Le Dernier Brûleur d'Étoiles : ch. 5
Sophie Val Piguel
Je marchai longtemps dans le bois, et quand enfin, épuisé, je me laissai tomber contre un grand chêne, il faisait déjà nuit. La lune aux trois quarts pleine émettait une faible lumière qui m'avait permis de distinguer ce qui m'entourait. Je restai longuement immobile, persuadé que je n'allais pas tarder à entendre des voix de gendarmes et des aboiements de chiens policiers. Mais le bois était silencieux, et les seuls bruits que l'on entendait étaient les hululements des oiseaux nocturnes et le frôlement des petits animaux qui regagnaient leurs terriers.
J'ignorais s'il y avait des sangliers ou d'autres bêtes susceptibles de m'attaquer, et j'avoue que cette question était bien la dernière de mes préoccupations. J'étais seul, sans doute poursuivi pour un meurtre – et incapable de comprendre pourquoi cette idée de meurtre alors que tout le monde savait Marina condamnée ; je n'avais nulle part où aller, je n'avais pas d'argent, rien.
Quoique…
Je me décidai à ouvrir le sac à dos et en faire son inventaire. Une boîte de biscuits. Une gourde remplie d'eau. Des vêtements étranges dont la tendance n'était pas vraiment européenne. Je souris malgré moi. Si Dewis pensait que j'allais m'affubler de ces habits… Un couteau. Un petit sac en cuir noir contenant des cailloux de différentes formes. Et quelques provisions. Rien de plus. Pas un mot d'explication.
Je rangeai tout ce que j'avais sorti. Je n'avais pas faim. Je repensais sans cesse aux évènements de la journée. À nouveau, je vis le regard résigné de Marina ; je la vis débrancher tous les appareils, je sentis sa respiration et son cœur s'arrêter. Je ne me souvenais pas de toutes ses paroles, mais j'entendais sa voix dans mon esprit, cette voix à la fois douloureuse et soulagée de quitter la souffrance. Les larmes me montèrent aux yeux, et cette fois, je ne fis rien pour les retenir. Personne ne pouvait me voir, personne ne pouvait m'entendre, personne ne pouvait me juger. Je pleurai encore et encore, jusqu'à en avoir mal à la tête, sans pouvoir m'arrêter. À une heure avancée de la nuit, la fatigue et le chagrin finirent par avoir raison de moi, et je m'endormis le visage inondé de larmes.
Je me réveille. Je ne vois rien. Il fait sûrement nuit. Je me redresse. Non, il fait trop sombre, ce n'est pas la nuit, je ne suis plus dehors. Mais alors, où suis-je ? J'attends que mes yeux s'habituent à l'obscurité. Je distingue une petite fenêtre très haute et très étroite. Avec des barreaux. Alors, je suis en prison… Mais comment me suis-je retrouvé ici ? Les gendarmes m'auraient-ils déjà attrapé ?
J'entends des voix et des bruits de pas. Quelqu'un s'approche, une lumière blafarde éclaire la grille qui se trouve devant moi et que je n'avais pas vue.
– Qui êtes-vous ? Laissez-moi sortir !
Je hurle en m'accrochant aux barreaux. L'homme qui vient vers moi affiche un sourire malveillant. Terrifié, je me recroqueville au fond de la cellule.
Trois autres hommes arrivent. Ils portent chacun une épée, une dague et une hache. Sans prononcer une parole, ils entrent dans le cachot, me forcent à me lever et m'emmènent sans ménagement. Je leur demande qui ils sont, où je suis, pourquoi, mais ils ne répondent pas. Ils me traînent dans une pièce sombre où attend un homme qui porte un masque ou une cagoule noire. Je ne sais pas qui il est, mais au moment même où je pose le pied dans la pièce, je suis submergé par une panique incontrôlable. Mon sang se glace dans mes veines ; j'ai l'impression que je ne serai plus jamais heureux. Deux des hommes me soulèvent et me jettent sur une table en bois. Ils me forcent à m'allonger sur le dos et m'attachent. Je suis enchaîné, je ne peux plus bouger, je ne peux plus me débattre. Je ne comprends toujours pas ce qu'ils veulent ni ce que je fais ici. L'homme masqué claque des doigts. Les autres se retirent. Il vient vers moi. Je ne vois pas son visage, seulement ses yeux. Un regard vide. Le regard de la mort.
Je sais ce qu'il va faire. Je pousse un hurlement, qu'il arrête en me portant au ventre un coup d'une violence extrême. J'en ai le souffle coupé.
– Où est-elle ? demande-t-il d'une voix terrifiante.
Je ne comprends pas. Je veux lui répondre, mais aucun mot ne franchit mes lèvres. Il perd patience, je le sens.
Il s'éloigne, puis revient et plonge son regard dans le mien.
Une terrible douleur s'empare de mon corps.
Je savais qu'il allait me torturer. Mais j'ignorais que la douleur serait aussi intense. Je veux parler, mais je n'y arrive pas. La douleur devient plus forte, se propage partout. J'ai mal, je voudrais crier, mais je ne peux pas. J'essaie d'arracher mes liens. La douleur n'en devient que plus insupportable. Je sens un liquide chaud se répandre sur tout mon corps. Mon propre sang. J'ai mal, je veux que ça s'arrête. Je veux qu'il en finisse. Qu'il me tue. Mais qu'il ne me laisse pas souffrir plus longtemps.
– Où est-elle ? répète-t-il de sa voix dénuée de toute pitié.
– Où est qui ? parviens-je enfin à murmurer.
– Calypso…
Il détourne enfin son regard. Je ferme les yeux.
À suivre...