas d'une église dans un village pourri. J'ai refusé les propositions de la belle mère, j'ai eu pire ou presque. J'ai eu le manque d'argent, le stress, les retardataires et les gens bourrés. Dés que tu lâches un peu de lest, ça y est c'est l'anarchie. Adorables gens plein de mauvais vin qui viennent t'arranguer pour regarder sous ta robe de mariée. Douce excuse que celle de la jarretière.
Qui a voulu que le jour du mariage, la mariée sourit sur les photos, sourire figé, en plastique Barbie . . . Bon Barbie était déjà heureuse de ne plus avoir d’appareil dentaire, seul petit bonus de la matinée. Elle a quand même plus de maquillage que toute sa vie réunie, plus d'heures chez le coiffeur que ces dix dernières années sur le crâne. Là-dessus aussi l'homme a ses avantages, j'aurais dû le prendre avec les cheveux longs. Par solidarité au moins.
Mais Barbie avait mal aux cheveux de l'enterrement de vie de jeune fille, ou de vie tout court, de la veille. Droguée à l'acide acétylsalicylique, j'arrivais pas à dire ce mot sur le coup. Ni rien d'autre d'ailleurs de plus de trois syllabe, par chance c'est pas moi qui conduisais.
Il n'était pas plus frais que moi, au téléphone le matin même, il s’entraînait à me dire «oui». Par chance ça ne prend pas plus de deux syllabes. Si «non» avait été plus court que le mot «oui», il aurait dit «non», gros fainéant d'ivrogne ! S'il dit « non », je me pends, non je le tue, je me pends avec les boyaux de sa mère. Combo. Je ne sais pas en faite, s'il dit « non », je ferai comme dans les films, je lui fous une baffe pas assez forte et je pars en courant. En réalité si je fais ça, je me gamelle, dixit l'explication de chez le tailleur sur la fuite le jour du mariage. De toute façon il va dire « oui ». Promis ?
Il doit y avoir une malédiction sur les retards, le jour du mariage. Il y a toujours un « quelqu'un d'indispensable » qui arrive en retard, t'as souvent l'espoir que ce ne soit pas le marié. Ni le parrain, autre emporte-pièce indispensable au gâteau de mon avenir. Puis il y a le piège de mettre le témoin, le père, et le marié dans la même voiture. Comme ça vu qu'il y aura des embouteillages tu ne peux même pas prendre un peu d'avance sur le discours. Ou essayer de te marier avec son frère, mine de rien , ils se ressemblent de dos, face au maire.
Les heures se barrent, elles filent comme le vent, elles flippent. Moi j'ai envie de faire pareil, ma sœur m'y encourage discrètement. J'hésite, je recommence à peser le pour et le contre de ma décision, et là, coup du destin : je repère la femme en robe noire. Je l'avais dit : pas de robe noire le jour de mon mariage, je lui ai dit aussi, elle a fait comme toutes les femmes en robe noire, elle a écouté le galbe de ses fesses taille trente six moins quart. Bon, j'ai dû rester pour surveiller mon homme, mais juste pour ça alors. Si mon mariage loupe, ça sera de sa faute à elle.
Papa n'était pas d'humeur à m'encourager, on a nos habitudes tous les deux. Jour de mariage c'est jour de bar d'en face de la mairie, c'est traditionnel. D'habitude on attend là tous les deux, ou tous les autres selon qui on a embarqué dans notre mairie buissonnière. On boit des coups, on critique la pièce rapportée de la famille. Celui ou celle qu'on va devoir se payer pour dix ans à Noël. Mais là je ne peux pas, la pièce rapportée, c'est lui, et lui je l'aime. Certes je peux le critiquer, mais même au fond des mes craintes j'ai du mal, alors je m’ennuie. Les mauvaises habitudes.
C'est long les mariages, même quand on est la pièce maîtresse, celle en haut du gâteau. C'est long, ça se veut drôle, ça se veut inventif un maire, ça fait des blagues loupées qui font rire seulement les plus de soixante ans. J'ai personne de plus de soixante ans dans l'assistance, il sont tous au bar, je vous l'ai dit. Alors j'attends, j'écoute d'une oreille distraite le « blabla », je tourne le dos au photographe, je suis plus belle de dos. Puis j'ai plus envie de sourire. J'ai envie de pleurer, ça pourrait être l'émotion. Ça pourrait, j'ose pas me l'avouer. J'ai dit « oui » pour l'éternité, moi, alors que je sais même pas ce que c'est. Il m'ont sauvée à la mairie, ils lui ont fait dire « oui » en premier, on s'est pas loupés, je l'ai surveillé du regard pour voir s'il allait hésiter. Il m'a regardé droit dans les yeux, il m'aime à ce moment -là, je le vois là dans son iris, je le lis en gros. Première partie du contrat remplie. J'aurais peut être pas besoin de m'enfuir en courant alors.
Il va falloir que je signe s, je sais plus signer, j'ai oublié ma signature dans la voiture. Je vais la chercher j'en ai pour dix ans, c'est bon ? Çà aussi j'aurais dû le prévoir, j'aurais dû faire des lignes de signature, à moins que, si je fais pas la bonne signature ça ne compte peut être plus. Le jour ou je veux divorcer mine de rien, je l'accuse d'usage de faux, je m'en sors avec une annulation.
Bon je signe, il fait pire il tremble. Il ne va pas s'évanouir quand même. Faut qu'il se reprenne, Barbie ressemble à rien sans un vrai Ken solide dans ses mocassins à cinq cent euros. Il s'est repris, il est fort dis donc, puis il est beau mon Ken quand même, je l'aurais pas parié, on voit pas ses genoux en pantalon smoking.
Bon faut redescendre les marches de la mairie sans se louper. J'ai la tête qui tourne, il a le bras mou, je sens qu'on va se louper. Tout le monde se souviendra de la chute des mariés à la sortie. Mais arrêtez avec vos confettis, j'étouffe déjà j'ai pas besoin d'en avoir plein mon sourire de vos bouts de papiers sales. C'est ridicule les confettis, c'est pas carnaval ! Bien que... J'ai oublié de le souligner, la robe de ma belle mère. Je ne savais pas qu'elle avait des origines brésiliennes la vieille, c'est pas possible autrement. Pas de noir certes mais pas de robe rouge, verte, jaune, arc en ciel, toutes ensemble les couleurs, sur le même bout de tissu, je sais pas d’où elle m'a sorti cette robe. Je m'en resservirai pour son enterrement. Elle a dû vouloir le faire exprès. Sans parler de son admirable chapeau, encore s'il lui couvrait la gueule admettons, mais non, même pas. Quatre mètres de chapeau et on voit encore son air demi-fière de son fils, mille fois honte de sa belle fille. Pas sûr qu'on l'ait invitée, on peut la décommander, j'ai mis les gants blancs, mais ça suffit pas pour m'épargner la belle mère.
Et nous voilà unis, lui et moi, ensemble. Oui ensemble dans la même voiture en direction de la salle communale, on a déjà plus rien à se dire. Façon il vaut mieux pas, sinon on va s'engueuler à savoir qui voulait plus que l'autre, se marier. Et tout autour ça hurle, ça klaxonne, les passants ont honte pour nous. Le pire c'est que c'est la mienne de famille qui fout le bordel , c'eût été étonnant. Alors je me concentre sur la route, j'essaye du mieux que je peux, je me dis qu'ils ont dû me préparer des surprises, ah les bonnes idées des témoins pour te faire chialer ou presque rire.
Me voilà en train de chanter du Cabrel devant des gens attablés, me voilà en train de me planter dans les paroles c'est obligé. Ou alors ils vont lui faire lire un poème ridicule, ou ils vont montrer des photos de nous gamins. Ils ne vont pas nous faire pire, si, ils vont le faire, ils en sont capables. Bonne idée que de tous les planter, seuls là-bas, sans nous, nous déjà dans l'avion, déjà sur l'autre continent. Eux comme des cons à un mariage sans mariés, ils s'en souviendront tiens ! Et non, on ne conduit pas, mais pourquoi il conduit pas mon homme ! Il peut lui, j'en ai marre, je suis fatiguée, je ne veux pas de champagne, je veux de la mauvaise vodka. Je veux rentrer chez moi, le serrer dans mes bras devant du catch, c'est long un jour de mariage.
Pas deux mariages comme ça, et si j'avais su, même pas un. Il n'est que 16 heures, on a encore au moins dix heures à tenir, je ne peux pas. Je vais faire une sieste. Tiens il est là, sieste crapuleuse alors, c'est ça la vrai fête de l'amour. C'est pas leur vin d'honneur, avec des invités que t'a pas eu l'argent pour les inviter au reste de la fête, ou que t'a pas eu envie de voir bourrés. C'est pas le dîner que personne va manger derrière. Ce n'est pas la première danse où j'arriverais même pas à mettre mes mains autour du cou du beau père sans les serrer trop fort, c'est pas non plus tout nettoyer le lendemain. Notre amour à nous, c'est le perron, je veux retourner sur notre toit au dessus du monde. Il n'a pas plus envie que moi, il a les yeux dans le vide, il regarde la même route que moi, on regardera toujours vers le même horizon dorénavant .
Quand on est arrivé au bout du tunnel, l'effervescence passée, sur la fin on a eu les regrets, c'était déjà fait. Notre mariage, le seul de notre vie, la journée la plus belle pour notre couple, déjà finie.
- « Ça c'est fait. Et après? »
FIN